Helléniste spécialisé dans l’Antiquité tardive devenu un des plus fins connaisseurs de l’Asie centrale et du monde turc, Pierre Chuvin est mort à Paris, le 26 décembre 2016, à l’âge de 73 ans.
Ce fils d’une institutrice de campagne, qui l’élève seule, reçoit d’elle pour la Noël 1956 ses premiers « Budé » – la collection bilingue des Belles Lettres – : les trois volumes de L’Odyssée dans l’édition de Victor Bérard. De là sa « vocation », se plaisait-il à conclure. D’Archignat (Allier), il gagne Montluçon pour y fréquenter le lycée. Là, avec deux camarades hellénistes, dont le futur directeur de l’Institut d’archéologie du Proche-Orient Georges Tate (1943-2009), le jeune Pierre se passionne pour les antiquités mésopotamiennes, anatoliennes et syriennes, phéniciennes et égyptiennes… Tout, en somme, de l’apparition de l’écriture à l’essor du christianisme. Une clé pour un érudit qui ne s’embarrasse pas plus de frontières qu’il ne reconnaîtra de limites dans sa quête d’espace.
Bac en poche, le jeune homme s’inscrit à la faculté de Clermont-Ferrand et c’est là qu’en 1963, un cours de Francis Vian (1917-2008), spécialiste de poésie épique et de mythologie grecque, sur L’Hymne homérique à Déméter décide de son avenir. Sollicitant un sujet de mémoire, il se voit orienter sur un terrain qui le conduit, une fois décrochée l’agrégation de lettres classiques (1966), à un énorme répertoire de légendes, Les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis (IVe-Ve siècle), œuvre profane déconcertante d’une richesse et d’une emphase qui n’exclut pas l’ironie.
Un jury de thèse magistral
Ce sera l’enjeu de sa thèse – à son jury en Sorbonne en 1983, présidé par Ernest Will, qui préfacera l’édition de la réduction de la somme (Mythologie et géographie dionysiaques, Adosa, 1992), où siègent François Chamoux, Louis Robert, Jean Sirinelli et Francis Vian naturellement : une composition magistrale ! Et le chantier occupe Chuvin pendant près de quarante ans, avec la traduction du poème en « Budé » des chants III-V (1976), puis VI-VIII (1992), jusqu’à la parution des chants XLI-XLIII (2006, avec Marie-Christine Fayant).
Nommé assistant de grec à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand, dont Francis Vian est alors le doyen, avant de poursuivre sa carrière à Nanterre, où Chuvin le retrouvera plus tard, l’helléniste élargit sans cesse le champ de ses investigations, ne se laissant enfermer par aucune barrière temporelle ni spatiale. Pour cela, il étudie le turc comme le grec moderne à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), s’initie à l’archéologie de terrain grâce à l’équipe de Paul Bernard (1929-2015), directeur de la délégation archéologique française en Afghanistan.
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