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Le « Massacre » de Poussin et autres atrocités

Dans l’Oise, le château de Chantilly expose une trentaine d’œuvres représentant l’inhumanité de l’homme.

Par  (Chantilly (Oise))

Publié le 14 septembre 2017 à 06h43, modifié le 14 septembre 2017 à 08h29

Temps de Lecture 6 min.

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« Le Massacre des Innocents » (vers 1627-1628), de Nicolas Poussin, huile sur toile.

Le massacre des Innocents : l’expression est pas­sée dans la langue commune pour qualifier un carnage de civils, sans que l’on se souvienne qu’elle vient de l’Evangile de Matthieu. Il raconte comment, croyant se prémunir de la venue du Christ, Hérode, roi de Judée, ordonne de tuer tous les enfants de moins de 2 ans à Bethléem. Jésus lui échappe, ses parents étant partis vers l’Egypte. Depuis des siècles, bien au-delà de cet épisode, le massacre des Innocents est celui des victimes civiles de toutes les guerres, qu’elles en meurent ou disparaissent en les fuyant, comme les noyés de la Méditerranée.

En peinture, Le Massacre des Innocents, c’est une œuvre que Nicolas Poussin (1594-1665) peint à Rome vers 1627-1628. Des représentations du sujet, il y en a eu avant et après, mais c’est lui qui s’est inscrit dans les mémoires et dans l’Histoire, cas exceptionnel d’un sujet dont un artiste se saisit d’une manière si puissante qu’il le fait définitivement sien.

Le testament du duc d’Aumale stipule que ses collections ne pourront être prêtées hors de Chantilly

Cette situation justifiait et rendait risqué le projet de le confronter ­à d’autres versions, antérieures ­ou postérieures. Qui soutiendrait la comparaison ? Il n’en est pas moins tenté au château de Chantilly (Oise). Pourquoi en ce lieu, le plus impropre qui soit à ­accueillir une réflexion sur le tragique de l’Histoire tant il est ostensi­blement luxueux ? Pour une raison juridique.

La toile, restée à Rome dans la famille de son commanditaire, Vincenzo Giustiniani, est achetée en 1804 par Lucien Bonaparte, frère de Napoléon, auquel il est difficile de refuser de le lui céder alors que la ville est sous occupation française. A la chute de l’Empire, après des pérégrinations, le tableau aboutit chez un marchand londonien où il est acquis en 1854 par le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe exilé en Angleterre en 1848. Rentré en France en 1870, le duc se fait construire son château pseudo-Renaissance à Chantilly et y accroche le Poussin. Avant de mourir, il a une idée détestable : son testament stipule que ses collections ne pourront être prêtées hors de Chantilly.

  • « Le sujet a inspiré bien des peintres qui ont multiplié les soldats et les enfants assassinés. Poussin a réduit sa composition à un soldat, une mère qui hurle de douleur et son enfant brutalement piétiné. C’est le massacre d’un innocent, c’est le massacre des enfants de tous les siècles, c’est le massacre des innocents d’aujourd’hui. »

    Nicolas Poussin : « Le Massacre des Innocents », vers 1627-1628 – huile sur toile

    « Le sujet a inspiré bien des peintres qui ont multiplié les soldats et les enfants assassinés. Poussin a réduit sa composition à un soldat, une mère qui hurle de douleur et son enfant brutalement piétiné. C’est le massacre d’un innocent, c’est le massacre des enfants de tous les siècles, c’est le massacre des innocents d’aujourd’hui. » RMN/GRAND PALAIS/MICHEL URTADO

  • « Le tableau peint vers 1610-1612 assura la gloire de l’artiste et c’est en rivalité avec lui que Poussin peignit son propre tableau. L’admirable composition, inspirée par Raphaël, comporte plusieurs mères qui, chacune, exprime son espérance, sa souffrance et sa douleur. Le tableau n’a pas quitté l’Italie depuis l’époque napoléonienne. »

    Guido Reni : « Le Massacre des Innocents », début XVIIe siècle – huile sur toile

    « Le tableau peint vers 1610-1612 assura la gloire de l’artiste et c’est en rivalité avec lui que Poussin peignit son propre tableau. L’admirable composition, inspirée par Raphaël, comporte plusieurs mères qui, chacune, exprime son espérance, sa souffrance et sa douleur. Le tableau n’a pas quitté l’Italie depuis l’époque napoléonienne. » SCALA, FLORENCE/COURTESY OF THE MINISTERO BENI E ATT. CULTURALI

  • « Poussin n’estimait pas le portrait mais finit par accepter de se peindre lui-même pour deux de ses mécènes français. Il précise son âge, 56 ans, son lieu de naissance, Les Andelys, et la date du tableau, 1650. C’est l’image rigoureuse et sans concession d’un artiste conscient de son génie que seules des paupières rougies viennent humaniser. »

    Nicolas Poussin : « Portrait de l’artiste », 1650 – huile sur toile

    « Poussin n’estimait pas le portrait mais finit par accepter de se peindre lui-même pour deux de ses mécènes français. Il précise son âge, 56 ans, son lieu de naissance, Les Andelys, et la date du tableau, 1650. C’est l’image rigoureuse et sans concession d’un artiste conscient de son génie que seules des paupières rougies viennent humaniser. » RMN/GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL DU LOUVRE)/JEAN-GILLES BERIZZI

  • « Pablo Picasso peint “Le Charnier” lors de la période de la Libération. Cette grande toile en grisaille, écho à Guernica, est peut-être tirée des photographies des camps de concentration et rappelle les massacres de la Guerre d’Espagne. »

    Pablo Picasso : « The Charnel House » (« Le Charnier »), 1945 – huile et fusain sur toile

    « Pablo Picasso peint “Le Charnier” lors de la période de la Libération. Cette grande toile en grisaille, écho à Guernica, est peut-être tirée des photographies des camps de concentration et rappelle les massacres de la Guerre d’Espagne. » THE MUSEUM OF MODERN ART, NEW YORK/SCALA, FLORENCE/SUCCESSION PICASSO 2017

  • « Léon Cogniet a voulu renouveler dans ce tableau, présenté au Salon de 1824, un sujet abondamment traité. Plutôt que de le peindre, l’artiste suggère le drame. Il nous montre une mère réfugiée derrière un mur, serrant son enfant contre elle, la main devant sa bouche, tandis que sur la gauche les soldats pourchassent leurs victimes. »

    Léon Cogniet : « Scène du massacre des innocents », 1824 – huile sur toile

    « Léon Cogniet a voulu renouveler dans ce tableau, présenté au Salon de 1824, un sujet abondamment traité. Plutôt que de le peindre, l’artiste suggère le drame. Il nous montre une mère réfugiée derrière un mur, serrant son enfant contre elle, la main devant sa bouche, tandis que sur la gauche les soldats pourchassent leurs victimes. » RMN/GRAND PALAIS/ADÉLAÏDE BEAUDOIN

  • « Invitée à concevoir une œuvre pour l’exposition, Annette Messager a réalisé une grande installation murale composée du mot “Innocents”, dont le “O” renvoie au cri du tableau de Poussin, et du mot “help” ainsi que de divers fragments de corps en tissu et plastique recouverts de résine. »

    Annette Messager : « Innocents, Help », 2017 – filets, fil de fer, tissus divers, résine, peinture acrylique, cordes

    « Invitée à concevoir une œuvre pour l’exposition, Annette Messager a réalisé une grande installation murale composée du mot “Innocents”, dont le “O” renvoie au cri du tableau de Poussin, et du mot “help” ainsi que de divers fragments de corps en tissu et plastique recouverts de résine. » MARC DOMAGE

  • « Vincent Corpet réalise d’abord dans les années 1980, puis dans les années 2000, plusieurs peintures d’après Poussin. Celle-ci, de la série “Fuck Maîtres”, est réalisée à partir d’une copie du tableau sur laquelle le peintre intervient, composant de nouvelles formes et rébus. »

    Vincent Corpet : « Massacre des Innocents », 2010 – huile sur toile

    « Vincent Corpet réalise d’abord dans les années 1980, puis dans les années 2000, plusieurs peintures d’après Poussin. Celle-ci, de la série “Fuck Maîtres”, est réalisée à partir d’une copie du tableau sur laquelle le peintre intervient, composant de nouvelles formes et rébus. » VINCENT CORPET

  • « Au cours des années 1970, les Adami reçoivent les Derrida dans leur villa du lac de Garde dans un esprit bohême et intellectuel. Ils jouent à réaliser des “tableaux vivants”, d’après des chefs-d’œuvre de la peinture. Passe-temps lettré, il s’agit aussi de mieux comprendre la structure des tableaux. »

    Valerio et Camilla Adami, Jacques Derrida et son fils Jean, 1967 : Tableau vivant d’après « Le Massacre des Innocents », de Nicolas Poussin, vers 1975 – photographie

    « Au cours des années 1970, les Adami reçoivent les Derrida dans leur villa du lac de Garde dans un esprit bohême et intellectuel. Ils jouent à réaliser des “tableaux vivants”, d’après des chefs-d’œuvre de la peinture. Passe-temps lettré, il s’agit aussi de mieux comprendre la structure des tableaux. » COLLECTION PARTICULIÈRE/VALERIO ET CAMILLA ADAMI

  • « Francis Bacon se rend à Chantilly pour la première fois à l’été 1927. Il réside tout près, à Saint-Maximin, chez Yvonne Bocquentin, amatrice d’art. Le tableau de Poussin, “le plus crié de l’histoire de la peinture” comme il le dira, le marque profondément. »

    Francis Bacon à Chantilly en septembre 1978 avec Reinhard Hasser, photographie

    « Francis Bacon se rend à Chantilly pour la première fois à l’été 1927. Il réside tout près, à Saint-Maximin, chez Yvonne Bocquentin, amatrice d’art. Le tableau de Poussin, “le plus crié de l’histoire de la peinture” comme il le dira, le marque profondément. » EDDY BATACHE/COURTESY FRANCIS BACON MB ART FOUNDATION. MB ART COLLECTION

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L’exposition qui se tient à l’étroit dans la salle du jeu de paume ne pouvait donc avoir lieu ailleurs, au Louvre ou au Grand Palais, où elle aurait eu un espace digne d’elle. C’est d’autant plus regrettable qu’elle s’organise donc autour d’une œuvre majeure de l’histoire de la peinture et dispose autour d’elle une trentaine d’autres, dont Le Charnier, que ­Picasso a peint en 1944-1945, et Head II, de Francis Bacon, datant de 1949, allégorie monstrueuse de l’inhumanité en l’homme.

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