Sous son collier de barbe, son visage poupin et ses yeux pareils à deux billes bleues, Marco Ferreri, réalisateur de la célébrissime Grande bouffe (1973), affectait toujours l’air tranquille et débonnaire d’un enseignant en goguette devant les éruptions de colère, d’incompréhension et de haine que ses films déchaînaient. La vérité est qu’il était – dans une cinématographie italienne où la concurrence était rude – un incendiaire de la pire espèce. Hormis Pasolini, on ne lui voit pas d’égal dans la radicalité et la provocation.
En marche vers le stade avancé qui est le nôtre, la dynamique délétère de la société de consommation lui inspirait, voici déjà un demi-siècle, un sentiment de nausée qui nourrissait ses brûlots à bien des égards visionnaires. Ses films – pour le plus grand nombre oubliés et invisibles – le mèneraient aujourd’hui directement en prison, mieux, il ne se trouverait personne pour les produire. Scatophilie, fétichisme, nudité, pédophilie, inceste, automutilation, cannibalisme, suicide, viol… Avec lui, toutes les cases du catalogue scandaleux sont cochées. En même temps, cet Attila du mauvais goût, ce fou furieux blasphématoire, cet athlète exorbité des seventies était un farouche humaniste doublé d’un cinéaste subtilement conceptuel.
Scatophilie, fétichisme, nudité, pédophilie, inceste, automutilation, cannibalisme, suicide, viol… Avec lui, toutes les cases du catalogue scandaleux sont cochées
On peut juger sur pièce, à compter du 26 janvier, à la Cinémathèque française qui programme la totalité de son œuvre, soit vingt-sept longs-métrages plus une poignée de courts. Passons rapidement sur le préambule – naissance en 1928 à Milan, producteur d’un ciné journal alternatif, actorat ponctuel, représentant en spiritueux, vendeur de téléobjectifs, mort en mai 1997 à Paris – et retrouvons-le en Espagne où sa rencontre avec l’écrivain Rafael Azcona, qui deviendra l’un de ses plus fidèles scénaristes, est déterminante dans son passage à la réalisation. Ses trois films espagnols – L’Appartement (1959), Les Enfants (1959), La Petite Voiture (1960) – d’inspiration buñuélienne et formidablement drôles, relèvent de la farce noire sordide servie fumante sous le nez de Franco, évoqué dans le premier de ses titres sous les traits d’un fabricant de pop-corn. Lequel se vengera en censurant le second.
Pour en donner une idée un peu plus précise, disons que dans L’Appartement, un couple de quadragénaires constitué d’une virago et d’un lymphatique attendent la mort d’une dame âgée qui leur sous-loue une partie de l’appartement qu’ils convoitent, et que l’homme, employé de bureau sans envergure, ira jusqu’à épouser la vieille pour entrer dans ses bonnes grâces. Variante : un vieillard paralysé, désireux de s’offrir le même engin motorisé pour handicapé qu’un de ses amis, empoisonne toute sa famille pour ce faire dans La Petite voiture…
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