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Le chef d’orchestre russe Guennadi Rojdestvenski est mort

L’un des derniers maestros du XXe siècle, ami de Dmitri Chostakovitch et pilier du Bolchoï, s’est éteint à l’âge de 87 ans.

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Publié le 17 juin 2018 à 12h29, modifié le 19 juin 2018 à 10h26

Temps de Lecture 5 min.

Guennadi Rojdestvenski.

Dernier héritier de la grande tradition musicale russe au XXe siècle, le chef d’orchestre Guennadi Nicolaïevitch Rojdestvenski, ancien directeur du Bolchoï, pianiste, compositeur, et ami de Chostakovitch, est mort samedi 16 juin à l’âge de 87 ans des suites d’une longue maladie, à Moscou.

Né le 4 mai 1931 dans une famille de musiciens moscovites connus, le fils du chef d’orchestre et pédagogue Nicolaï Anosov et de la soprano Natalia Rojdestvenskaïa montre très vite de belles dispositions. Le jeune homme prendra le patronyme de sa mère afin d’éviter toute confusion avec ce père, dont il a été l’élève au Conservatoire de Moscou, où il suit également les cours de piano de Lev Oborine.

Des débuts fracassants dans La Belle au bois dormant de Piotr Ilitch Tchaïkovski marquent, à 20 ans, ses premiers pas au Bolchoï alors qu’il est encore étudiant. Une longue relation (à éclipses) commence alors avec l’Opéra moscovite. Engagé de 1951 à 1961 comme l’un des chefs d’orchestre chargés du ballet (en 1956, il se produira en Grande-Bretagne avec la célèbre étoile Galina Oulanova dans Romeo et Juliette de Prokofiev), il succède en 1964 à Evgueni Svetlanov comme chef d’orchestre principal. Un poste qu’il quittera en 1970, avant de revenir, trente ans plus tard, par la grande porte pour un mandat éclair de directeur musical général en 2000.

Des tournées en Amérique, en Asie et en Europe

A la tête du Bolchoï, le maestro aura dirigé plus de trente opéras et ballets, dont la création du Spartacus de l’Arménien Aram Khatchaturian, la première soviétique d’A Midsummer Night’s Dream de Britten, et effectué nombre de tournées en Amérique, en Asie, et en Europe. L’année 1970 sera marquée par une représentation légendaire du Boris Godounov de Moussorgski au Covent Garden de Londres dans sa version originale.

En 1961, Guennadi Rojdestvenski devient directeur musical de l’Orchestre de la radio de l’URSS. Il y restera jusqu’en 1974, après avoir pris en charge en 1972 le destin de l’Opéra de chambre de Moscou, où il donne la première du Nez de Chostakovitch. Prix Lénine en 1970, artiste du peuple de l’URSS en 1972, ordre du Drapeau rouge en 1981… Il faudra attendre le mitan des années 1970 pour que la réputation de Rojdestvenski franchisse les frontières. De 1974 à 1977, il est nommé directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Stockholm (il y reviendra entre 1991 à 1995), prend les rênes entre 1978 et 1981 de l’Orchestre de la BBC à Londres ; de l’Orchestre symphonique de Vienne de 1981 à 1983. Pédagogue recherché, titulaire d’une chaire de direction d’orchestre au Conservatoire de Moscou dès 1974, il enseigne également dans la capitale autrichienne, ainsi qu’à l’Académie Chigiana de Sienne, en Italie, à partir de 1987.

« Etre chef d’orchestre, cela n’a rien à voir avec les gestes des bras, c’est une question de rayonnement »

Les remous politiques qui déstabilisent son pays n’affecteront en rien sa fidélité : en 1982, il prend la tête du nouvel et emblématique Orchestre du ministère de la culture de l’URSS, qu’il dirigera jusqu’à l’effondrement du régime, en 1991. Avec cette formation, il gravera de nombreuses intégrales symphoniques – Chostakovitch, Glazounov, Bruckner, Honegger, etc.

A Paris, Guennadi Rojdestvenski est devenu à partir de 1999 un hôte régulier de l’Orchestre de Paris avec lequel il enregistre quelques œuvres du répertoire russe pour Erato. Quatre ans plus tôt, en octobre 1995, son caractère entier a valu une douche froide à l’Orchestre national de France : Rojdestvenski quitte soudain la répétition du concert qu’il devait donner au Théâtre des Champs-Elysées avec sa femme, la pianiste Viktoria Postnikova, épousée en 1969, dont il a eu un fils, le violoniste Alexandre Rojdestvenski. En cause, l’indiscipline et l’impréparation des musiciens. Malgré les tentatives de conciliation, il ne reviendra pas sur sa décision.

Un ego chatouilleux

Les anecdotes concernant l’ego chatouilleux du maestro sont légion. Ainsi en 2008, avec l’Orchestre symphonique de Boston, qu’il refuse de diriger au prétexte que le nom du violoncelliste Lynn Harrell est mieux mis en valeur que le sien. Idem à la Philharmonie de Paris le 28 novembre 2016, quand il s’aperçoit qu’il ne figure pas sur le billet des spectateurs, au contraire de l’Orchestre national de Russie et de son compatriote et pianiste, Mikhaïl Pletnev. Lequel, également chef d’orchestre, finira sur le podium. Plus spectaculaire encore en 2001, sa démission du Bolchoï un an seulement après sa nomination, mécontent de la désertion de certains chanteurs, des problèmes de production et de l’hostilité de la presse moscovite. Il aura eu le temps de créer la version originale de l’opéra Le Joueur de Prokofiev. Depuis 2012, le chef octogénaire était devenu directeur musical de la Chambre du théâtre musical de Moscou.

Champion de la musique russe, pour laquelle il s’est dépensé sans compter, Guennadi Rojdestvenski possède sans doute l’une des plus abondantes discographies de l’histoire de la musique enregistrée, soit quelque 400 albums comprenant 786 opus. Outre les gravures officielles sous des labels comme Melodiya, Chandos, Nimbus, Erato, Decca, EMI, et les enregistrements de concerts édités par BBC Legends, Ica Classics et Brilliant, des disques pirates sont disponibles sur Internet. Car cet homme boulimique n’hésite pas à diriger des compositeurs aussi différents que Nielsen, Hindemith, Berg, Walton, Berwald, Janacek, Busoni, Berlioz, Grieg, Britten, Holst, Honegger, Bruckner ou encore Vaughan-Williams.

Guennadi Rojdestvenski possède sans doute l’une des plus abondantes discographies de l’histoire de la musique enregistrée, soit quelque 400 albums comprenant 786 opus

On lui doit aussi un nombre important de créations, dont la diversité esthétique confirme un éclectisme qui englobe Sofia Goubaïdoulina et John Tavener. Proche de Dmitri Chostakovitch, d’Alfred Schnittke, d’Edison Denisov, ainsi que du violoniste David Oïstrakh et du violoncelliste Mstislav Rostropovitch, Rojdestvenski fera preuve d’une constance sans faille auprès des compositeurs soviétiques brimés par le régime.

« Etre chef d’orchestre, cela n’a rien à voir avec les gestes des bras, c’est une question de rayonnement », disait le grand maestro russe, qui n’a jamais goûté les répétitions, dont il craignait qu’elles ne tuent le concert, ce moment privilégié où tout peut et doit arriver. En témoigne le passionnant documentaire Conversations avec Guennadi Rojdestvenski, que lui a consacré en 2015 le réalisateur et musicien français, Bruno Monsaingeon.

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