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Interview de Georges Fenech : « Le problème de la police, c’est la justice »

IMPUNITÉ - C’est, en l’occurrence, celle des magistrats idéologues et des politiques lâches qui est pointée.

Charlotte d'Ornellas , Mis à jour le
Georges Fenech à Nice, le 28 mai 2021.
Georges Fenech à Nice, le 28 mai 2021. © Nice Matin/Dylan Meiffret/MAXPPP

Ancien juge d’instruction et député honoraire, Georges Fenech se sert de son expérience dans les univers judiciaire et politique pour pointer leurs responsabilités respectives dans la hausse de la délinquance et de la criminalité. Entre la prise de pouvoir d’une idéologie au sein de l’institution judiciaire et la lâcheté des hommes politiques devant ce constat, personne n’est épargné. Georges Fenech fait partie des rares observateurs à avoir compris le cri du cœur d’un syndicat de police : « Le problème de la police, c’est la justice. » Il ne remet pas en cause le dévouement du personnel judiciaire, mais la manière dont la justice a fini par être pensée et rendue en France. 

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Vous signez un livre sur l’ensauvagement de la France, dont vous imputez la responsabilité à des magistrats et des politiques… Les deux domaines dans lesquels vous avez fait carrière ! Quel est le but de cet ouvrage ?

L’idée centrale est d’expliquer comment un clan idéologisé a pris le pouvoir dans les années 1970. Ce n’est pas simplement un sentiment mais une succession de faits : peu à peu, certains ont réussi à appliquer leur vision d’une justice inspirée par une idéologie parfaitement structurée, portée par des gens intellectuellement brillants, que l’on appelle « la défense sociale nouvelle ». Élaborée en Italie, cette doctrine est simple : le crime serait le produit des discriminations sociales et de la misère ; la répression n’est donc pas une solution puisque le criminel est la première victime. Les adeptes de cette vision angélique de la justice ont réussi à s’imposer avec l’arrivée de la gauche au pouvoir et de Robert Badinter au ministère de la Justice. J’ai vu l’évolution de l’intérieur sur le rapport à la prison, l’aménagement des peines, le changement d’état d’esprit par rapport à la nécessité de la sanction. Tout a commencé avec la création, dans la foulée de Mai 68, du Syndicat de la magistrature. 

Ce syndicat ne représente que 33 % des magistrats. C’est beaucoup, mais ce n’est pas majoritaire. Que lui reprochez-vous ?

Qu’il y ait des syndicats professionnels n’est pas un problème, mais qu’il existe un syndicat qui revendique de faire entrer le débat politique et social dans le prétoire, qui refuse ouvertement d’appliquer des lois, qui fait du jugement un acte politique et qui appelle à faire battre tel ou tel candidat à la présidentielle est complètement inédit en démocratie. Vous avez raison, ce syndicat ne réunit « que » 33 % des magistrats, mais cela ne reflète en rien sa véritable influence. Ils ont été fort habiles pour être présents dans les instances disciplinaires, dans les commissions d’avancement ou au Conseil supérieur de la magistrature par exemple. Ceux qui n’adhèrent pas à leurs idées, et ils sont majoritaires, finissent par se taire par crainte pour leur carrière. Leur dernière victime en date s’appelle Tony Skurtys, président de la comparution immédiate à Paris, jugé trop sévère par certains collègues : ils ont eu sa peau sans même avoir besoin d’une procédure disciplinaire. Il faut ajouter à cet entrisme le soutien d’un bon nombre de médias, auquel les hommes politiques sont très sensibles. Résultat : l’idéologie a essaimé dans les lieux de pouvoir. Le plus célèbre est d’ailleurs le fondateur du syndicat, Louis Joinet, conseiller de Mitterrand puis de Jospin, qui veillait sur toutes les nominations sensibles.

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Les magistrats ont des idées et des convictions. Comment envisageriez-vous leur « dépolitisation » ?

Que les magistrats aient des idées est évidemment respectable. Mais il existe un statut qui interdit d’interférer dans les débats politiques. Or ce statut n’est absolument pas respecté par ce syndicat sans que personne ne le rappelle jamais à ses obligations. Nous avons tenté, il y a des années, de créer une association pour contrer cette politisation : nous avons été vilipendés, calomniés, nous avons essuyé des procès en sorcellerie et des préjudices de carrière, sans recevoir le moindre soutien public de responsables politiques… La mère des réformes serait la dépolitisation de l’institution judiciaire, parce que cette idéologie a une immense responsabilité dans la hausse de la délinquance et de la criminalité.  

Avez-vous l’impression d’être mieux compris aujourd’hui, alors que les enquêtes d’opinion montrent des Français très critiques sur le « laxisme » de la justice ?

Les Français sont critiques depuis longtemps envers leur système judiciaire. Le problème est politique. Les responsables devraient se donner enfin les moyens d’assurer l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif évidemment, mais aussi au sein même de la magistrature ! Regardez la récente interview d’Emmanuel Macron dans Le Point : il constate que les prisons sont surchargées et en déduit que la justice n’est pas laxiste. C’est un déni de réalité stupéfiant. Les prisons sont (trop) pleines, en effet, parce que nous manquons de place face à la réalité de la criminalité. Et l’impunité est réelle, tant les peines sont dévitalisées.

Adhérents au Syndicat de la magistrature ou non, les magistrats sont soumis à la loi, aux places de prison, au nombre de dossiers, aux règles des aménagements de peine… Le politique n’a-t-il pas une responsabilité infiniment plus grande que les magistrats ? 

Bien sûr que oui ! Il y a une double responsabilité politique : ne pas se donner les moyens de dépolitiser la justice d’une part, ne pas avoir le courage de réformer les lois et les procédures d’autre part.

Vous évoquiez la gauche précédemment, mais vous regrettez également l’absence de réaction de la droite. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Je bats sincèrement ma coulpe car, en effet, cette idéologie que je dénonce a aussi contaminé la droite politique française, lui faisant prendre des décisions contraires à la volonté des Français. Ma conviction est que prédomine sur l’échiquier politique une volonté non assumée, mais très partagée, de ne jamais déplaire à cette magistrature conquérante.

À l’inverse, n’existe-t-il pas des hommes politiques qui méritent d’être poursuivis ou condamnés ? 

Il en existe et ils doivent être poursuivis, car nul n'est au-dessus des lois. Que les juges s’intéressent aux financements de campagnes et aux errements financiers de la vie politique est évidemment une très bonne chose, mais la crainte gagne parfois les plus honnêtes.

Le risque n’est-il pas aussi de se retrouver avec des hommes politiques qui ne pensent la justice qu’à travers leurs affaires, c’est-à-dire du côté de la défense et non des victimes ?

Il est vrai que certains dispositifs ont pu être pensés par des gens qui s’imaginaient en bénéficier un jour. Mais il n’y a pas que cela : le formalisme excessif résulte également des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme… qui procède en grande partie de cette même idéologie.

Vous évoquez l’épineuse question de la suppression du juge d’instruction qui est quand même le seul à être réellement indépendant des éventuelles pressions politiques !

Je ne veux pas le supprimer mais l’élever en juge de l’instruction, autrement dit, totalement indépendant de l’enquête. Il est anormal qu’un juge cumule à la fois les pouvoirs d’enquête et juridictionnels. Le corollaire indispensable, en effet, est l’assurance d’un parquet indépendant. Mais c’est de plus en plus le cas : non seulement le Conseil supérieur de la magistrature les protège en donnant son avis sur les nominations, mais les pouvoirs du garde des Sceaux à leur endroit s’est considérablement réduit au fil des années, avec la suppression des instructions individuelles.

Vous écrivez : « La société française s’est insidieusement judiciarisée avec l’irrésistible ascension du juge constitutionnel, administratif, défenseur des droits, celui de l’audiovisuel, de l’informatique et des libertés, de la Bourse, du juge européen, international… » Là encore, la responsabilité est celle du politique… 

Nous avons assisté au démembrement du pouvoir politique par le politique, au profit d’instances qui n’ont d’autre légitimité que leur nomination. Le pouvoir politique s’est défaussé sur ces instances qui l’empêchent aujourd’hui d’agir, ou pire, agissent à sa place. C’est la souveraineté politique, et donc populaire, qui est en jeu. Il va falloir du courage pour restaurer la souveraineté issue du suffrage universel.

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