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Christian Piquemal, un général entre deux eaux

Idole des mouvements d’extrême droite antimigrants, le général Piquemal va être mis à la retraite. En sortant de garde à vue, il a d’abord pris ses distances avec Pegida, avant de se raviser.

Stéphane Joahny , Mis à jour le
Le général Piquemal va être mis à la retraite.
Le général Piquemal va être mis à la retraite. © AFP

"Ça coûterait moins cher de les mettre dans un centre de rétention, propre et tout, avec des douches, et puis on les ferait partir 50 par 50, sans les tabasser, rien…" En attendant que le pupitre, la sono et les drapeaux tricolores se mettent en place sur l'esplanade du Trocadéro, les discussions vont bon train. Ils sont plusieurs dizaines, par petits groupes de tous âges, à évoquer la situation à Calais, leurs souvenirs de manif contre le mariage pour tous et, bien sûr, le cas du général Piquemal : "Ils ont voulu faire un exemple pour nous faire taire!", martèle une dame blonde…

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C'est pour protester contre l'arrestation de l'ancien chef de la Légion qu'ils ont bravé le froid jeudi soir à Paris. Contrairement à la manifestation de Calais samedi dernier, le rassemblement, initié par le parti Souveraineté, identité et libertés (SIEL), proche du Front national, n'est pas interdit mais doublement encadré par des CRS et un service d'ordre maison, sous le regard circonspect des touristes venus admirer la tour Eiffel. Les organisateurs en sont certains : ils auraient été des milliers… si le général ne s'était pas "déballonné".

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"Une honnête carrière d'apparatchik militaire"

Grandiloquente, Christine Tasin, de Résistance républicaine, pensait enfin avoir trouvé en Piquemal son "Charles Martel" pour entamer la "Reconquista". Au micro, elle doit se résoudre à faire applaudir, en lieu et place du général, un "jeune de 25 ans", Loïc Perdriel, visage de Pegida France, émanation hexagonale de l'organisation islamophobe née en Allemagne ("Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident"), à l'origine de la manif interdite de Calais. Si différentes chapelles de l'extrême droite sont représentées ce 11 février pour scander "Islam hors d'Europe" ou "Socialistes en prison", toutes se reconnaissent désormais dans un combat commun contre les "envahisseurs rebaptisés migrants" et "l'islamisation de la France", sous l'appellation de "patriotes".

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C'est d'ailleurs le label qu'a choisi le général Christian Piquemal quand il a créé en 2015 son Cercle de "citoyens-patriotes". Depuis son "rétropédalage" à l'issue de sa garde à vue qui s'est terminée à l'hôpital et sa prise de distance avec "des groupes pas fréquentables à côté desquels [il] ne veut plus être", le général ne souhaite plus parler à la presse. Pas plus que le secrétaire général du Cercle, Jean-Claude Houlné, un ancien de l'UNP (Union nationale des parachutistes), association que le général Piquemal a longtemps présidée. "Tout ce que je peux vous dire, c'est que le général n'a pas organisé la manif et qu'il n'appartient pas à Pegida", indique son avocat parisien, Me Denis Tailly-Eschenlohr, lui-même ancien capitaine de paras et membre de l'UNP. Christian Piquemal doit comparaître le 12 mai devant la justice.

Est-ce la peur de perdre sa Légion d'honneur en cas de condamnation, comme le suggère un bon connaisseur des mœurs militaires, qui est à l'origine de ses "regrets" exprimés en début de semaine? Toujours est-il que le "martyr de la dictature socialiste" du week-end est aussitôt devenu un "traître", un "Baderne Powell" pour les plus enragés… "Il a été mon chef direct pendant quatre ans. C'est quelqu'un de bien", modère un ancien sous-off de la Légion qui le voit régulièrement. "C'est malheureux ce qui lui est arrivé. Les extrêmes, c'est jamais bon…" Moins charitable, le général Jean-René Bachelet décrit dans une tribune un officier supérieur qui n'a connu qu'"une honnête carrière d'apparatchik militaire" à mille lieues du rôle de "grand chef" de l'armée française que certains lui prêtent…

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"Pas de volte-face… Pas de capitulation! Je ne renie rien!"

Applaudissements d'un côté. Prise de distance de l'autre, à commencer par celle de l'Union nationale des parachutistes. L'"affaire Piquemal" fera-t-elle trembler l'institution militaire? "Il y a dans l'armée des gens proches de l'extrême droite. Il suffit d'aller à Saint-Nicolas-du-Chardonnet pour s'en rendre compte, mais cela ne fait pas d'eux des putschistes pour autant", décrypte le chercheur Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite. "Autant la question du mariage pour tous avait touché une corde sensible chez les militaires, autant l'agitation autour de Piquemal ne crée pas de remous particulier dans l'institution en dehors d'une minorité", relativise-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense, qui n'entend pas pour autant en rester là.

Selon nos informations, Jean-Yves Le Drian s'apprête à demander la mise à la retraite du général Piquemal. Âgé de 75 ans, Christian Piquemal bénéficie en effet du statut de 2e section, qui permet à plus de 5.000 officiers généraux de se prévaloir du grade de général, de continuer à porter l'uniforme et de bénéficier d'avantages fiscaux, à condition d'observer le devoir de réserve cher à la Grande Muette…

"On va passer pour des rigolos : 60 personnes!"

Comme si l'intéressé avait anticipé cette décision avant de repartir à l'assaut, il ne conclut plus ses communiqués par la signature "général de corps d'armée (2s) Christian Piquemal", comme c'était le cas le 4 février avant d'investir Calais. Désormais, c'est d'un simple "Communiqué de Christian Piquemal – président du Cercle de citoyens patriotes" qu'il signe ses prises de position. La dernière en date, mise en ligne le 11 février, se veut martiale à souhait : "Pas de volte-face… Pas de capitulation! Je ne renie rien! Le combat continue! Prochainement, j'aurai l'occasion de m'expliquer clairement et de confondre mes détracteurs! […] VIVE LA FRANCE ÉTERNELLE!"

Piquemal, combien de divisions? Dans une vidéo qui circule sur le Net, on peut voir le général quelques heures avant la manif de Calais discourir et s'inquiéter devant ses maigres troupes : "On va passer pour des rigolos : 60 personnes! C'était bien la peine d'alerter les télévisions…" Un peu plus tard, il fait également référence à une réunion qui se serait tenue le 16 janvier à Paris dans le but de "fédérer" dans une "alliance" tous les "mouvements patriotiques"… Seront-ils présents samedi 20 février à Calais pour une nouvelle manifestation antimigrants?

"En dehors de Piquemal, regardez qui était là le 6 février : des Calaisiens en colère, des gens du Parti de la France, quelques skino-nazis… Calais est en train de devenir le point d'agrégation de tout un tas de gens violents qui ne rêvent que d'aller au contact des migrants", s'inquiète Jean-Yves Camus. Les premières arrestations dans leurs rangs ont eu lieu cette semaine. Parmi les mis en examen, au moins un participant à la manifestation du 6 février.

Source: JDD papier

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