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Marie-José Pérec : « Gagner était une question de vie ou de mort »

La triple championne olympique revient sur sa carrière entre coups d’éclat et polémiques, et livre son sentiment sur l’athlétisme français.

Propos recueillis par  (avec Pierre-Jean Vazel)

Publié le 13 février 2015 à 16h22, modifié le 19 août 2019 à 13h27

Temps de Lecture 7 min.

Marie-José Pérec, victorieuse du 400 m aux JO d'Atlanta, le 1er août 1996.

Plus de dix ans après avoir mis un terme officiel à sa carrière sportive, la triple championne olympique Marie-José Pérec mène à 46 ans une deuxième vie, loin des tumultes passés de sa médiatisation et de sa fuite avant les Jeux de Sydney en 2000. Pour « Le Monde » la Guadeloupéenne a accepté de revenir sur sa carrière.

Ambassadrice auprès de la Fédération française d’athlétisme (FFA), marraine de divers événements comme le meeting féminin du Val-d’Oise, depuis votre retraite en 2004, vous occupez des rôles symboliques. Cela suffit-il à votre bonheur ?

C’est ce qui me plaît. Je peux donner un exemple avec le petit Belocian [Wilhem Belocian, champion du monde et recordman du monde juniors sur 110 m haies]. Je lui ai trouvé une bourse de 15 000 euros. J’essaie de faire de petites choses qui aident les athlètes. C’est ma propre lecture mais je sais qu’il fera partie des très grands. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas envie d’entraîner quelqu’un, de passer du temps au stade.

Beaucoup d’athlètes détestent le 400 m, réputé trop dur. Mais vous, aimiez-vous cette distance qui vous a tant réussi ?

Il faut être un peu maso, mais moi j’adorais. Je l’ai découvert à 16 ans, j’avais fait une minute. Ce beau tour de piste, c’est ce que je voulais faire. Fernand Urtebise, mon premier entraîneur, m’avait dit que ma carcasse n’allait pas tenir ! Ensuite, j’ai réussi à faire accepter à François Pépin de m’aligner sur 400 m.

Vous détenez le record de France de la distance depuis 1988. Depuis votre départ, il n’y a pas eu de finaliste sur 400 m…

Là, il y a une petite qui arrive, Floria [Floria Gueï, 24 ans, championne d’Europe 2014 du 4 × 400 m après une remontée spectaculaire]. Je n’ai pas vu la course en direct mais j’ai vu des bouts sur Internet. J’ai trouvé ça extraordinaire même si je ne connais pas sa performance.

Elle a réalisé le chrono lancé de 49,7 secondes lors du relais. La dernière ligne droite en 13,2 secondes, comme vous lors de votre titre olympique à Atlanta en 1996.

Ah oui, c’est juste extraordinaire alors ! Il faudrait qu’elle fasse la première partie plus vite et le tour est réglé.

Quand vous étiez plus jeune, vous n’aviez pas d’idole. Lorsque vous êtes arrivée aux JO en 1992 à Barcelone, vous connaissiez à peine Carl Lewis… Comment voyez-vous du coup ce rôle de modèle ?

Je me dis que je n’ai pas le droit de ne pas redistribuer quelque chose. Pour progresser, on a besoin des bases de chacun. Je crois que c’est aussi pour cela que durant ma carrière je suis allée chercher ce qu’il me manquait auprès de divers entraîneurs.

Comme vous, des athlètes comme Renaud Lavillenie ou Mahiedine Mekhissi ont changé une ou plusieurs fois d’entraîneur alors qu’ils étaient au sommet…

Je pense qu’ils cherchent autre chose, et, comme ils ne l’ont pas expliqué, les gens ne comprennent pas. Lorsque je suis parti de chez Piasenta [Jacques Piasenta, un de ses premiers coachs], à l’époque le meilleur entraîneur de France, il y a eu des questions. Je rêvais de gagner les Jeux de 1996, mais j’avais envie de le faire à l’image de ce que j’avais vu en 1992 à Barcelone sur le terrain d’entraînement : le sourire de John Smith [célèbre entraîneur américain des sprinteurs Ato Boldon ou encore Maurice Greene] et de ses athlètes. Ils dansaient et n’étaient pas stressés.

Pensez-vous qu’une méthode vous a permis d’être plus performante ?

Chacun a apporté quelque chose à un moment donné. Au début, avec Piasenta, j’avais besoin de rigueur. Au bout de trois ans, on change et j’avais soif de liberté. En Allemagne, avec Wolfgang Meier, j’ai découvert un autre type d’entraînement très lourd, fondé sur la répétition. Il y en a tellement que tu en es à la moitié et tu te dis : « Mais je vais le tuer ! » Piasenta imposait beaucoup de volume ; chez Smith, c’était technique et plus court, en tout cas pour moi, car il s’adaptait. Par exemple, l’hiver, Maurice Greene [champion olympique du 100 m en 2000] faisait des 500 m. Cela permet, l’été venu, d’enchaîner les courses à moins de 10 secondes.

Quelle était l’ambiance dans le groupe entraîné par John Smith ?

Aux Etats-Unis, j’ai trouvé l’émulation en m’entraînant avec des hommes. Lors des séances, je passais la première, et si j’allais plus vite que les temps demandés par Smith, les garçons étaient poussés à faire mieux. On parle de dopage aux Etats-Unis, mais ce que les gens ne voient pas, c’est l’ambiance extraordinaire qu’il y a. Au début des séances, un athlète prenait la parole pour faire un discours et ensuite on priait. Si quelqu’un arrivait le matin de mauvaise humeur, on lui disait : « Eh toi, pourquoi tu fais la tête ? » On le remotivait. On ne retrouve pas cette émulation ailleurs, malheureusement.

Vous avez été la première vraie star de l’athlétisme français. Quelles différences voyez-vous avec les têtes de file actuelles telles que Lavillenie ou Tamgho ?

Lavillenie est bien connu quand même, mais il est vrai que j’étais vraiment sortie de mon sport. Il faut avoir une personnalité pour ça, et d’après ce que j’ai compris, ce n’est pas quelque chose que l’on décide. Beaucoup essaient et n’y arrivent pas. Moi, ça m’est tombé dessus et j’ai plutôt été envahie par tout cela.

Travailler sur votre stress aurait-il permis de dompter vos peurs avant les départs ?

Après le coup de pistolet, j’étais quand même bien relâchée. Lorsque j’écoute les sportifs, je ne me reconnais pas. C’était une question de vie ou de mort pour moi. Une course pas gagnée était la fin du monde. Je voulais toutes les gagner, même les tours dans les championnats. Je ne voulais jamais être en dessous d’un certain niveau et je me prenais au sérieux. Quand on est comme ça, on se met la pression, ajoutée à celle de l’équipe de France. Nous n’étions pas nombreux et on attendait que la favorite rentre avec la médaille. Comme en plus elle n’était pas gentille avec les journalistes, ils allaient la tailler.

Vos rapports conflictuels avec la presse durant votre carrière ont-ils été une motivation ou un frein ?

J’aimais bien savoir ce que l’on écrivait sur moi. Comme tout le monde, c’est humain. Ça m’embêtait de lire certaines choses mais avec le recul, aujourd’hui, je me dis que c’était normal car je ne donnais pas d’informations. J’aimais vivre cachée. J’aimais faire des coups d’éclat et retourner à l’entraînement. Je ne voulais pas me laisser bouffer et donc ça explosait. En France, peu de sportifs se sont fait taper sur les doigts comme moi. Même Laure Manaudou, qui en a pris pour son grade, n’en a pas eu autant et ce n’était pas mondial. Après mon forfait lors des JO en 2000, je suis allée à Charleston, les gens m’arrêtaient, dans des coins des Etats-Unis où personne ne connaît l’athlétisme : « Ah, mais toi tu es la fille de Sydney ! »

A votre époque, l’ambiance en équipe de France était loin d’être au beau fixe…

J’avais mon petit cocon et il n’y avait pas les stages communs. Chacun était dans son groupe d’entraînement. Il y avait des équipes dans l’équipe. Ce que je vois en équipe de France aujourd’hui, je le vivais dans mon groupe d’entraînement aux Etats-Unis, avec Piasenta ou chez Pépin.

Vous avez eu une maternité après votre carrière. En France, à la différence des Etats-Unis ou des pays de l’Est, les athlètes font en général le même choix que vous.

J’avais envie de mener ma carrière car je voulais marquer l’histoire. J’ai toujours eu l’impression que je manquais de temps. Je voulais essayer beaucoup d’épreuves. J’avais envie de battre le record du monde du 400 m haies. Je voulais faire des doublés, je n’en ai fait qu’un. Le corps vieillit trop vite. J’ai eu une vie avant, j’en ai une deuxième maintenant.

Vous avez participé au dernier Marathon de New York. Quel est votre rapport au sport désormais ?

Je n’ai accepté le sport loisir que très tard. Avant cela, de mon arrêt à 2013, je ne faisais pas de sport. Je courais après mon fils, c’est tout… Je n’avais pas envie de faire un effort pour rien. Ensuite, doucement, j’ai commencé à reprendre du plaisir. Désormais, je cours de temps en temps : en novembre, j’ai fait cent bornes. En décembre, dix. En tout cas, je cours.

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