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L’homme de radio Jean-Michel Damian est mort

L’animateur et producteur d’émissions de radio et de télévision Jean-Michel Damian, également romancier et journaliste, est mort dans la soirée de mardi 1er novembre au cours d’une opération dans un hôpital parisien. Il avait 69 ans.

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Publié le 02 novembre 2016 à 13h28, modifié le 02 novembre 2016 à 13h28

Temps de Lecture 4 min.

Né le 8 septembre 1947 à Chambéry (Savoie), Jean-Michel Damian s’était initié au piano, au clavecin et à l’orgue avant de sortir diplômé de Sciences Po. Ses premières activités professionnelles, au cours des années 1970, le voient collaborer au programme musical de France Culture et au magazine Politique Hebdo, où il rend compte de livres et s’entretient par exemple avec l’écrivain Pierre Guyotat.

Jean-Michel Damian, voluptueux hédoniste au ventre rond, amateur de cigares et de belles étoffes, charmeur mais volontiers dépressif, avait une vaste culture d’humaniste dans des domaines très divers. Il publie plusieurs ouvrages, dont un roman, Scène dans le bleu (Editions Michel de Maule, 1988), un « space opera de la passion malheureuse » dont l’insuccès lui pèsera.

Mais Jean-Michel Damian était avant tout un passionné de musique. Après France Culture, il se fait connaître d’un plus grand public grâce à des émissions, chaque après-midi, de 16 heures à 17 heures, sur France Inter. Il y officie, de 1975 à 1977, dans le cadre du « Temps de vivre », la tranche alors animée par Jacques Pradel, qui parlait également de psychanalyse (Lorsque l’enfant paraît, de Françoise Dolto) et d’histoire (Alain Decaux, Louis Pauwels, Pierre Salinger).

« Donner à l’auditeur ce qu’il pourrait aimer »

Jean-Michel Damian y laissera un souvenir inoubliable, mêlant, sur une chaîne non spécialisée, les musiques savantes les plus diverses. On pouvait, au gré des humeurs de cette voix de velours, passer de la Sequenza pour voix seule, de Luciano Berio, au Miserere d’Allegri, d’une chanson de troubadour à une pièce de musique extraeuropéenne. Damian, grâce à une culture immense et un don inné de « passeur », avait l’art d’illustrer en son domaine la formule de son collègue Jacques Chancel : « Donner à l’auditeur non ce qu’il aime, mais ce qu’il pourrait aimer. »

L’émission s’arrête à la fin de la saison 1977-1978. Jean-Michel Damian ne quitte pas le service public et présente, le dimanche après-midi, sur FR3, « Espace musical », une remarquable émission de musique classique. Il y recevait en plateau un artiste – qui s’y produisait parfois – ou un musicologue, avant la diffusion d’un concert télévisé.

Fidèle à l’ouverture d’esprit qui lui avait valu sa réputation et coûté sa place à France Inter, Damian y évoquait aussi bien les lieder romantiques avec la grande mezzo-soprano Christa Ludwig que les concertos pour hautbois de Bruno Maderna. (Oui, il y a quarante ans, on pouvait entendre l’œuvre « ouverte » et d’avant-garde qu’est le Deuxième Concerto pour hautbois de Bruno Maderna sur la troisième chaîne…). L’aventure sera elle aussi de courte durée.

« La noblesse du geste »

Proche ami de Jacques Merlet, son collègue de France Culture puis de France Musique, il le retrouve sur cette dernière chaîne, où il fera l’essentiel de sa carrière. Damian y débute en 1980 avec une émission diffusée le samedi, « L’Air du temps de la musique ». Il y produit à nouveau les preuves de son éclectisme, en abordant tous les répertoires.

Damian conservera son accroche sur France Musique chaque fin de semaine. Il y animera, tous les samedis après-midi, jusqu’à son départ forcé en 2009, de longues émissions de plateau. Ce fut d’abord « Désaccord parfait », qui reprenait, sous une forme modifiée, le principe de « La Tribune des critiques de disques », menée par Armand Panigel depuis trente-cinq ans et supprimée par France Musique en 1981.

Cette nouvelle mouture du légendaire programme réunissait, autour d’une table d’écoute, critiques, spécialistes et musiciens. Ainsi que le rappelle l’éditeur phonographique Michel Bernstein dans ses souvenirs, publiés par quobuz.com, « Jean-Michel Damian s’offr[it] un jour le plaisir et l’élégance d’un scoop : offrir à titre d’hommage la réalisation d’une de ses émissions à… Armand Panigel. La noblesse du geste lui aurait valu à coup sûr l’admiration de ses auditeurs ».

Puis ce seront « Les Imaginaires », qui proposaient un tête-à-tête avec un invité, avec la participation d’autres personnalités et de musiciens intervenant en direct du studio 106 de Radio France. Jean-Michel Damian y conviera des musiciens, mais aussi des écrivains, penseurs, scientifiques ayant tous un goût pour la musique. Il reprendra ce principe avec « Cordes sensibles ». Sa dernière émission, « Ce soir on dîne », occupait la soirée du dimanche sur France Musique pendant la saison 2008-2009, sa dernière.

« Chaque micro donne une voix »

Jean-Michel Damian était connu pour ses nombreux monologues – ses entretiens étaient en fait des conversations –, totalement improvisés et parfois très longs, mais il ne coupait pas la parole à ses invités et ne craignait pas le silence.

Il s’en était ouvert ainsi lors de la Semaine du son à Radio France, en janvier 2004, selon des propos rapportés par Franck Ernould dans un post de blog : « Lorsque je fais du remplissage, c’est une machine qui se met en place. En radio, le silence est interdit, alors que, selon Maeterlinck, il est parlant ! Cela dit, sur une longue interview, j’accepte le silence : un rapport privilégié s’instaure, privé et public à la fois, et “relancer” risquerait de couper le flux des paroles. C’est comme une respiration de l’interviewé, je ne veux pas l’interrompre. Parler beaucoup, en fait, c’est ériger une barrière contre quelqu’un. Si on le laisse chercher ses mots, bafouiller, on met l’invité en confiance, et l’interview suit son rythme. »

Quant à sa voix melliflue et irrésistible, elle captiva par sa chaleur propre beaucoup d’auditeurs. Elle fut choisie pour représenter les émissions musicales au musée de Radio France et le gambiste et chef d’orchestre Jordi Savall fit appel à elle pour l’un de ses enregistrements. Jean-Michel Damian y décrivait les épisodes du Tableau de l’opération de la taille, de Marin Marais, une intervention sur la vessie dont peu de patients réchappaient.

Au sujet de ce don vocal et radiophonique, Jean-Michel Damian avait déclaré, lors de la même Semaine du son à Radio France : « Le micro transforme la voix, c’est le même phénomène qu’un visage qui “accroche” la lumière ou non, avec le même hasard : “Que va donner le micro ?” Il y a des voix moches qui sont irremplaçables, celle de Jean-Christophe Averty, par exemple, comme il y a des laids qui sont beaux sur la photo (Gainsbourg, par exemple). Chaque micro donne une voix. »

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