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Daniel Cohen : Trump et "le poison du protectionnisme"

INTERVIEW - Le directeur du département d'économie de l'École normale supérieure*, Daniel Cohen, estime que le véritable danger d'une présidence Trump tient dans le repli de l'Amérique sur elle-même

, Mis à jour le
Daniel Cohen, directeur du département d'économie de l'Ecole normale supérieure
Daniel Cohen, directeur du département d'économie de l'Ecole normale supérieure © THIERRY RAJIC

 Le directeur du département d'économie de l'École normale supérieure Daniel Cohen (THIERRY RAJIC)

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Comment qualifiez-vous le programme économique de Donald Trump ?
C'est un programme populiste construit sur la xénophobie et le protectionnisme. La chasse aux ­immigrés sans papiers et la construction du mur sont les thèmes centraux sur lesquels Trump a été élu. C'est le cœur de ce qui a fait vibrer son électorat, le refus d'une Amérique perdue dans le monde, ramenée à l'autarcie originelle des pionniers. Il offre aux Américains l'illusion de pouvoir les protéger par une guerre tarifaire avec la Chine ou une remise en cause des accords de libre-échange avec le Mexique. C'est un mouvement que l'Amérique a déjà connu dans les années 1930 avec l'arrêt brutal de la politique d'immigration d'alors et la hausse des tarifs douaniers qui avait participé à l'effondrement du commerce mondial.

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Que vaut son plan de 1.000 milliards de dollars de rénovation des infrastructures?
Clinton proposait à peu près la même chose : tirer profit de la période de taux d'intérêt bas pour lancer des grands programmes d'infrastructures. Si on doit tester ce que Trump va vraiment faire, il faudra juger sur son agenda protectionniste et le renvoi des sans-­papiers. S'il ne le fait pas, cela restera comme des propos de campagne. S'il le fait, je redoute le pire. Pour les Américains eux-mêmes d'abord, qui ont bâti leur modèle économique depuis trente ans sur une complémentarité entre la Silicon Valley et la Chine. Ce serait un tremblement de terre, et je doute qu'il le fasse.

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Comment va-t-il combiner relance budgétaire et baisse massive des impôts?
Comme Reagan en son temps, un autre conservateur va faire une relance de type keynésien. Augmentation des dépenses et baisse des impôts peuvent faire du bien à l'économie américaine. A priori, cela devrait faire remonter les taux et réapprécier le dollar, ce qui ira en partie contre sa volonté de redonner de la compétitivité aux exportations américaines.

Partagez-vous l'analyse que l'élection de Trump, après le Brexit, ferme le grand cycle néolibéral engagé par Reagan et Thatcher?
Il y a indiscutablement une rupture, mais je crois qu'il fait toujours partie du cycle engagé par Reagan. Ce dernier avait aussi fait campagne sur les valeurs morales de l'Amérique, la dénonciation de l'assistanat, chacun comprenant qu'il parlait en réalité des Noirs. Il avait montré qu'on pouvait gagner les élections en ralliant les ouvriers au Parti républicain à condition d'appuyer fort sur les valeurs morales. Trump est le continuateur de ces thèmes-là. C'est vrai aussi qu'il marque une rupture : Reagan avait fait passer un agenda néolibéral alors que Trump a fait du protectionnisme la bannière de sa campagne. S'il sort aussi des accords de la COP21 et laisse les clés du Moyen-Orient à la Russie, on entrera dans une période de grand chaos.

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Avec quelles conséquences?
Les mesures protectionnistes américaines ont été le véritable coup d'envoi de la crise des années 1930. En Europe ces dernières ­années, on a répété des erreurs commises à cette époque, comme les politiques budgétaires restrictives, mais pas celle de tomber dans le protectionnisme. Couper subitement les chaînes de valeur qui se sont construites depuis des décennies, c'est casser l'équilibre mondial.

La France peut-elle se trouver dans la même situation?
Si nous avions le système électoral à un tour des États-Unis, qui obligerait à des primaires totalement ouvertes, alors Marine Le Pen pourrait parfaitement gagner la primaire de la droite et remporter ensuite l'élection face à François Hollande ou un autre candidat de gauche. Les élections à suivre de près, outre le référendum italien [4 décembre], sont celles qui auront lieu aux Pays-Bas [mars 2017], où le leader d'extrême droite Geert Wilders pourrait s'imposer.

Pourquoi cette révolution protectionniste touche-t-elle d'abord les pays anglo-saxons, la Grande-Bretagne, les États-Unis maintenant?
Ce sont les pays qui sont allés le plus loin dans un libéralisme sans retenue, qui a abouti à une progression extravagante des inégalités. Les conséquences se mesurent à l'état pur aux États-Unis ou en Angleterre, et le système explose.

Vous avez repris le concept de "stagnation séculaire", en quoi contribue-t-il à expliquer la victoire de Trump?
La stagnation séculaire est l'expression d'un immense paradoxe : la révolution numérique actuelle est comparable à celle de l'électricité ou de la machine à vapeur mais elle échoue à produire une croissance forte. Elle ne parvient pas à inclure les classes moyennes, elle agit seulement aux deux bouts de la chaîne : la hausse des revenus en haut, pour les 1 % les plus riches, et des créations d'emplois de plus en plus précaires en bas, souvent occupés par les immigrés. Elle fait du coup le lit des populismes, qui se caractérisent précisément dans cette double détestation des élites et des immigrés. Comment consolider une classe moyenne dans ce monde de nouvelles technologies? Telle est l'immense question que nos sociétés postindustrielles peinent à trouver. Les réponses ne viendront sûrement pas des populismes à la Trump.

* Dernier ouvrage paru : Le monde est clos et le désir infini (Albin Michel).

Source: JDD papier

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