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À bientôt 101 ans, l’amiral Philippe de Gaulle se confie au JDD : « Ça n’a pas été drôle d’être le fils du Général »

À l’hôtel des Invalides à Paris, Philippe de Gaulle a reçu notre journaliste pour se confier sur ses relations avec son père. 

Catherine Nay , Mis à jour le
L’amiral Philippe de Gaulle, lundi à l’hôtel des Invalides à Paris.
L’amiral Philippe de Gaulle, lundi à l’hôtel des Invalides à Paris. © Gilles Bassignac pour le JDD

Que de sombres anniversaires pour un fils qui fêtera ses 101 ans à la fin de l’année. Le 8 novembre, celui du décès de sa mère Yvonne. En 1978. Le 9 novembre celui de son père Charles. En 1970.« Le mois de novembre est une grande faucheuse », déplorait ma grand-mère.

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Mais l’amiral Philippe de Gaulle ne s’abîme pas dans la nostalgie ni le regret mélancolique puisqu’il vit avec l’Histoire. Très tôt, presque au berceau, il avait perçu que son père appartenait à une espèce à part. Sa taille exceptionnelle d’abord mais surtout sa personnalité tellement au-dessus du lot. Un prototype. Et voilà que l’histoire de sa famille dont il fut lui aussi acteur s’est conjuguée avec l’histoire de France. Un privilège unique. Un honneur. Une charge. Sa chance est de garder en mémoire, même s’il y a forcément des lacunes, assez de souvenirs pour partir en voyage. S’évader alors qu’il ne se déplace plus guère. Son Netflix, il l’a dans la tête. « Je regarde peu la télé. » On le croit lorsqu’il affirme : « Je ne m’ennuie jamais. » Il écrit aussi. « Je note mes réflexions pour mes petits-enfants. »

Pensionnaire à l’hôtel des Invalides

Il reçoit à l’hôtel des Invalides. Il y est pensionnaire depuis le mois de mars. « Je vous attendrai à l’entrée, et nous monterons dans ma chambre », m’avait-il dit. On croise peu de monde dans les longs couloirs où flotte une odeur d’eau de Javel. L’amiral marche courbé en s’aidant d’un déambulateur. « Chaque jour pendant vingt minutes, mais pas plus », confie-t‑il. Quand il se redresse, on note sa ressemblance avec son père. L’ambiance n’est pas folichonne. Ses fils, il en a quatre, viennent rarement le voir. « Mes belles-filles, elles, plus souvent. » Il s’en accommode. « Je suis grand-croix de la Légion d’honneur, mes obsèques se passeront à côté, à la cathédrale ; au moins, je suis sur place », lâche-t‑il avec détachement et cette pointe d’humour qui font sa marque.

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« Le mois de novembre est une grande faucheuse »

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Avant, il était pensionnaire dans une maison de retraite chic pas loin du pont de Neuilly. « Il n’y avait que des femmes, on prenait le thé avec des petits Lu, on jouait au bridge. Mais vous savez, les femmes ne mangent que des yaourts et des compotes, les hommes préfèrent les plats où il y a des saucisses, et pour la cuisine c’est mieux ici. » Comme son père, il apprécie les nourritures roboratives.

Le dîner est servi à 18 heures dans une vaste salle à manger mal éclairée. Aux murs, quelques photos de paysages maritimes et un grand portrait en pied sinistre et cocasse d’un ancien gouverneur des Invalides. La conversation à table avec ses commensaux, toujours les mêmes et tous plutôt mal en point, n’est pas très stimulante. « Que voulez-vous, c’est un hôpital militaire ! »

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Le rejeton mâle d’un monstre sacré

Faites le test : Louis XIV, ­Napoléon, de Gaulle. Ces noms qui ont fait rayonner la France sont peut-être les seuls connus de tous les Français. C’est dire qu’il n’a pas été chose aisée tous les jours d’être le rejeton mâle d’un monstre sacré.

Ce que concède l’amiral. « Ça n’a pas été drôle d’être le fils du Général. Ni moi ni ma mère ne pouvions rien dire. Quand Vincent Auriol était à l’Élysée, son fils en était le secrétaire général, c’est lui qui faisait tout et cela n’étonnait ni ne choquait personne. » Être le fils du Général exige d’abord beaucoup de patience. Il faut répondre à toutes celles et ceux qui vous interpellent : qu’aurait pensé votre père ? Qu’aurait-il dit ? Et puis il y a eu le temps des inaugurations dans l’­Hexagone et ensuite le classement des archives. « Plus de 118 000 pièces ! J’ai tout fait moi-même. Je les ai déposées aux Archives nationales, idem à la Bibliothèque nationale. » Entre 1980 et 1997, il a publié treize tomes de Lettres, notes et carnets de son père. Il était, juge-t‑il, « le seul à pouvoir le faire ».

 

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J’ai été courageux. Qui l’a dit ? Personne. Et en prime, on m’a toujours pris pour un con.

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Lorsque la famille de Gaulle a ouvert la Boisserie au public, au début des années 1980, l’amiral avait accueilli la presse, parmi elle Jean Mauriac, journaliste à l’AFP, fils de l’écrivain François Mauriac. Il m’avait raconté lui avoir lancé : « Ah, j’aurais tellement aimé être le fils du Général. » Ce qui lui avait valu cette réplique cinglante : « Ah ! J’aurais voulu vous y voir, vous. Moi, j’ai fait la guerre. Et ce n’est pas pour me vanter, mais j’aurais pu disparaître plusieurs fois. Je suis même encore étonné d’être vivant aujourd’hui. J’ai été courageux. Qui l’a dit ? Personne. Et en prime, on m’a toujours pris pour un con. » « C’était un cri du cœur », m’avait dit mon confrère.

Il aurait apprécié d’être nommé compagnon de la Libération

 

Le Canard enchaîné le surnommait Sosthène. On comprenait que c’était désobligeant sans savoir à qui l’hebdomadaire faisait référence. Était-ce Sosthène de La Rochefoucauld, fervent soutien de Louis XVI, un duc benêt ou un personnage issu d’une nouvelle de ­Maupassant, Mon oncle Sosthène, que l’auteur qualifiait de « libre penseur par bêtise » ? Pas très gratifiant en effet. Sans importance ? Voire. « Je sais tout, vieux garçon, ta position n’a pas été facile », lui glissait parfois son père pour le réconforter. Philippe de Gaulle aurait apprécié d’être nommé par lui compagnon de la Libération. Il le méritait. « Il a été le premier ­compagnon de son père : il s’est engagé dès le 20 juin 1940, il avait 18 ans », attestait Geoffroy de ­Courcel, lui-même premier Français à partir pour Londres avec le général de Gaulle dans l’avion mis à sa disposition par Churchill.

Pour ne pas prêter le flanc à des accusations de népotisme, le père s’y était refusé.

En avril 1945, Philippe de Gaulle a reçu la croix de guerre des mains du général Leclerc, preuve que sa bravoure était reconnue. Il avait 24 ans. Si la volonté paternelle eût été autre, il serait aujourd’hui le dernier survivant des compagnons, ce qui lui vaudrait d’être inhumé dans la crypte du Mont-Valérien. Une façon de revisiter l’Évangile : les premiers seront les derniers. Le 11 novembre 2021, cet insigne honneur échut à Hubert Germain. Mais Philippe de Gaulle a choisi depuis longtemps sa sépulture. Ce sera à Colombey, au côté de sa femme Henriette de ­Montalembert, décédée en 2014, dans un caveau près de celui de ses parents.

Une grande confiance en son fils

 

Le ­Général avait une grande confiance en son fils. En 1964, président de la République, il doit subir une opération de la prostate. Il lui envoie une lettre accompagnée d’une enveloppe cachetée. « À publier en cas de décès », « dans le cas où le peuple français devrait élire son successeur immédiat ».

Il ajoutait en post-scriptum : « Je dis “mon ­successeur immédiat” parce que j’espère qu’ensuite c’est toi-même Philippe qui voudras et pourras assumer à ton tour la charge de conduire la France. » Signé : « Ton père très affectionné. » Le Général voyait-il en lui un dauphin ? « Il ne m’en a plus jamais reparlé et moi non plus. Je l’ai pris pour une bonne parole. »

Un autodafé ­shakespearien

Autre petite blessure perceptible, la froideur de sa mère. ­Philippe de Gaulle ne fut pas un bébé dorloté. « Dans les familles de la haute bourgeoisie, on ne chouchoutait pas les garçons. Ma mère avait été élevée par une gouvernante qui la menait à la baguette. À l’époque où je suis né, si c’était une fille qui arrivait dans un foyer, il fallait la conduire à l’état civil où un fonctionnaire le vérifiait. Si c’était un garçon, pas besoin, on tamponnait sur sa fiche “service militaire”, sous entendu “bon pour faire la guerre”. Ma mère n’embrassait ses enfants qu’une fois par an pour la bonne année. » Ses réservoirs de tendresse, Yvonne les destinait à un seul, son mari. La personne qu’elle aimait le plus au monde.

Quelques jours après sa mort, elle avait tout brûlé, ses vêtements, le lit où il dormait, le matelas, et même cassé la vaisselle de son petit déjeuner qu’elle lui montait tous les matins. « Pas de reliques », disait-elle. Cette intimité ne pouvait appartenir qu’à eux deux. Les voisins avaient cru qu’il y avait un incendie à la Boisserie. Mais non. C’était juste un autodafé ­shakespearien.

Sans doute le handicap de leur dernière fille, Anne, fut un frein à ses élans. « Anne ne pouvait rien faire. Ma mère était accaparée par elle jusqu’à saturation. » De cette petite sœur qu’il cajolait, il dit : « Je suis sûr qu’elle se rendait compte qu’elle n’était pas normale. »

Une petite rébellion

Lorsque Philippe de Gaulle est parti à la guerre, sa mère lui avait donné une vieille montre, avec ce commentaire : « J’espère que tu dureras plus longtemps qu’elle. » À la fin de la guerre, lorsqu’il était rentré chez ses parents, aucun des deux ne lui avait posé de questions. Ils considéraient qu’il avait juste fait son devoir. Son père ne racontait rien. Une attitude qu’il avait jugée un peu raide et frustrante.

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À l’ombre d’un grand chêne, les jeunes plants ne reçoivent pas assez de soleil

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D’où une petite rébellion. Il venait d’obtenir une permission de trois mois, la première depuis cinq ans. Avant de s’envoler pour les États-Unis faire un stage aéronautique. Ses camarades de ­Stanislas l’avaient invité à sortir avec des jeunes filles. « Je suis rentré à 1 heure du matin, mon père s’est mis en colère. “Tu n’as rien d’autre à faire que sortir en ville pour faire la bamboche ?” » Le lendemain, il s’était rendu au ministère de la Marine pour demander à aller encadrer les nouvelles recrues à Bordeaux. Fin de la permission, ce qui avait chagriné son père. « Tu ne pourrais pas changer ça ? » Et le fils avait répondu : « Non, trop tard. » Un caractère, donc. Mais quand il se compare, il se console. Ainsi Randolph Churchill, que son père le grand Winston prenait pour un attardé et méprisait. Sa mère disait ne l’avoir jamais aimé. « À l’ombre d’un grand chêne, les jeunes plants ne reçoivent pas assez de soleil », avait-il écrit. Une triste existence qui le fit sombrer dans l’alcool. Tenant moins bien le whisky que son père, il est mort à l’âge de 57 ans. « Moi, je ne me suis pas suicidé », dit l’amiral. En réalité, le Général était très affectueux avec lui. « Mon cher enfant que j’aime de tout mon cœur », lui écrivait-il.

L’amiral de Gaulle est en paix. On le sent satisfait de sa carrière militaire qu’il a choisie contre l’avis de son père, qui l’aurait bien vu diplomate. Navale, dans l’armée, c’est le dessus du panier, des dominateurs sûrs d’eux, dit-on. Et ce n’est pas rien de commander l’escadre de ­l’Atlantique. La moitié de notre marine de surface. « J’ai été reçu à ce titre chez les Soviets, du temps de ­Brejnev avec Kossyguine et ­Podgorny. Ils étaient très aimables… » Ça n’est pas rien de finir inspecteur général de la marine avec rang d’amiral cinq étoiles. L’équivalent de chef d’état-major. On lui demande ce qu’il pense du conflit russo-­ukrainien ; il répond, laconique : « Il ne faut pas se séparer des Russes, ce sont des Européens. »

Lorsque la reine Elizabeth II est morte, il a envoyé une lettre de condoléances au roi Charles III. Demandant « à Sa Majesté de vouloir accepter ses vœux pour le royaume et l’Irlande du Nord alliés de la France libre et pour leur nouveau souverain qui tiendra une place capitale dans l’Europe ». « J’ai essayé dans ce message de faire ressortir la place que la Grande-Bretagne doit tenir en Europe. Sa séparation est néfaste pour tous. » Que pense-t‑il du président Macron ? Il l’a rencontré une fois chez l’un de ses fils. « C’est un homme éloquent… trop ! Il est jeune. Il fait de l’expérience politique. Pour l’instant, personne ne peut le remplacer. Alors on en est là. » Il n’en dira pas plus.

 

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