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Célia Bertin (1920-2014), résistante, romancière, journaliste et biographe

Célia Bertin, anciennne résistante, romancière, journaliste et biographe, amie du photographe Henri Cartier-Bresson, s’est éteinte à Paris le 27 novembre 2014.

Par  (Historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)

Publié le 28 novembre 2014 à 18h23, modifié le 19 août 2019 à 14h11

Temps de Lecture 4 min.

Célia Bertin en 2005.

Née le 22 octobre 1920, Célia Bertin, romancière, journaliste et biographe, amie intime du photographe Henri Cartier-Bresson, s’est éteinte à Paris le 27 novembre 2014.

Issue de la meilleure bourgeoisie française, elle tenait de son grand-père paternel, communard et ami d’un fils de Victor Hugo, un solide esprit de rébellion qui ne l’empêchait pas d’adopter une allure victorienne dans ses manières de vivre. Aussi cultiva-t-elle très tôt un anti-conformisme, qui ne cessera de s’accentuer, mais qui s’alliait chez elle à une parfaite connaissance des relations mondaines. Après des études secondaires au lycée Fénelon, elle obtint une licence de lettres à la Sorbonne en étudiant l'influence du roman russe sur la littérature anglaise de l’entre-deux-guerres. Elle possédait une longue habitude des histoires de famille et des généalogies princières et elle savait les respecter sans en être dupe. Car pour cette personne sortie tout droit des Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir, et imprégnée d’une sorte de mélancolie qui rappelait l’atmosphère des romans de Virginia Woolf, le style comptait autant que l’élan de la révolte et l’esthétique de l’existence autant que la passion de la liberté.

Lutte anti-nazie

C’est au nom de cet idéal qu’elle accepta, à l’âge de vingt ans de négliger ses études de lettres pour s’engager dans la lutte anti-nazie. En 1940, à la demande de Pierre de Lescure, compagnon de route du Parti communiste français, elle reçut pour principale mission d’accompagner dans la région parisienne les agents de l’Intelligence Service qui ne parlaient que la langue anglaise et auxquels elle servait à la fois de guide, de protecteur et d’interprète. En 1943, elle dut fuir Paris et en octobre 1944, au lendemain de la Libération, elle fut envoyée en Suisse par Pierre-Henri Teitgen pour une tournée de conférences sur la Résistance. Elle ne regagna la France qu’après avoir guéri d’une forte anémie contractée durant l’Occupation. Elle a évoqué ses souvenirs dans un livre consacré à cette période : Femmes sous l’occupation (Stock, 1993).

En 1946, elle publia son premier roman, La Parade des impies (Grasset) où étaient dépeints des amours lesbiens entre comédiennes. Soutenue par Colette et salué par Jean Guéhenno, l’ouvrage dont le titre était emprunté à un poème d’Arthur Rimbaud, recueillit un vif succès. Célia Bertin poursuivit ensuite une brillante carrière d’écrivain qui la conduisit, après plusieurs romans, à recevoir le prix Renaudot pour un livre dont le titre - La Dernière innocence (Corréa, 1953)- témoignait encore de sa fidélité à l’oeuvre rimbaldienne, mais aussi de l’intérêt qu’elle portait déjà à un adjectif chargé de tout le poids d’un drame généalogique.

Parallèlement, en 1951, Célia Bertin fonde et dirige avec Lescure une revue littéraire consacrée au roman. C’est à la même époque que, chroniqueuse au Figaro, elle s’intéresse à la condition féminine et à la haute couture. Elle collabore à la revue Arts et elle sera souvent sollicitée par les Universités américains pour y être «écrivain de résidence».

Désireuse d’explorer les multiples facettes de l’âme humaine, elle chercha à s’orienter vers des travaux historiques. Et si le personnage de Germaine de Staël l’attirait au plus haut point, c’est finalement la destinée de Rodolphe de Habsbourg qui retint son attention. Pour la première fois, elle mit alors sa plume de romancière au service d’un récit biographique. En retraçant l’itinéraire de ce prince suicidaire, fils de l’impératrice Elisabeth d’Autriche et descendant de la dynastie maudite des Wittelsbach (Mayerling ou le destin fatal des Wittelsbach, Perrin, 1967) Célia Bertin abordait le thème de la dernière filiation. Elle retrouvera le fil avec La dernière Bonaparte, ouvrage publié en 1982, puis trois fois réédité sous le nouveau titre de Marie Bonaparte (Perrin, 2004) et traduit en de nombreuses langues.

Réussites biographiques

En 2004, Benoît Jacquot s’inspira entièrement de cette biographie pour son film Princesse Marie avec Catherine Deneuve dans le rôle titre. Avant même de se pencher sur le drame de Mayerling, en abordant l’histoire de la Vienne impériale à l’agonie, Célia Bertin avait éprouvé le besoin de faire une analyse. En poursuivant sa cure sur le divan de René Laforgue (1894-1962), entre 1957 et 1960, elle ne savait pas encore quel rôle celui-ci avait joué dans la rencontre entre Freud et sa « chère princesse, la dernière Bonaparte ». Au début des années 1990, mariée à l’architecte Jerry Reich, elle sera invitée comme visiting scholar par le Centre d’études européennes de Harvard.

Parmi ses grandes réussites biographiques, on trouve celles de Jean Renoir (Gallimard, 1994), ou de Louise Weiss (Albin Michel, 1999). Dans son dernier livre (Portrait d’une femme romanesque, De Fallois, 2008) Célia Bertin aborde un personnage féminin comme elle les aimait : Jeanne Loviton dite Jean Voilié. Née de père inconnu, cette femme fut le dernier et probablement le plus grand amour de Paul Valéry et suscita des haines et des rumeurs tant elle aimait s’entourer de mystères et façonner des intrigues. Mais Jean Voilié fut aussi une remarquable femme d’affaires qui dirigea la maison d’édition de Robert Denoël qu'elle souhaitait épouser et qui avait été l’éditeur de Céline avant d’être assassiné à la Libération de Paris.

Officier de la Légion d’honneur et des Arts et lettres, Célia Bertin était une Française à demi-américaine, héroïne de la Résistance, d’une exquise politesse, et parfaitement rompue aux moeurs et coutumes des milieux académiques et littéraires de la côte est des Etats-Unis et du Paris de la rive gauche qu’elle aimait passionnément.

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