FRANCE 5 – VENDREDI 25 NOVEMBRE À 22 H 35 – DOCUMENTAIRE
Au lendemain de la mort d’Albert Camus, survenue le 4 janvier 1960, Combat, son journal de la Résistance puis de l’après-guerre, titra : « Le meilleur des nôtres ». Le Prix Nobel de littérature venait de périr dans un accident de voiture. Le 6 janvier, il aurait dû retrouver Maria Casarès (1922-1996), « l’Unique », sa « lumière noire », disait-il.
Le 6 juin fut la date anniversaire de leur amour. C’est, en effet, pendant la nuit précédant le Débarquement, en 1944, qu’ils scellèrent au lit leur passion naissante. Le 6 juin, encore, de l’année 1948 cette fois, qu’ils se revirent sur le boulevard Saint-Germain, après que Maria eut rompu leur liaison à la suite du retour en France, en septembre 1944, de Francine, l’épouse d’Albert Camus, retenue à Oran pendant la guerre.
Père de jumeaux, l’écrivain était un homme marié. Désormais Maria Casarès s’en accommoderait, de même que des infidélités de son amant. « Je t’ai parfois trompée. Je ne t’ai jamais trahie », lui jurait-il. De fait, leur liaison se poursuivra jusqu’au décès de Camus, malgré les absences répétées dues à leurs obligations familiales ou professionnelles, et la distance induite par les tournées à l’étranger, sans que jamais s’étiole leur confiance l’un dans l’autre.
Documentariste inspirée, autrice de nombreux films sur des artistes (Orson Welles, Luchino Visconti, Sigmund Freud, Carolyn Carlson, Karen Blixen, Marcel Proust), Elisabeth Kapnist retrace, avec des images d’archives (photos, petits films de vacances) rarement vues, la généalogie et la chronologie de cet amour fusionnel. Celui-ci donna lieu à une flamboyante correspondance, riche d’environ 900 lettres, que Gallimard publia en 2017.
Phrasé souverain
Les épistoliers ont le feu et le verbe, la lucidité et l’intensité. Et, dans ce dialogue de cœur à cœur entendu ici par bribes, les chants d’amour de Maria Casarès ne sont pas moins beaux et pas moins déchirants que ceux de son amant.
Ce sont deux exilés – lui d’Algérie, elle d’Espagne, où elle ne retourna qu’après la mort de Franco en 1975 –, deux tempéraments ardents, « liés l’un à l’autre par les liens de la terre, et ceux de l’intelligence du cœur et de la chair », écrivait Camus. Deux fous de théâtre aussi, « ce brasier magique », selon les mots de l’actrice, qui les réunit souvent (Maria Casarès fut Martha dans Le Malentendu et Dora dans Les Justes, deux pièces de Camus).
Et ce n’est pas le moindre mérite du documentaire d’Elisabeth Kapnist, après la biographie d’Anne Plantagenet (L’Unique. Maria Casarès, Stock, 2021), que de donner à voir les débuts de la tragédienne au Conservatoire, des extraits de sa filmographie – dont Les Enfants du paradis, de Marcel Carné –, son phrasé souverain et nicotiné sur les planches, de la Comédie-Française, où elle entra en 1952, au Théâtre national populaire de Jean Vilar, sa force incantatoire, en Lady Macbeth, dans la Cour d’honneur du Palais des papes, lors du Festival d’Avignon, en 1954.
« Pour moi, tu as toujours été le génie de la vie, sa gloire, son courage, sa patience et son éclat, écrivit Albert Camus à Maria Casarès. Tu riais quand je te disais que tu m’avais appris à vivre. C’était vrai, pourtant. » Ensemble ou séparés, mais toujours unis, ils ont chacun donné le meilleur d’eux-mêmes.
Maria Casarès et Albert Camus, toi, ma vie, d’Elisabeth Kapnist (Fr., 2022, 60 min).
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