Disparition Bernard Giraudeau, l’élégance jusqu’au dernier souffle…

Le Dauphiné Libéré - 17 juil. 2010 à 22:27 | mis à jour le 18 juil. 2010 à 23:09 - Temps de lecture :
Bernard Giraudeau, ancien marin, sur le bateau “Belem Shooner” en 2004, à l’occasion du tournage d’un documentaire sur Jules Verne. Archives AFP/Franck PERRY
Bernard Giraudeau, ancien marin, sur le bateau “Belem Shooner” en 2004, à l’occasion du tournage d’un documentaire sur Jules Verne. Archives AFP/Franck PERRY

Ce jour-là à Aix-en-Provence, Bernard Giraudeau n’était là pour parler ni cinéma, ni théâtre, ni littérature. Le soir même, il participait à un colloque scientifique au titre sans équivoque : “cancer et environnement”. Devant un parterre de spécialistes, Bernard Giraudeau venait témoigner.

La maladie, il en parlait d’expérience. D’abord le rein, puis les poumons. Des séjours sans fin dans les hôpitaux, les chimios, la table d’opération, le héros des “Longs manteaux” pris dans le tourbillon des blouses blanches.

Le cauchemar du cancer, Bernard Giraudeau avait voulu “en faire une chance” ! À ses interlocuteurs, il ne cessait de répéter que “face à la maladie, il ne faut pas céder à la panique. Il faut se dire comment faire pour que la vie soit une nouvelle page”. “Sinon, c’est l’enfer” confiait-il.

Avant “d’entrer en scène” devant médecins et malades, au calme de son hôtel aixois, il était revenu sur ce long combat, les espoirs, les moments de doute, les coups de colère aussi. “Le malade est tout sauf un patient, un être sous dépendance” grondait-il en remuant patiemment un thé brûlant. “Pas plus qu’un client” enchaînait-il, lançant au passage un coup de griffes aux pouvoirs publics soupçonnés de ne pas mettre le paquet sur l’hôpital…

Le visage légèrement marqué mais la voix chaude du conteur intacte, l’œil bleu océan pétillant, il confiait ne pas pouvoir remonter sur scène : “c’est trop de peurs, trop de stress”. Puis, dans un léger sourire soutenu par le regard espiègle de ses 20 ans : “c’est vrai que j’ai mené un peu une vie de patachon”.

Sa vie de patachon avait débuté à 15 ans dans la Marine nationale. Deux tours du monde plus tard, Bernard Giraudeau virevoltait devant les caméras, au côté de Gabin d’abord dans “Deux hommes dans la ville” puis dans une série de comédies dont “Viens chez moi, j’habite chez une copine”. Le marin n’hésitait pas à changer de cap, quitte à briser son image. Ainsi le séducteur romantique glissait dans la peau du loubard ou du justicier solitaire avec une égale aisance. Des “Spécialistes” à “L’année des méduses”, Bernard Giraudeau aligne une filmographie longue comme la Croisette en un peu plus de trente ans de carrière.

La révélation au grand public, il la doit à “Rue Barbare” en 1983. Fils alcoolique dans “Poussière d’ange” en 1987, il enchaîne ensuite des rôles antipathiques au cinéma sans quitter des yeux le théâtre. Sur les planches au côté de son épouse d’alors, Anny Duperey, devant et derrière la caméra, plume à la main, Bernard Giraudeau dévoile une palette de talents qui lui valent une place à part. Aventurier dans l’âme, il se frotte à la littérature avec de beaux succès dont “Les dames de nage” (Ed. Métailié), un roman couronné par le prix Amerigo-Vespucci. Son dernier ouvrage “Cher amour” (prix Mac Orlan) paru l’année dernière ramène le lecteur à l’essentiel disait-il “l’amour que l’on donne et que l’on reçoit”. Malgré les coups de tabac de la vie…

Depuis dix ans, Bernard Giraudeau se battait pour lui et pour les autres. En témoignant encore et encore, délivrant une véritable leçon de vie à chaque fois que l’occasion lui en était donnée… Dans ce rôle qui n’avait rien de composition, il mettait avec élégance sa notoriété au service des malades.

L’an dernier quelques jours après son témoignage à Aix-en-Provence, il avait parrainé la 23 e Nuit des Molière. Un honneur bien sûr, mais aussi l’assurance d’un effort, d’une fatigue : “vous savez, je dois me coucher tôt”. L’été suivant, une dernière fois, Bernard Giraudeau s’était produit en public au festival de la correspondance de Grignan. Sous un soleil de plomb, tout juste protégé d’un léger chapeau, il avait lu des lettres de Cesare Pavese. Sans rien dissimuler d’une joyeuse malice…