On pourrait presque parler de Flûte enchantée à l’ancienne, si Cédric Klapisch n’était un débutant : le cinéaste fait en effet avec l’avant-dernier chef-d’œuvre mozartien ses premiers pas de metteur en scène, au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris. Passé un premier quart d’heure tendu et houleux, pendant lequel des intermittents du spectacle ont clamé leurs revendications face à la négociation interprofessionnelle de l’assurance-chômage engagée depuis septembre, la soirée s’est déroulée dans une ambiance bon enfant. Sur le plateau, les images sont élégantes. Particulièrement celles qui touchent au monde de la Reine de la nuit, avec, en fond, sa forêt mystérieuse et luxuriante rappelant celles du Douanier Rousseau, et, à l’avant-scène, de hauts troncs stylisés faits de draperies, des cascades de feuilles rouges.
Dans la ligne mozartienne, Klapisch n’a pas lésiné sur l’aspect populaire du Singspiel créé en 1791 à Vienne par Mozart et son complice, le librettiste Emanuel Schikaneder, au Theater auf der Wieden. C’est ainsi que de nombreux bruitages (vents et roulements de tonnerre, appeaux d’oiseaux), images et illustrations numériques (monstre et animaux) émaillent l’action, tandis que les dialogues parlés, usuellement en allemand, ont été remplacés par des textes en français revus à la mode du XXIe siècle – on y trouve des allusions ironiques au véganisme, au genre, des expressions comme « de ouf » ou « kiffer ». Mais il faut, en conséquence, faire le deuil du beau récitatif qui prélude au rageur « Der Hölle Rache » d’une Reine de la nuit éructant dans des aigus stratosphériques.
Respirations chorégraphiques bienvenues
On gagne en intelligibilité ce que l’on perd en intelligence, au sens littéral. En respectant à la lettre, quoique sans manichéisme, la trame du conte maçonnique mozartien – une Reine de la nuit attachée au monde de la nature, un grand prêtre Sarastro garant de la civilisation (l’épilogue verra l’apparition d’une ville futuriste) –, Cédric Klapisch semble s’effacer derrière la musique, nous laissant, en quelque sorte, sans enchantement parcourir l’espace ouvert par Mozart. En témoignent notamment le déroulement des épreuves initiatiques traversées par Tamino et Pamina dans un curieux décor de voilages, entre sons et lumières (rougeoiements et craquements du feu, bleu blafard et crépitements de la pluie).
Sur le plan scénique, l’œil est flatté par les beaux costumes de Stéphane Rolland et Pierre Martinez (superbe fluidité des robes), les maquillages et les coiffures, sans parler des lumières poétiques d’Alexis Kavyrchine, de la scénographie soignée de Clémence Bezat. Au continuum d’une direction d’acteur juste mais convenue, le travail chorégraphique de Laura Bachman apporte quelques respirations bienvenues : la ronde des sbires de Monostatos, dansant au son des clochettes magiques de Papageno, déclenchera l’hilarité dans la salle.
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