Les Porteurs d’eau, d’Atiq Rahimi, P.O.L, 288 p., 19,50 €.
Lui qui s’exprime en choisissant très précisément ses mots devient soudain hésitant, approximatif, lorsque, en fin d’entretien, on en vient à parler de son nouvel ouvrage, Les Porteurs d’eau, comme d’un « roman ». Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008 pour Syngué Sabour (P.O.L), ne se voit pas comme un romancier. « Je ne sais pas, hésite-t-il, je ne crois pas avoir voulu faire ça. » Il préfère laisser aux critiques le soin de juger à quel genre appartiennent ses textes. « Mais oui, finit-il par reconnaître, j’ai envie d’écrire des romans… Pourtant, j’écris toujours un peu autre chose. » Impossible pour l’auteur, né à Kaboul en 1962, de se sentir à l’aise avec les identités fixes et les assignations à résidence littéraires. « La maladie de l’exilé, dit-il, c’est la schizophrénie. On est toujours ici et ailleurs en même temps. »
Dans Les Porteurs d’eau, c’est la vie de Tom qui incarne le clivage propre aux exilés. « Même l’histoire aussi banale d’un homme qui quitte sa femme pour rejoindre sa maîtresse est modelée par le fait que son protagoniste est un exilé », explique Atiq Rahimi. Il ne suffit pas de se faire appeler Tom au lieu de Tamim pour devenir une personne entièrement nouvelle. « J’ai voulu montrer à quel point, dit-il, même dans la vie intime, même dans le comportement amoureux, l’exil influence les choix et confronte à des dilemmes bien spécifiques. » Mais n’y voyons pas là une manière de déploration : « Le dilemme, c’est très humain. Autant il y en a que cela fait souffrir, autant moi, cela me permet de me sentir vivant ! Sans le doute, l’incertitude et les hésitations, la vie serait bien moins riche. » Tentons d’isoler, sans les figer, les mots-clés qu’une conversation dense et animée avec Atiq Rahimi a pu laisser émerger.
EXIL
Comment ne pas commencer par là ? Avant même de s’installer en France, Atiq Rahimi s’est toujours peu ou prou perçu comme un exilé. « Très jeune, raconte-t-il, je dessinais, j’écrivais des poèmes en persan, je lisais beaucoup. J’étais déjà ailleurs. » Son père est haut fonctionnaire afghan et la famille ne cesse de se déplacer de ville en ville, sans s’enraciner nulle part. « Et puis, ajoute-t-il, quand j’ai eu 10 ans, mon père a été emprisonné pour raisons politiques, après le coup d’Etat de 1973. Cela a mis ma famille un peu à l’écart, nous avons été marginalisés, et j’ai dû m’inventer un autre monde. »
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