Matzneff, Duvert et la cause pédophile !

 

 

Juin 1995 – Bibliothèque de Bordeaux où je suis un habitué pour des recherches bibliographiques  :  je tombe en arrêt devant un livre mis en avant, en tête de gondole, par les bibliothécaires pour inciter à sa lecture :  L’Enfant au masculin de Tony Duvert. J’en connais le contenu –  ouvertement pédophile – et brandis ce livre aux yeux d’une bibliothécaire stupéfaite en lui intimant cet « ordre » : « Je vous demande d’enlever ce livre du rayon ! » « Mais Monsieur, de quel droit ? La littérature est sacrée  ! » Il fallut assez longtemps pour qu’elle comprenne de quoi il s’agissait… elle n’avait pas lu Duvert et reconnut, comme moi, qu’une main malintentionnée avait mis de façon perverse ce livre en avant.

Tony Duvert

Tony Duvert se définit lui-même comme « écrivain pédophile ». En 1967,   il a 22 ans et adresse son premier manuscrit Récidive à Jérôme Lindon, directeur des excellentes Éditions de Minuit, qui voit tout de suite en lui la plume d’un écrivain – et c’est réellement un écrivain. Tout en étant gêné par le contenu explicitement pédophile – à l’époque on disait : pornographique – de ce premier texte, Lindon le publiera de façon confidentielle, en tout petit tirage (700 ex.), sans service de presse, en souscription et dans des librairies spécialisées. Mais les éloges littéraires seront nombreux. En 1979, quelques mois après la sortie de L’Île Atlantique, Duvert accorde une interview à Libération et affirme clairement son objet : « Pour moi, la pédophilie est une culture : il faut que ce soit une volonté de faire quelque chose de cette relation avec l’enfant. S’il s’agit simplement de dire qu’il est mignon, frais, joli, bon à lécher partout, je suis bien entendu de cet avis, mais ce n’est pas suffisant… »  Ces propos – aujourd’hui inimaginables – furent publiés, entendus, acceptés voire encensés par la critique littéraire. En 1973 Tony Duvert avait obtenu le prix Médicis pour Paysage de fantaisie, roman qui se passe dans une maison de campagne où des enfants sont dressés à la prostitution.  Claude Mauriac, François Nourissier, Madeleine Chapsal reconnurent –  « malgré des moments insoutenables » – « un très grand livre ». Roland Barthes fut son défenseur pour le Médicis.

 

Aujourd’hui, les polémiques sont immédiates (30.12.19) : « Dites-donc @libe, vous êtes sérieux avec votre Une ? On ne dit pas « pédophile » mais « pédocriminel ». Et on ne dit pas « ébats avec des enfants et des ados » mais « viols d’enfants et d’ados »» (Elodie Jauneau)

 

Gabriel Matzneff

La trajectoire de Matzneff est assez similaire à celle de Duvert, s’inscrivant exactement dans la même période, revendiquant la pédophilie comme une vertu mais également tenu à la confidentialité par ses éditeurs, partagés entre la fascination qu’exerce l’écrivain et tout de même une certaine réserve par rapport à ses propos.

Matzneff publie beaucoup, depuis longtemps, et chez de nombreux éditeurs. C’est essentiellement son Journal, de 1976 à 1991 aux éditions de la Table Ronde,  de 1990 à 2007 aux éditions Gallimard puis, à partir de 2009, aux éditions Léo Scheer,  sous le titre Carnets noirs. À côté du Journal, de nombreux essais et romans qui décrivent,  pour la plupart dans le détail, ses passions pédophiles. En 1974, chez Julliard il publie Les Moins de seize ans, un essai dans lequel il revendique son attrait pour les « jeunes personnes », mineurs des deux sexes :  « Je ne m’imagine pas ayant une relation sensuelle avec un garçon qui aurait franchi le cap de sa dix-septième année (…) Appelez-moi bisexuel ou, comme disaient les Anciens, ambidextre, je n’y vois pas d’inconvénient. Mais franchement je ne crois pas l’être. À mes yeux l’extrême jeunesse forme à soi seule un sexe particulier, unique. » Sa revendication d’être un « pédéraste » (« initiateur d’enfant ») ou encore un « philopède », terme qu’il utilise dans les Passions schismatiques (Stock, 1977), renvoie à l’institution grecque classique de la pédérastie, relation initiatique d’un adulte marié (l’éraste), avec un garçon pre-pubère (l’éromène) le préparant ainsi à en faire un citoyen. Matzneff dénonce cet abandon des valeurs classiques et par exemple le fait que le « charme érotique du jeune garçon » soit nié par les sociétés occidentales modernes. Et il ajoute : « Les deux êtres les plus sensuels que j’aie connus de ma vie sont un garçon de douze ans et une fille de quinze ».

Largement relayé par les médias, invité sur les plateaux de télévision, soutenu par de nombreux politiques et dans le milieu littéraire, Matzneff sera éditorialiste et chroniqueur à Pariscope, aux Nouvelles littéraires, au Quotidien de Paris, au Figaro, au Monde (de 1977 à 1982), à la Revue des deux Mondes et depuis 2013, il tient une chronique personnelle sur le site du Point. En 1987 et 2009 il reçut deux prix de l’Académie française et, en 2013, le Renaudot essai, pour Séraphin, c’est la fin ! (La Table Ronde).

 

L’éraste et l’éromène
vase grec, VIe s. av. JC.

La cause pédophile

Deuxième souvenir marquant : toujours à Bordeaux mais quelques années auparavant, en 1990, à la fin d’une conférence publique sur l’éducation à la sexualité que je donnais à l’Athénée municipal de Bordeaux, deux hommes passionnés par mon discours vinrent me remercier et me faire cette surprenante demande : « Mon ami et moi, avons été touché par votre ouverture d’esprit. Vous comprenez vraiment ce qu’est la sexualité. Accepteriez-vous de donner une conférence à notre association, pour permettre à chacun de comprendre que des relations avec les jeunes garçons ne sont pas de la pédophilie mais de l’initiation. » Ma réponse a dû être assez cinglante car je n’ai jamais eu de nouvelles de leur part.

Il faut bien comprendre que la libération des mœurs – autour des années 1970 en Occident – a essentiellement été une libération de la sexualité des femmes et des homosexuels, avec une reconnaissance sociale de ces deux catégories discriminées dans l’ordre précédent « sous  domination masculine ». La libération des pulsions féminines et homosexuelles fut alors vécue comme un progrès social considérable : celui de « pouvoir vivre librement la sexualité de son choix ». Les dérives perverses pouvaient alors être comprises comme une transgression libertaire. Et « la cause pédophile » a été ouvertement revendiquée par des associations militantes comme Arcadie puis Act Up. Cette tendance est toujours vivace : en juillet dernier à Amsterdam, un homme se revendiquant du « Front de Libération des Enfants », a distribué en marge de la Gay Pride des tracts demandant l’intégration des pédophiles à la communauté LGBT. Une nouvelle « orientation sexuelle », soutiennent certains… pervers pédophiles !

Les défenseurs de la pédophilie se rapprochent toujours du militantisme homosexuel – notamment ici, en 1971, du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (Fhar), pour y chercher reconnaissance.

Cette « cause pédophile » est ouvertement revendiquée par Duvert et par Matzneff. En 1980, Tony Duvert publie L’Enfant au masculin, dans lequel il fait l’éloge de ses attirances sexuelles, associant homosexualité, pédérastie et pédophilie, comme si ces trois termes étaient synonymes (et donc équivalents) et  affirmant que les rapports sexuels d’un homme adulte avec un enfant relèvent de l’homosexualité du mineur, la répression de la pédophilie n’étant  alors – prétend-il – qu’une poursuite de la persécution des homosexuels. Duvert  se fait ainsi le défenseur du « droit des enfants à disposer de leur libre sexualité ». Toujours dans l’Enfant au masculin,  il revendique avoir eu des relations sexuelles « avec un bon millier de garçons (…) de six ans à cinquante et plus ». Toujours dans le même texte, il poursuit ainsi sa théorisation de « la cause pédophile » : « On a dès lors deux « mauvaises » sexualités : hétéros ou homos exclusives ; et une sexualité « bonne » et « vraie », la bisexualité. Il faut devenir (ou plutôt rester) bisexuel. (…) Ces nouveaux libérés – mais maniaques du il faut – ils n’ont pas encore compris qu’il faut… laisser les gens libres d’avoir la sexualité, voire l’asexualité, qu’ils veulent. »

Gabriel Matzneff, qui professe la même philosophie, veut lever tout amalgame – qu’il trouve pervers – de l’amour des adolescents avec la pédophilie. En 2002, dans une interview à l’Humanité : « Lorsque les gens parlent de “pédophilie”, ils mettent dans le même sac le salaud qui viole un enfant de huit ans et celui qui vit une belle histoire d’amour avec une adolescente ou un adolescent de quinze ans. Pour ma part, je méprise les salauds qui abusent des enfants et je suis partisan de la plus grande sévérité à leur égard. Mais les gens confondent tout (…) S’ils n’avaient pas de la bouillie dans la tête, ils ne confondraient pas des petits enfants qui ne sont pas maîtres de leurs décisions, qui peuvent être abusés et violés, avec des adolescents de l’un et l’autre sexe qui ont le droit de découvrir le plaisir, l’amour, la passion. » (L’Humanité, 13 novembre 2002.)

On retiendra enfin la pétition à l’initiative de Gabriel Matzneff  – pour prendre la défense de trois pédophiles condamnés par la cour de Versailles –  pétition co-signée par 68 intellectuels publiée dans Le Monde (26 janvier 1977) et adressée au Parlement, appelant à l’abrogation de plusieurs articles du Code pénal sur la majorité sexuelle et la dépénalisation de toute relation consentie entre adultes et mineurs de moins de quinze ans. Parmi les signataires : Louis Aragon, Simone de Beauvoir, Jack Lang, Bernard Kouchner et Jean-Paul Sartre, politiques ou intellectuels de tout premier plan qui, aujourd’hui, ne la signeraient évidemment pas. Alors pourquoi un tel décalage ?

Polémique/décalage

Le problème c’est que certains, aujourd’hui, semblent découvrir Matzneff  – je n’ose pas dire Duvert – et qu’ils réagissent violemment – c’est normal – mais avec anachronisme. Que Vanessa Springora, avec le Consentement*, lance un pavé dans la mare de la perversion maladive de certains écrivains est évidemment une bonne chose. On peut simplement se demander pourquoi cette découverte n’est seulement possible et insupportable qu’aujourd’hui en France.

Denise Bombardier : « D’ailleurs on sait que les vieux messieurs attirent les enfants avec des bonbons monsieur Matzneff, lui, les attire avec sa réputation…»

Dans la vidéo devenu virale d’Apostrophe en 1990, les propos de Bernard Pivot sonnent aujourd’hui comme stupéfiants :  « Gabriel Matzneff, vous qui êtes un véritable professeur d’éducation sexuelle… au-dessus de 20 ans on voit que ça ne vous intéresse plus… » et tout le plateau de s’esclaffer ! Seule l’écrivaine canadienne Denise Bombardier réagit comme on l’aurait fait aujourd’hui, en dénonçant « un abus de pouvoir » : « Je crois que je vis sur une autre planète, j’arrive d’un continent avec un certains nombre de choses auxquelles on croit… Moi, monsieur Matzneff me semble pitoyable. »  La réponse de Matzneff est stupéfiante : « Heureusement, je suis un homme courtois, car je trouve insensé de parler comme vous venez de le faire… », retournement de situation typique pour nous, psychiatres, de la pensée perverse.

Cela signait tout simplement l’avancée anglo-saxonne – et tout particulièrement canadienne – en matière de reconnaissance des victimes. Avant les années 80 « sous domination masculine » (comme on dirait « occupation masculine ») la question de l’écoute des faibles ne se posait pas. Les rôles étaient clairement définis depuis des siècles, des millénaires. Chacun – hommes et femmes – les savaient, les respectaient, s’y conformaient et y trouvaient leur compte, les femmes dans le soutien et l’écoute réparatrice au sein du gynécée, les hommes dans la stature d’autorité et le silence de leur position dominante. Il se trouve que le monde a changé avec la naissance du sujet, la reconnaissance des identités, la libération des femmes et des homosexuels. Nous sommes aujourd’hui dans un monde à valeurs féminines, les valeurs d’écoute et de soutien des victimes, terme absent de l’ancien monde et encore absent en France en 1990, alors qu’il était déjà sensible outre-Atlantique. Or beaucoup d’hommes – et malheureusement de femmes aussi – n’ont pas compris que le monde avait changé. C’est cette transition qui assigne aujourd’hui les pédérastes d’hier au rang de pédophiles.

Dérive récente, la victimologie maximaliste joue maintenant comme une revanche sur l’ordre ancien : « tout homme est un violeur » « toute femme est une victime potentielle », position amplifiée par la réaction émotionnelle immédiate des réseaux sociaux.  Il nous faut respecter le sens des mots mais faire respecter le seul interdit formel en matière de sexualité : l’intrusion de la sexualité adulte dans celle des enfants.

 

 

* Vanessa Springora, Le Consentement, Grasset, 2020.

0 réponse sur “Matzneff, Duvert et la cause pédophile !”

  1. Monsieur Brenot, bonjour,
    je vous trouve bien indulgent avec ces intellectuels et ces critiques littéraires.Non, la plupart des gens, comme le dit Jean-Claude Michéa depuis longtemps, étaient effarés comme je l’étais moi-même par ces écrivains adeptes de la pédophilie et s’en vantant.On trouvait ça honteux.Ce n’est pas simplement parce que nous avons changé d’époque et que les faibles, les victimes sont écoutées.
    D’ailleurs, le philosophe Marcel Conche, spécialiste de la Grèce antique entre autres, affirme qu’il est faux de dire que l’homosexualité était honorée.Elle n’était pas interdite mais elle n’était pas bien vue.
    On raconte bien des choses sur les moeurs antiques et j’ai plusieurs fois entendu que les égyptiens étaient incestueux.les dieux, les rois , sans doute mais pas la population?
    Non, je trouve que l’attitude de ces intellectuels entache vraiment le reste de leur philosophie.
    En tous cas, merci pour cet article relatant les principales péripéties de cette mode.

  2. Il aurait fallu parler aussi du suicide de Gabrielle Russier et de l’émotion que cela suscita ds la génération 68.
    Et de l’emprise propre à tte relation « passionnelle »

  3. Bonjour à vous tous et toutes,

    Merci à vous Jeanne, et Marie-Florence,

    je prends le train en marche. Et oui, je trouve aussi que votre article est bien trop bienveillant envers ces criminels de l’Enfance. Des meurtriers impuissants notoires, des intellectuels ratés. Voilà pour beaucoup d’entre eux. Je n’ai pas le goût de la polémique, aussi, je resterai correct. Quand votre vie s’arrête à 8 ans suite à un viol commis dans une cave, et que suivent 15 années de prostitution, vous vous demandez vraiment ce que vous pourriez faire contre de tels monstres, et quel est le monde dans lequel vous vivez. Je n’ai pas non plus le goût du sang. Peine de mort s’abstenir.

    Simplement appliquer ce que demande Mme Muriel Salmona, M. Coutanceau, ainsi que d’autres personnes comme moi : Perpétuité Réelle. Jusqu’à leur ultime souffle, et pas de passe droit.
    Nous n’avons pas eus de vie, mais des cauchemars, sans cesse des cauchemars, des TS multiples, des drogues pour étouffer nos cris, nos sanglots, juste pour survivre à l’Enfer. La majuscule est importante.

    Je relève juste une fin de phrase :  » La perversion maladive de certains écrivains est évidemment une bonne chose. On peut simplement se demander pourquoi cette découverte n’est seulement possible et insupportable qu’aujourd’hui en France. »

    Se demander pourquoi dites vous ? Tout simplement parce que les scandales deviennent trop énormes. Parce que cette horreur de nomme Pédocriminalité d’élite ! Commis par des élites qui sont encore au pouvoir, et qui font les lois ! C’est tout ! Et aussi, parce qu’un déni peut se réveiller au bout 40 ans ou plus. Parfois jamais. C’est ce que nous victimes vivons. Pas plus compliqué que cela.

    Bien à vous. Cordialement.

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