L'écrivain et cinéaste Atiq Rahimi : « Les hommes restés en Afghanistan ne sont pas armés pour se défendre »
VERBATIM - Écrivain et cinéaste franco-afghan, Atiq Rahimi* est convaincu que les talibans vont aller encore plus loin dans la terreur.
« Les nouvelles restrictions imposées aux femmes par le gouvernement taliban ne m’ont pas vraiment étonné. Elles m’ont plutôt mis en rage. En rage non seulement contre cette armée des ténèbres qui a repris le pouvoir il y a un peu plus d’un an, mais aussi contre ceux qui croyaient qu’ils avaient changé. Non, il n’y a pas de nouveaux talibans. Je dirais même qu’ils deviendront pires qu’avant. En 1996, lors de leur première apparition sur les scènes afghane et internationale, ils ont dû combattre pour s’imposer à Kaboul. En 2021, ils ont pu reprendre le pouvoir sans opposition, sans résistance organisée, sans aucun homme politique en mesure de s’opposer à eux. Et cette facilité a renforcé leur sentiment de légitimité, de toute-puissance.
"Les talibans vont imposer encore plus sauvagement les lois de la charia, les lapidations publiques, coups de fouet et autres terreurs
"
Pourquoi s’arrêteraient-ils donc à ces nouvelles interdictions ? Certaines régions du pays sont encore épargnées, mais je suis convaincu qu’ils vont imposer encore plus sauvagement les lois de la charia, les lapidations publiques, coups de fouet et autres terreurs.
Ce qui se passe en Iran conforte sûrement les talibans dans leur vision. En effet, malgré l’ampleur de cette révolte amorcée par les femmes et soutenue par les hommes, le mouvement paraît s’essouffler et le pouvoir iranien ne semble pas fléchir, perpétrant des exécutions publiques, des viols des filles dans les prisons, des humiliations…
Survivre au jour le jour
En Afghanistan, la situation des hommes est aussi très compliquée car, bien entendu, tous ne sont pas des talibans. En font-ils assez pour soutenir les femmes ? Non. Mais sachant que la plupart des hommes éclairés, activistes, artistes, journalistes, politiques, médecins, ont quitté le pays l’année dernière, ceux qui sont restés et voudraient s’opposer n’ont pas pour autant les moyens de résister. Ils ne sont pas armés pour se défendre et ne peuvent que se soumettre aux lois du gouvernement taliban, risquant eux-mêmes d’être punis au même titre que les femmes de leur famille si elles enfreignent les interdits, comme de sortir seules sans être accompagnées d’un mari, d’un père, d’un frère. Sans oublier l’état catastrophique de l’économie du pays, qui contraint les Afghans à penser plutôt à leur survie au quotidien qu’à leur liberté.
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Ces derniers jours, certains Afghans ont eu le courage de s’opposer ouvertement, à l’instar de ces étudiants qui ont refusé de passer les examens à l’université ou de ces professeurs démissionnant en masse. Malheureusement, les sanctions tombent sans attendre, et il devient très difficile voire impossible de se soustraire aux châtiments infligés par les talibans, car il n’y a plus d’endroits où se cacher. Ces femmes et ces hommes ont besoin d’appui de la communauté internationale.
Mais, hélas, en Afghanistan comme en Iran , les enjeux géopolitiques du monde l’emportent sur toute force de résistance pour combattre l’horreur. Aucune grande nation avec son propre agenda n’a jamais eu de volonté politique d’encourager un corps alternatif politique dans ces pays. Sinon aucune révolte iranienne contre le régime des ayatollahs ne serait réprimée si facilement, et personne ne verrait les talibans reprendre si aisément le pouvoir et meurtrir à nouveau le peuple afghan.
Il ne me reste qu’à crier avec l’abbé Pierre : "Soyons alors des désillusionnés enthousiastes, sans baisser les bras." »
* Dernier ouvrage paru : « Si seulementla nuit », écrit avec sa fille Alice Rahimi, paru chez P.O.L.
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