Commandé par Manuel Valls après les attentats de janvier, le rapport du député (PS) de l’Essonne, Malek Boutih, sur « l’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier », a été remis jeudi 2 juillet au premier ministre. Intitulé « Génération radicale », il décrit une jeunesse manipulée par Internet, qui contribue « à la diffusion de croyances irrationnelles ». Il prône la création d’un commissariat à la souveraineté numérique, qui s’impose, selon lui, comme « l’outil indispensable permettant l’alliance des pouvoirs publics et du privé pour doter la France et l’Europe de leur propre infrastructure numérique, sans reproduire la logique autarcique du modèle chinois ». Sur la forme, le rapport, pour lequel M. Boutih assure ne pas avoir touché de rémunération, étonne par les interlocuteurs consultés et contient quelques approximations.
Parmi les personnes auditionnées par Malek Boutih pour rédiger ce document, quelques noms étonnants : la militante Frigide Barjot, plus connue pour son combat contre le mariage pour tous que pour son expertise sur les radicalismes religieux, ou encore le journaliste controversé Jean-Paul Ney. Présenté comme l’auteur de Pourquoi ils font le Djihad. Enquête sur la génération Merah, un livre à paraître en septembre aux éditions du Rocher, M. Ney s’est surtout illustré sur les réseaux sociaux pour ses pratiques journalistiques douteuses. Mercredi 7 janvier, il avait désigné à tort un adolescent comme étant le troisième homme qui accompagnait les auteurs de la fusillade à Charlie Hebdo.
Un choix d’interlocuteur étrange que M. Boutih, qui ne « connaissait pas très bien le personnage », a justifié au Monde.fr par le fait que M. Ney a « lui-même demandé à être auditionné ».
En revanche, aucun représentant du culte musulman parmi les interlocuteurs de l’ancien président de SOS-Racisme, qui assume ce choix. Il signale que les auditions réalisées n’ont pas toutes influencé son rapport, mais ne regrette aucune audition. « Je n’ai pas fait un rapport pour me faire plaisir avec des gens avec lesquels je suis d’accord. J’ai écouté de tout, j’ai écouté n’importe quoi. J’ai écouté tous les points de vue, des gens qui s’y connaissaient et d’autres qui ne s’y connaissaient pas. »
Skyrock au cœur du rapport
Dans la partie de son rapport consacrée au djihadisme en ligne, Malek Boutih cite en revanche une personne qu’il connaît bien : Pierre Bellanger, le directeur de Skyrock et auteur de plusieurs livres sur les évolutions du numérique. Longuement cité dans une sous-partie du rapport qui décrit le Web comme un nouveau « Far West », M. Bellanger est présenté dans le rapport comme un « spécialiste incontesté des enjeux du réseau, qui a théorisé le concept de souveraineté numérique ». Le député oublie en revanche de préciser que Pierre Bellanger est aussi… son patron. Malek Boutih est en effet directeur des relations institutionnelles pour Skyrock.
Un peu plus loin, M. Boutih mêle des notions sans rapport – il évoque par exemple « le contrôle du cœur de la toile qu’est le système d’exploitation », probable confusion entre le système d’exploitation (le logiciel faisant tourner un ordinateur) et le serveur racine du DNS, « l'annuaire » fondamental qui permet aux navigateurs Web de s'orienter sur le réseau.
De même, dans un passage du rapport consacré aux réseaux sociaux, Malek Boutih cite en exemple « l’application Yax utilisée par les adolescents ». Placé 81e au classement des applications gratuites de réseaux sociaux sur iTunes, le service est pourtant loin d’être le plus utilisé – Facebook reste très largement le réseau social le plus populaire. Mais Yax est un service lancé par… Skyrock.
Ferveur des élus de droite
Autre hic, le rapport commence par une citation du Petit prince qui n’en est en fait pas une. L’origine des lignes citées en préambule par M. Boutih, attribuées à tort à Antoine de Saint-Exupéry, est inconnue.
Malgré ces singularités sur la forme, le rapport de Malek Boutih a attiré la ferveur des élus de droite. Xavier Bertrand l’a ainsi qualifié de « courageux et intéressant », Roger Karoutchi d’« édifiant et sans langue de bois ». Bruno Le Maire, Christine Boutin ou encore Frédéric Lefebvre ont également signalé leur intérêt pour le document. Pas de réaction à gauche pour le moment. Le texte a été présenté, lundi 6 juillet au soir, au bureau national du PS.
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