Marina Carrère d'Encausse: "À 50 ans, j'ai décidé de m'y mettre"
INTERVIEW - La fille de l’historienne Hélène Carrère d’Encausse et la petite sœur de l’écrivain Emmanuel Carrère s’est longtemps trouvée trop nulle pour s’autoriser à exister par elle-même. Le succès du Magazine de la santé, qu’elle présente depuis douze ans avec Michel Cymes, lui a donné tort. La journaliste et jeune romancière s’est révélée une femme passionnée par les autres.
Allô, Docteur?
Le Magazine de la santé, personne n'y croyait au début. Michel Cymes et moi voulions faire de l'information médicale grand public. C'était l'époque où des associations de patients se créaient. Avec l'épidémie du sida, tout d'un coup, ils se prenaient en main. C'était le début de la démocratisation sanitaire. On s'est dit qu'on avait un rôle à jouer comme lien entre les médecins hospitaliers et les patients qui demandaient à être acteurs de leur santé.
Les premières questions des téléspectateurs étaient très pointues. C'étaient des questions de droit, d'économie médicale. Je me souviens que j'y répondais par Minitel. Puis, Internet est arrivé. Ce qu'on y lisait était affolant. Les témoignages ne reflétaient pas l'ensemble des malades. On a voulu apporter aussi cette correction d'information.
J'ai toujours voulu être médecin. Dans une famille un peu pesante intellectuellement , j'avais besoin d'un endroit à moi. Je lisais cet auteur anglais, Archibald Joseph Cronin, qui écrivait des livres de médecine à l'eau de rose. Je me souviens que je voulais trouver le vaccin contre le cancer. Je pense que j'aurais été malheureuse si j'avais fait un autre métier. Et puis Sciences-Po, c'était déjà encombré par ma famille.
C'était l'été, je venais de terminer ma thèse de médecine. Je ne sais pas pourquoi, avant de partir en vacances, j'avais laissé ma carte d'étudiant à un copain en lui demandant de choisir pour moi si je n'étais pas là pour l'orientation à la rentrée. Nous avons pris la voiture. Mon père conduisait. Alors que nous roulions vers Biarritz, la voiture a percuté un arbre. Juste avant, alors que je m'endormais, j'avais pensé à tourner la tête dans l'autre sens pour éviter qu'elle ne rentre dans la vitre en cas d'accident. Ça a été le cas : traumatisme crânien, côtes fracturées, pied brûlé… J'étais à la place du mort. Sans ma ceinture de sécurité, je ne serais plus là… J'avais 24 ans. Il n'y avait pas d'Airbag ni d'appuie-tête. J'y pense souvent, j'ai encore des séquelles. Mais je n'ai jamais réemprunté cette route et ma thèse est restée dans la voiture.
Marina Carrère d’Encause : "Mes révoltes contre... par lejddRéapprendre à marcher
Je ne sais pas si la vie réserve des cadeaux après des épreuves difficiles, mais on devient plus réceptif à sa chance. Ne pouvant plus marcher, j'avais décidé, pour mon stage d'internat, d'aller en radiologie. C'est là que j'ai rencontré mon mari. La médecine guérit tout, ce qui est visible et ce qui l'est pas.
Jusqu'à mes 8 ans, je n'ai aucun souvenir d'enfance. Ce n'est pas lié à mon accident. Mais je les ai occultés, comme j'ai oublié le russe que je parlais alors. Ensuite, je me souviens très bien. C'était une époque très douce, où mes parents nous emmenaient voyager. Avec ma sœur et mon frère, nous sommes restés une fratrie très soudée. Je souhaite à mes trois enfants de conserver les mêmes liens.
Reprendre la paroleMa sœur, Nathalie, a des souvenirs à l'âge de 2 ans. En lisant mon premier roman, Une femme blessée, Nathalie a relevé que la femme brûlée sur laquelle j'avais écrit, c'était moi. Tout avait rejailli. Les odeurs, les douleurs de ce personnage, c'étaient mes souvenirs. Ce livre m'a donné confiance. J'ai toujours eu des histoires dans mes tiroirs. À 50 ans, avec une estime de soi qui frôle le sol et sûre d'être incapable d'écrire un roman, j'ai décidé de m'y mettre. À ma grande surprise, je ne me suis pas fait assassiner par la critique. Que des articles bienveillants. Je suis sur un nouveau livre. C'est une histoire de femmes. Mais je ne sais pas comment ça va se terminer.
Le Magazine de la santé, Le Monde en face, sur France 5.
À lire : Une femme blessée, Pocket.
Source: JDD papier
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