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Bernard Tapie, histoire d'une météorite politique

De 1988 à 1994, la petite entreprise de Bernard Tapie lui a permis de conquérir presque tous les mandats. Mais les affaires ont eu raison de sa spectaculaire ascension.

David Revault d’Allonnes , Mis à jour le
Bernard Tapie en 1992, lors de son premier Conseil des ministres.
Bernard Tapie en 1992, lors de son premier Conseil des ministres. © Sipa

Il en a longtemps rêvé. Certes, comme sur tous les sujets, ses déclarations, au fil du temps, ont varié. En 1986, interrogé par le magazine Playboy sur ses ambitions présidentielles, il avait nié en bloc : "Je n'ai jamais eu cette pensée idiote." Six ans plus tard, à la même question, cette fois posée par Marie Claire, il affirmait le contraire : "Oui, bien sûr!" De son entrée en politique, en 1988, à son explosion en vol, six ans plus tard, Bernard Tapie , assurément, a pensé à l'Élysée. Patron remuant et médiatique, il fut le premier à transformer son capital entrepreneurial et sa notoriété en ressource politique. Jusqu'à conquérir tous les mandats électifs possibles, ou presque, et entrer au gouvernement. Tout est allé très vite. Jusqu'à sa mise hors jeu par les magistrats, à quelques encablures de l'élection présidentielle de 1995.

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Tout nouvel entrant, en politique, se doit d'avoir un parrain. Pour Tapie, ce fut bien sûr François Mitterrand. La première rencontre entre les deux hommes, en 1982, aurait été organisée par le publicitaire Jacques Séguéla. Mais c'est la seconde, deux ans plus tard à l'initiative du secrétaire général de l'Élysée, Jacques Attali, qui a scellé l'amitié entre les deux hommes. Le Président, grand bourgeois féru de littérature et d'histoire, est bluffé par l'énergie de ce fils de prolo remuant et bling-bling, si différent des apparatchiks socialistes dont il s'est entouré dans sa conquête du pouvoir. Quant à l'entrepreneur, il est moins convaincu par l'engagement à gauche du chef de l'État que par l'intelligence stratégique de l'homme de pouvoir. Un "cador", dit-il.

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Pour sa première élection, Tapie ne perd que de quelques voix

Printemps 1988. François Mitterrand, après sept ans au pouvoir, dont deux de cohabitation, prépare sa réélection, et sa future majorité. Cela fait maintenant deux ans que Tapie est installé aux commandes de l'OM, qu'il a extirpé des profondeurs du classement pour l'installer en tête du championnat de première division. Le voilà bombardé agent électoral du chef de l'État, et propulsé aux législatives, à Marseille. Lui ambitionne alors de se mesurer à Jean-Marie Le Pen , dans la 8e circonscription des Bouches-du-Rhône. Mais hors de question, pour les socialistes locaux, d'offrir une telle rampe de lancement à ce nouvel entrant, qui ne manquera pas de les concurrencer.

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Tapie atterrit donc dans la 6e, qui penche nettement à droite. En dépit d'une campagne émaillée de quelques dérapages, ainsi lorsqu'il qualifie les électeurs du Front national (FN) de "salopards", Tapie fait bonne figure : il ne perd que de quelques voix. L'élection sera annulée par le Conseil constitutionnel. Elle se rejoue le 29 janvier 1989 : l'entrepreneur est cette fois élu, avec 623 voix d'avance, et fait son entrée au Palais-Bourbon.

Avec Le Pen, le débat manque de tourner au pugilat

Tapie-Le Pen. Sa capacité à mener cet affrontement a longtemps constitué, aux yeux des socialistes, l'un des meilleurs atouts du nouveau député. Rares sont ceux, à l'époque, qui se risquent à se mesurer, en débat, à ce redoutable adversaire qu'est le parrain de l'extrême droite française, alors en pleine ascension. Bernard Tapie, lui, monte au Front, sur TF1, le 8 décembre 1989. Deux populistes face à face, chacun dans son style. C'est du brutal. Le débat manque de tourner au pugilat. Littéralement : Tapie propose à Le Pen de sortir pour vider leur querelle à coups de poing. "Il vous en cuirait", rétorque ce dernier. Réplique de Tapie : "Regardez-moi et regardez-vous…" Invité un peu plus tard à l'émission L'Heure de vérité, en 1990, Tapie jure, certain de sa capacité à disputer à Le Pen le vote des catégories populaires, de "ramener le FN au-dessous de 10% en moins de dix-huit mois".

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Quand l'OM gagne, c'est le PS qui gagne

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Cette promesse, comme beaucoup d'autres, ne sera jamais tenue. Mais peu importe : Tapie a la cote. "Quand l'OM gagne, c'est le PS qui gagne", aurait estimé Pierre Mauroy, le premier chef de gouvernement de Mitterrand, selon Le Quotidien de Paris, en 1992. C'est l'époque où les personnalités socialistes se pressent dans les loges du Vélodrome avant de repartir vers la capitale dans les avions du GLAM (Groupe de liaisons aériennes ministérielles). Le gouvernement, l'homme d'affaires en avait été écarté par Michel Rocard, Premier ministre nommé après la réélection de Mitterrand en 1988.

Premier ministre en exercice à être mis en examen

Quatre ans plus tard, la donne a changé. Le 2 avril 1992, Bernard Tapie est nommé ministre de la Ville dans le gouvernement de Pierre ­Bérégovoy. Il n'y restera que cinquante-deux jours, au cours desquels il s'illustrera surtout par une avalanche d'idées et de projets plus saugrenus et inapplicables les uns que les autres. Jusqu'à son inculpation pour "abus de biens sociaux, complicité, présentation de faux bilans" dans une vieille affaire de différend commercial autour de la revente à Toshiba d'une société détenue par Tapie. C'est la première fois, sous la Ve République, qu'un ministre en exercice est mis en examen. Il a beau hurler au complot politique, le voilà contraint à la démission, le 23 mai.
Le vent commence à tourner. Et quand Tapie, fin décembre 1992, fait son retour au gouvernement après un non-lieu, de plus en plus de socialistes prennent leurs distances. François Hollande, alors simple député de Corrèze : "La première fois, c'était une erreur. La deuxième fois, c'est une faute."

 

Mais, aux yeux de François ­Mitterrand, l'homme peut encore être utile. Il l'a prouvé quelques mois plus tôt, à l'occasion des élections régionales, pendant lesquelles il a conduit la liste Énergie Sud, dans les Bouches-du-Rhône, avec l'investiture officielle du PS. Son slogan : "Ici, on va étonner la France." De fait, alors que la gauche subit une déroute, la majorité présidentielle, dans le département, résiste mieux qu'ailleurs : la liste Tapie y recueille 26,49% des suffrages, devançant celle de Jean-Claude Gaudin, finalement élu.

Début 1993, Tapie, qui vient d'avoir 50 ans, rejoint le MRG, le Mouvement des radicaux de gauche. L'OPA doit lui permettre de rebondir aux prochaines législatives, qui s'annoncent désastreuses pour la gauche. Pari gagné : alors que le PS subit la pire défaite de son histoire, avec 57 sièges seulement, lui est réélu député de Gardanne, en banlieue de Marseille. La petite entreprise politique Tapie n'est pas encore en faillite. Il envisage même une investiture comme tête de liste aux européennes de 1994. Une belle exposition, et potentiellement un bon score, qui le mettraient en position de peser sur la présidentielle de 1995. Voire plus…

En janvier 1994, son immunité parlementaire est levée

Ça tombe bien : après la déroute aux législatives, Mitterrand a vu Rocard faire main basse sur le PS, au détriment de son protégé Laurent Fabius. Et Tapie constitue un excellent moyen de boucher à ce gêneur la route de l'Élysée. Le voilà propulsé tête de liste Énergie radicale pour les européennes de 1994 avec, derrière lui, Christiane Taubira . Dans le marasme d'une gauche encore sonnée, Tapie occupe l'espace, et les médias. En novembre 1993, Rocard s'agace : "Il faudrait beaucoup plus que Bernard Tapie pour mettre de l'eau dans le gaz entre les socialistes et les radicaux de gauche, dont nous sommes les alliés depuis le Front populaire." Grossière erreur. Le 12 juin, au soir du scrutin, la liste Tapie recueille 12,04% des voix. Celle de Rocard 14,47%. Un score catastrophique, à l'époque, pour le PS. L'opération torpillage a fonctionné.

La carrière politique de Tapie, pourtant, est proche de son terme. Les affaires s'accumulent : comptes de l'OM, Crédit lyonnais, Phocéa… Et bien sûr, l'affaire VA-OM, qui verra le député des Bouches-du-Rhône embarquer l'ex-ministre PS et maire de Béthune, Jacques Mellick, dans un rocambolesque mensonge destiné à lui fournir un alibi. Aux cantonales de 1994, il a certes emporté le canton de La Belle-de-Mai, à Marseille, sur un score à l'albanaise : 68%.

Ce sera sa dernière campagne. En janvier 1994, son immunité parlementaire a été levée. En juin, son domicile de la rue des Saints-Pères perquisitionné, avant que la juge Eva Joly ne le mette en examen dans le cadre de l'enquête sur la gestion du Phocéa. En décembre, il est mis en faillite et déclaré inéligible. À l'époque, il cumule les mandats : député européen, conseiller général, régional et député. Il n'en conquerra pas d'autres. Ni aux municipales à Marseille, ni à la présidentielle. En politique, Tapie, c'est fini. S'il délivrait à l'envi ses conseils et analyses depuis plus d'un quart de siècle, son influence s'est depuis limitée à appeler à voter pour Nicolas Sarkozy en 2007, puis pour Emmanuel Macron , dix ans plus tard.

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