Ce dimanche 24 novembre, Ariane Mnouchkine est heureuse. Tout juste de retour de trois mois au Japon, où elle vient de recevoir le prestigieux Prix Kyoto pour l’ensemble de son œuvre, la plus emblématique des metteurs en scène français, connue dans le monde entier, accuse, certes, un peu le décalage horaire. Mais elle a retrouvé sa chère Cartoucherie, dans le bois de Vincennes, son havre depuis bientôt cinquante ans. Et, à 80 ans, elle frissonne toujours, à trois jours de la reprise de sa pièce Une chambre en Inde. Tandis que sur scène les comédiens ont commencé la répétition du matin, elle nous reçoit dans la cantine du Théâtre du Soleil.
Je ne serais pas arrivée là si…
Sans un événement ou une rencontre que je n’ai en réalité pas encore décelé. On se souvient des traumatismes ou des illuminations. Mais il y a des révélations secrètes qu’on ne range pas sur l’étagère des événements importants. Pourquoi petite fille, avant même de quitter Bordeaux, en 1946, donc avant l’âge de 7 ans, rêvais-je de faire un grand voyage en Chine ? Etait-ce une image dans un conte pour enfant ? Une musique que j’avais entendue ? Une histoire qu’on m’avait racontée ? Aujourd’hui encore je ne sais pas. Mais il a dû y avoir quelque chose puisque pendant toute mon enfance et mon adolescence, ça a été présent. Et je n’y suis jamais allée, car la Chine n’a pas voulu de moi, en me refusant un visa ; puis je n’ai plus voulu de la Chine, en raison de l’occupation du Tibet. Mais le voyage en Asie, autour de la Chine, donc, que j’ai fait à 20 ans a été essentiel. J’ai l’habitude aussi de dire tout ce que je dois à mon père. Je ne serais pas arrivée là sans l’amour et la confiance qu’il avait pour moi, c’est indéniable.
C’est lui qui vous a transmis votre passion artistique ?
Je n’en sais rien. Est-ce lui ou ma mère ? Je suis souvent injuste avec elle, en raison des relations conflictuelles, très conflictuelles, que nous avons eues. Dans sa folie, elle a sans doute aussi provoqué des visions poétiques et des chocs fertiles, y compris dans la résistance qu’elle a élevée en moi. Donc je dois avouer que j’ignore qui m’a transmis cette passion. Si on veut être sincère, on doit se dire que certains événements fondateurs nous échappent. J’allais au théâtre, comme toute jeune fille de bonne famille. J’y ai éprouvé des émotions intenses, vertigineuses même. Mais je ne pensais pas faire du théâtre. Ça, c’est arrivé à Oxford.
Que faisiez-vous à Oxford ?
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