ARTE - MERCREDI 7 OCTOBRE À 22 h 50 - DOCUMENTAIRE
Plutôt que de proposer « une plongée saisissante dans l’œuvre de Marguerite Duras », ainsi que le présente Arte, le documentaire Pornotropic, Marguerite Duras et l’illusion coloniale, de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea, prend appui sur Un barrage contre le Pacifique, roman que l’écrivaine publia en juin 1950, pour plonger dans les dessous du colonialisme.
Car ce roman trouve sa source dans l’expérience familiale de Duras dont la mère, institutrice en Indochine dans les années 1920, avait acheté un terrain inondable, et donc improductif, dont elle avait espéré faire la source de sa fortune. Elle y perdit toutes ses économies, précipitant son existence de récente veuve et celle de ses trois enfants dans « la misère noire, et blanche : un Blanc pauvre, c’était effroyable », devait se souvenir Duras.
Car les colonies, telles l’Indochine française, étaient sources d’une promesse d’aisance souvent déçue. Pour quelques riches « jauniers » (terme inspiré par « négriers »), combien de vies modestes… Quand bien même, rappelle le documentaire, tous les exilés, jusqu’au facteur, avaient des domestiques indigènes à leur service.
Sujétion des femmes
C’est ce « grand vampirisme colonial » que raconte Un barrage contre le Pacifique à une France encore largement colonialiste, un livre qui, sans déployer un drapeau anticolonialiste, selon l’historien Alain Ruscio, était « de fait un livre anticolonialiste » dans la mesure où, après l’avoir lu, « le Français moyen ne pouvait garder la même opinion du colonialisme ». Il ratera le Goncourt : « Parce que j’étais de gauche : j’étais communiste à ce moment-là », dira Duras au journaliste Bernard Pivot, quelque trente-cinq ans plus tard.
A son mitan, le documentaire aborde le sujet qui justifie une partie de son titre : « Pornotropic ». Car, dans la sujétion des indigènes, celle des femmes était primordiale : « A bien des égards, le livre de Marguerite Duras met le doigt sur des non-dits qui n’apparaissent jamais dans l’histoire officielle, notamment sur la relation au corps », dit l’anthropologue et historienne nord-américaine Ann Laura Stoler, qui a traité ce sujet dans un recueil d’essais de 2002, traduit en 2013, La Chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial (Editions La Découverte).
Un questionnement est soulevé par cette dernière, selon qui Marguerite Duras, tout en dénonçant le système colonialiste, serait, à son corps défendant, « elle aussi pétrie de toutes sortes de stéréotypes ». Ce reproche est malheureusement laissé en l’état, sans véritable développement.
Outre les extraits littéraires, lus par Romane Bohringer, on retrouve de longs passages d’entretiens avec Marguerite Duras
Nonobstant, ce documentaire est remarquable, à la fois dense et fluide, aussi politique que poétique, illustrant les propos des intervenants – ceux d’Ann Laura Stoler et de la politologue Françoise Vergès au premier chef – par des images d’archives et quelques rares scènes reconstituées – un tic qu’on sait gré aux autrices de nous en avoir épargné l’abus.
Outre les extraits littéraires, lus par Romane Bohringer, on retrouve de longs passages d’entretiens avec Marguerite Duras, notamment le fameux numéro d’« Apostrophes » qu’avait animé Bernard Pivot le 28 septembre 1984, peu avant l’obtention par l’écrivaine du prix Goncourt pour L’Amant, l’un de ses éternels retours vers cette période de sa jeunesse.
Pornotropic, Marguerite Duras et l’illusion coloniale, documentaire de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea (Fr., 2019, 53 min). Dans le cadre de la collection « Les Grands Romans du scandale ». Disponible sur Arte.tv jusqu’au 14 janvier 2021.
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