Les célébrités de Bourgogne Marie Noël, "la bonne dame" d'Auxerre

POÉSIE | Marie Noël est connue pour sa poésie. La postérité a retenu les plus lumineux de ses poèmes. Mais Marie Noël a également laissé une œuvre en prose qui jette une lumière grise sur le rose de ses poèmes.
Le Journal de Saône et Loire - 30 avr. 2020 à 07:00 | mis à jour le 27 déc. 2022 à 17:53 - Temps de lecture :
En janvier 1966, Marie Noël reçoit le grand prix de la Poésie de la Ville de Paris. Photo prise à Escolives-Sainte-Camille. Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne.
En janvier 1966, Marie Noël reçoit le grand prix de la Poésie de la Ville de Paris. Photo prise à Escolives-Sainte-Camille. Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne.

Marie-Mélanie Rouget naît à Auxerre, le 16 février 1883, ruelle des Véens. Elle connaît une enfance sans histoire. Son père est agrégé de philosophie au lycée de la ville, il est adepte des idées des stoïciens. Sa mère est plutôt pieuse. Bien qu’agnostique, son père ne s’oppose pas à ce que la petite Marie-Mélanie reçoive une éducation religieuse. C’est son parrain, Raphaël Perrier, inspecteur d’académie à Blois, qui va découvrir le précoce talent de cette petite fille de bonne famille qui a la chance de vivre dans un milieu très cultivé. Pour autant, sa vocation poétique et son amour profond et sincère de l’art ne parviennent pas à la rendre pleinement heureuse. La jeune Marie-Mélanie Rouget souffre de ne pas se trouver jolie. Celle qui ne va pas tarder à devenir une ardente chrétienne est d’autant plus mélancolique que sa santé est fragile et qu’elle pleure en secret un amour de jeunesse déçu. D’un naturel pudique, elle n’en parlera guère, mais ce qu’elle ressentira comme un abandon constituera un échec cuisant son existence durant. Elle qui passera à la postérité sous les traits d’« une aimable vieille fille » que l’on peint volontiers comme « pieusement retirée » derrière les murs de sa maison natale qu’elle ne quittera pratiquement jamais. Elle enfouit dans son cœur le douloureux souvenir de ce mystérieux amour de jeunesse enfui dont, à la vérité, elle ne se remettra jamais et dont on ne sait pas grand-chose. Celle qui tous les matins de sa vie, sans jamais déroger, ira suivre l’office à la cathédrale d’Auxerre toute proche de sa demeure, demeure que ses amis et biographes décrivent « blottie à l’ombre de la vieille cathédrale », vivra son existence dans l’attente toujours vaine, d’un grand amour qui ne viendra jamais.

La poétesse française Marie Noël (1883-1967)• Crédits : Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne.
La poétesse française Marie Noël (1883-1967)• Crédits : Société des sciences historiques et naturelles de l'Yonne.

De Marie-Mélanie Rouget à Marie Noël

Un autre drame va marquer l’existence de la future poétesse auxerroise que nombre de critiques s’accordent à considérer comme la meilleure poétesse du XXe  siècle. Son jeune frère, prénommé Noël, décède le 27 décembre 1904. Cette disparition plongera Marie-Mélanie dans une profonde détresse et elle ne s’en remettra jamais véritablement. Marie-Mélanie Rouget qui a trouvé un salutaire refuge dans l’écriture comme dans la religion, choisit, en guise de pseudonyme, le patronyme de Noël. Mais si mademoiselle Rouget a choisi ce pseudonyme, c’est peut-être aussi pour une autre raison, de manière à faire un choix totalement positif. Noël connotant en effet dans l’inconscient, la joie, tous les délices de la gourmandise, la fête dans sa profonde convivialité. Or, malgré tous les tourments qui l’assaillent, tous les doutes qui la ravagent, Marie-Mélanie devenue Marie Noël a fait le choix du versant du soleil. Toute une partie de son œuvre s’inscrit en pleine lumière. Courageusement, choisissant délibérément contre vents et marées de s’inscrire du côté de la colline où brille le soleil, Marie Noël compose des poèmes lumineux.

Le choix du soleil

C’est dans cet esprit, délibérément rassurant et pleinement optimiste, qu’elle compose toute une partie – qui est souvent hélas, trop méconnue – de son œuvre. Tout au long de ces belles pages en prose où ne sourdent ni tristesse ni amertume, Marie Noël se souvient des jours les plus heureux de son enfance. Elle évoque les années enfuies, quand elle était âgée de huit à treize ans et qu’elle était « une petite vendangeuse » dans les vignes de son père, le professeur Rouget. Dans un texte particulièrement autobiographique et intitulé « Le cru d’Auxerre », elle ne se lasse pas d’évoquer les « glorieuses récoltes » familiales qui se déroulaient dans les anciennes vignes, héritées de son grand-père Barat, vignes aux noms fleurant bon l’Auxerrois : Migraines, Champeau, Boussicats, Clairions, Champoulains. C’est avec une émotion communicative que la Bourguignonne qui toujours sommeillera en elle, même aux pires heures de doute, se souvient de la Vigne reine, Sainte- Geneviève, quatre arpents de pinot qui donnèrent en 1893 « un vin dont jamais nul autre des meilleures années ne fit oublier la merveille ». C’est à une chronique des temps anciens qu’elle se livre et tout un pan de la vie en Bourgogne nous est contée sous sa plume allègre. À cinq heures, son père se rendait à la louée, Place des Fontaines, pour embaucher des vendangeurs auxquels se joignaient des voisins. Avant d’aller dispenser son enseignement de la philosophie, le professeur Rouget ramenait ses équipes de vendangeurs à la maison et leur versait la traditionnelle goutte « qui chasse le brouillard ». Quelques heures plus tard, la petite fille partait pour la vigne, en compagnie de son frère. Dans son panier, le casse-croûte de huit heures : miches de pain, têtes d’ail, et fromage de Soumaintrain qu’elle n’hésite pas à qualifier de « roi moelleux et doré des crèmes bourguignonnes » dont elle loue avec gourmandise « la saveur richissime ». Armée de sa serpette et de son panier la future poétesse se mettait à l’ouvrage dans sa perchée, coupant le raisin et picorant les plus belles « grumes ». Elle avoue sa préférence pour le Plant-Rouge, haut en couleur, le Tressot aux longues grappes « grand jus petit sucre. » C’est comme une abeille qu’elle s’attaquait alors au « mielleux gamay » et surtout, confie-t-elle « délices des délices – au Pinot, blanc ou cendré, dont les grains ne sont pas plus gros qu’un œil de caille. »

Poésie d’enfance

Toute la poésie de l’enfance avec sa douceur de vivre et sa légèreté, Marie Noël saura également la traduire dans son œuvre poétique. C’est sans doute là que réside la partie la plus connue de son œuvre, celle qui a été vulgarisée dans les anthologies à destination du grand public et dans les manuels scolaires. S’inscrivant dans la veine populaire, Marie Noël chante comme les trouvères des temps anciens ; elle compose une poésie simple, fraîche et familière. Il y a les poèmes légers :

« M’en allant par la bruyère

– Buisson rouge, buisson blanc –

Pour cueillir la fleur dernière

Qui pousse au milieu du vent

Buisson rouge, buisson blanc, buisson au loin buissonnant. »

« Chants et Psaumes d’automne », Stock, 1947.

 D’autres poèmes, toujours dans la même veine, écrits sur le même ton, introduisent sur un fond bucolique une teinte de mystère :

« La belle Chèvre-Feuille

Fleurit à la Saint-Jean,

Au temps où l’Amour cueille

Toutes les fleurs des champs.

Elle a bondi plus vive

Qu’un petit chevreau blanc :

« Qui me fera captive ?

Est-ce un de ces galants ? »

« Chants et Psaumes d’automne », Stock, 1947.

 

Mais, étonnamment, dans ces poèmes en apparence lumineux, que l’on fait étudier aux enfants dès les petites classes et qui font les belles heures des cahiers de récitations, souvent, affleure, délicatement mais douloureusement une vague inquiétude. C’est notamment le cas dans cet extrait dans lequel l’abondance lancinante des questions installe un doute qui va croissant :

« Je vais cherchant… le temps est bas…

Sur une route abandonnée

Mon pays qui n’arrive pas.

Tous les jours sont partis. L’année

Sans me voir tourne autour de moi…

Pourquoi ?…

Je ne sais où mon cœur absent

M’appelle au loin dans sa contrée…

Je ne sais où… Le Roi passant

Sur le chemin m’a rencontrée.

Pourquoi s’approche-t-il de moi ?

Pourquoi ?… »

«Chants d’arrière-saison » (1961)

 

Un autre extrait, tiré du même recueil, exprime lui aussi une mélancolie profonde. La poésie cesse d’être légère. Des thèmes nouveaux surgissent et l’on sent la narratrice comme perdue dans un monde étrange qui va peu à peu lui devenir étranger. On est loin désormais de l’image d’Épinal de « la vieille fille d’Auxerre » heureusement confite en dévotion et trouvant la paix et la sérénité dans le calme de son existence provinciale :

« Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,

Que les barques de loin entourent d’élans

Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,

Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville »

« Chants d’arrière-saison » (1961)

Marie Noel
Marie Noel

Des contemporains illustres comme Montherlant ou comme Anna de Noailles apprécient et vantent l’œuvre de Marie Noël. Ainsi l’auteure du recueil « Les Éblouissements », qui n’était pas particulièrement tendre avec ses consœurs aura, parlant de l’Auxerroise, cette formule élogieuse entre toutes : « Le poète, ce n’est pas moi, c’est elle. » L’abbé Brémond, éminent spécialiste de la poésie qui fut à la fois son confident, son mentor et son ami, et qui avait grande autorité et grande légitimité en la matière, n’a cessé de l’encourager à composer, surtout quand elle connaissait des moments de manque de confiance en elle et de désarroi. Sans doute, nombre de ces observateurs avaient-ils traversé le mur des apparences pour découvrir sous le ton badin, faussement simple et enjoué, une profondeur aux accents poignants mais retenus. Dans le même esprit, Marie Noël rédige également et publie des contes de Noël : « Contes » (1945), « L’âme en peine » (1954), « La rose rouge » (1960). Ces textes dont le ton d’ensemble est souvent édifiant et qui sont généralement teintés d’une certaine naïveté, ont contribué à donner à la poétesse de Bourgogne – que certains avaient surnommé « la fauvette d’Auxerre » – la réputation d’un auteur simple dont l’œuvre facile était prioritairement destinée aux enfants.

« Notes intimes »

En 1959, Marie Noël publie chez Stock un ouvrage intitulé « Notes intimes ». Elle précise qu’à part quelques pages qui sont antérieures, ces Notes intimes ont été rédigées à partir de 1920, au cours d’une crise d’angoisse religieuse. Elle avoue qu’elle était alors trop faible pour se consacrer pendant de longs moments à l’écriture, mais qu’elle avait cependant besoin de coucher sur le papier ce qu’elle ressentait. L’abbé Mugnier, qui jouait en quelque sorte le rôle de directeur de conscience auprès d’elle, lui conseilla alors de noter, de temps en temps, ses impressions et ses pensées « pour aider ma solitude », se borne-t-elle à écrire.

« Pour m’aider ». « C’est sous ce titre que je commençai de les jeter sur un cahier et, depuis, j’ai toujours gardé cette habitude. » La dernière phrase de cette sorte d’avertissement préliminaire est : « Je pense que ce n’est pas une lecture pour tous. » À lire les « Notes intimes », on s’aperçoit, qu’effectivement, le cahier en question tient davantage du brûlot que du journal intime d’une bonne bourgeoise de province, vivant recluse à l’ombre de la cathédrale d’Auxerre. Il y a les crises mystiques récurrentes, douloureuses, les appels à Dieu et les périodes d’abattement moral, quand la foi chancelle. Mais d’autres saintes, Marguerite-Marie Alacoque, de Paray-le-Monial, par exemple, pour ne citer qu’elle, nous ont habitués à ces adresses au divin qui ne sont pas toujours des actions de grâces, mais qui peuvent devenir de véritables cris de détresse, sur fond de révolte avec abondance de reproches. Ce qui est fort intéressant parce que déjà très inattendu dans « Notes intimes », c’est le regard porté sur la province. Regard qui manque singulièrement de tendresse, de charité et de compassion. Regard qui met à mal les douceurs de la vie de province telle qu’on se plaît parfois à les imaginer dans une ambiance de sain voisinage, de franche solidarité, alors que les cités – au premier chef d’entre elle, Paris – seraient le lieu de tous les égoïsmes, de toutes les indifférences. Dans le genre du texte qui n’était sans doute pas « une lecture pour tous », la description d’un enterrement en province. L’auteur commence ainsi son texte : « Famille d’autrefois en province, composée de gens qui retombent – les femmes surtout – indéfiniment les uns sur les autres. » Elle les peint d’abord comme « fidèlement joyeux, le matin du jour de l’an et, le jour de la Toussaint, fidèlement tristes. » Présents aux obsèques où ils ne manquent pas d’accourir, comme ils l’ont fait aux mariages, « entre temps, ils – elles se surveillent, se jalousent, se gênent mutuellement, se jugent, se jaugent… ». Marie Noël, la poétesse des chansons au ton naïf, n’hésite pas à porter l’estocade : « Telle parente en entrant chez l’autre fouille de l’œil l’armoire qui baye, épie l’odeur de la cuisine, regarderait – s’il se pouvait – sous tes jupes, sous tes ongles, en s’informant de tes nouvelles… »

La statue de Marie Noël avec sa canne et son panache blanc. Une sculpture de Pierre Brochet installée sous la tour de l’Horloge à Auxerre. Photo Josette Laliaux, Ville d’Auxerre.
La statue de Marie Noël avec sa canne et son panache blanc. Une sculpture de Pierre Brochet installée sous la tour de l’Horloge à Auxerre. Photo Josette Laliaux, Ville d’Auxerre.

La solitude et les honneurs

À Michel Manoll, l’un de ses biographes, Marie Noël n’avait pas hésité à confier qu’il avait découvert la source la plus profonde et la plus constante de son inspiration : la solitude. Toujours dans ses « Notes intimes », elle livre cette confidence pour le moins glaçante, s’agissant de Dieu : « Il m’a tirée du néant : Ah ! Seigneur, Seigneur, qu’avez-vous fait ! ». Des remarques de ce genre sont fréquentes dans cet ouvrage pour le moins étonnant où plane sans cesse l’ombre de la mort : « La mort serait peut-être une extase définitive. Ou perte totale de l’âme dans tout ce qui ne fut pas Dieu… dans les ténèbres extérieures. »

Étrange destinée que celle de cette Bourguignonne célèbre en son temps, quelque peu oubliée de nos jours. Étrange œuvre que celle de cet écrivain à la poésie faussement limpide, à la prose beaucoup plus décapante. Elle fut passionnée, tourmentée, mystique, collectionnera les prix et les honneurs mais il est clair que ces reconnaissances officielles de son talent ne constituèrent qu’une piètre consolation. De toute évidence, elles ne parvinrent jamais à apaiser la profonde tristesse qui l’étreignit durablement dès le sortir de l’enfance. À sa mort, le 23 décembre 1967, Marie Noël lègue son œuvre à la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne. C’est cette société savante, fondée en 1847, qui assure la gestion et le rayonnement de son œuvre.

Les consécrations officielles et les prix littéraires virent en nombre récompenser l’Auxerroise. L’Académie française, la Société des gens de lettres l’honorent. La maison de la Poésie ira même jusqu’à lui décerner le prix Jose-Maria Heredia. Exception notoire quand on sait que le prix en question ne récompensait que les poètes ayant composé des sonnets ! C’est à son ami l’abbé Brémond que Marie Noël dut cette insigne faveur qui la combla d’aise. Elle reçut également le prix Alice-Louis Barthou, le prix Isabelle Mallet. En 1957, c’est celui de l’Unanimité et en 1958, celui de la Paulée de Meursault. En 1962 : le grand prix de poésie de l’Académie française et enfin, en janvier 1966, c’est à l’hôtel de ville qu’elle reçoit le grand prix de la Poésie de la Ville de Paris. Elle était également depuis 1954 maître ès jeux floraux, ainsi que de plusieurs autres académies de province.

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