Doyenne des actrices françaises, Suzy Delair est morte, dimanche 15 mars, à l’âge de 102 ans. Fille d’une couturière et d’un sellier carrossier, Suzanne Pierrette Delaire, dite Suzy Delair, était chanteuse, danseuse et comédienne. Née le 1er janvier 1918, elle entre adolescente chez Suzanne Talbot, une modiste de la rue Royale, comme arpète, le nom donné à l’époque aux apprenties ouvrières. Mais elle rêve de scène ; on dit qu’à 4 ans, debout sur la table de la cuisine, elle entonnait des refrains de guinguettes ou de Tino Rossi. Qu’à 13 ans, elle connaît par cœur tous les rôles du Malade imaginaire, de Molière. Grandie, la voilà fidèle du bal Bullier le dimanche soir. Elle est amoureuse du chanteur et comédien Henri Garat.
Sa voix porte, elle chante « Femmes, que vous êtes jolies », « Ah ! C’qu’on s’aimait… », « Frou Frou », « La Petite Tonkinoise »… Elle joue des opérettes d’Oscar et de Johann Strauss ou de Jacques Offenbach (La Périchole, La Vie parisienne), ce qui lui vaudra plus tard le Grand Prix du disque. Pour le reste, gravir les échelons lui est obligatoire, elle fait de la figuration : une soubrette dans Un caprice de la Pompadour (1930), une couturière dans Le Sexe faible (1933), une danseuse dans Potiche (1934), d’Abel Gance, une prostituée dans Ferdinand le noceur (1935).
Parallèlement, elle se produit au music-hall, aux Bouffes parisiens ou aux Folies Belleville, aux Deux Anes, à l’ABC ou à Bobino (elle y chante Le cul sur la commode, une chanson de Maurice Chevalier qui engendrera une expression populaire). Le cinéma lui offre des comédies musicales : Dédé (1935) et Prends la route (1936). Un soir de 1938, alors qu’elle joue une revue intitulée « Servez chaud », un homme vient lui rendre visite dans sa loge, lui donner des conseils, puis l’aider à décrocher des emplois. Son nom est Henri-Georges Clouzot.
P’tite parigote délurée
Du coup, elle change de statut dans Le Dernier des six (1941), de Georges Lacombe, dont Clouzot est le scénariste. Elle y est Mila Malou, petite amie du commissaire joué par Pierre Fresnay, déjà mutine, sourire canaille, image de la p’tite parigote délurée. Une légende la décrit plantée devant le cinéma Normandie quand sort le film, espérant qu’on la reconnaisse et lui demande des autographes.
Suit L’assassin habite au 21, réalisé par Clouzot qui lui fait rejouer la pétulante chipie Mila Malou, copine du flic toujours joué par Pierre Fresnay (les deux films sont tirés de romans de Stanislas Steeman). Avec une scène faite pour elle, où elle drague un homme susceptible de lui décrocher un rôle : « Je suis comme la plante grimpante qui va s’élancer vers le ciel, j’ai besoin d’un tuteur ! Autrement dit, je suis comme l’Amérique au temps de Christophe Colomb : j’attends ! – Vous attendez quoi ? – J’attends qu’on me découvre ! » (relevant sa jupe au-dessus du genou). Puis c’est Défense d’aimer où elle susurre « Oh, belle nuit, mon cœur est tout ébloui.. » (Richard Pottier, 1942), La Vie de bohême (Marcel L’Herbier, 1945), Copie conforme, un double rôle face à Louis Jouvet (Jean Dréville, 1947).
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