Beaucoup ont connu son visage grâce à la télévision, lui qui fût journaliste pour France Télévisions pendant plus de vingt ans. Aujourd'hui, Patrick Chêne ne passe plus son temps sous les projecteurs, mais dans les vignes de sa propriété, le domaine Dambrun, située à l'ombre du géant de Provence dans le Vaucluse. Devenu vigneron, l'ancien journaliste raconte à la Revue du vin de France son amour pour la vigne, son parcours depuis la production de sa première cuvée en 2014 et la beauté de cette aventure à la fois salvatrice et familiale. Rencontre.

Comment avez-vous découvert la région du mont Ventoux ?

C’était en 2013, à l’occasion du Tour de France. Avant cela, et même à l’époque où je commentais le Tour, je ne connaissais pas vraiment. Je partais en hélico d’une ville-étape et on me posait au sommet du Ventoux… En 2013, un copain me dit : « viens voir le Tour ici le 14 juillet ». On a joué du rock’n’roll, on a bu des coups : je n’ai pas vu un coureur ! Je me suis levé le lendemain, je suis allé me balader, j’ai vu les vignes et le lieu a commencé à me faire rêver. Ensuite, les planètes se sont alignées : j’ai vu une annonce pour une vieille maison avec des vignes autour, je me suis lancé. J’ai créé le domaine en partant de 4 hectares autour de la propriété. En 2014, j’ai fait du vin dans une buanderie de 50 m2. Je voulais faire mon vin chez moi. Ensuite, j’ai construit mon chai, inauguré en 2016. Je suis passé de 6 000 bouteilles en 2014 à 15 000 en 2016, puis à près de 30 000 les années suivantes.

"Je ne mets pas simplement mon nom sur une étiquette"

En arrivant ici, est-ce que vous saviez le type de vin que vous aviez envie de faire ?

Oui, je n’ai pas fait de formation mais j’ai été très influencé par Jérôme Bressy du domaine Gourt de Mautens, à Rasteau, puisque j’ai eu la chance de pouvoir collaborer avec lui en 2014 et en 2015. La seule chose que je savais, c’est que je ne voulais pas faire un vin avec trop de concentration ni d’extraction. Le maître-mot, c’était vraiment l’équilibre, la buvabilité. Je me suis aperçu qu’ici, le soleil n’est pas vraiment un ami mais plutôt un ennemi. J’ai donc changé ma manière de travailler le système foliaire et j’ai changé mes dates de vendanges. Je ramasse mes syrahs et mes cinsaults très tôt, parce que je ne veux pas des vins qui confiturent. Les grenaches en revanche, cépage d’ici, je les laisse partir à 15°. Cela ne me gêne pas car la fraîcheur de mes cinsaults me donnera l’équilibre dans l’assemblage. Si les consommateurs apprécient nos rouges, c’est surtout parce qu’il y a cet équilibre et cette buvabilité qui font des vins gourmands, sans être des vins trop extraits.

Avez-vous été bien accepté dans la région ?

Oui, sans doute pour plein de raisons. D’abord, avec ma femme Laurence, on n’est pas arrivés en Parisiens, en expliquant à tout le monde comment on allait faire du vin. Certains se sont dits que ce n’était pas plus mal que je m’installe ici plutôt qu’ailleurs : vis-à-vis de l’appellation, ça veut dire qu’il y a quelque chose à faire. Et puis après, ce sont des questions humaines : avec d’autres vignerons, nous avons les mêmes sensibilités. Ils m’ont vu sur mon tracteur, ils voient que c’est moi qui vinifie, je ne mets pas simplement mon nom sur une étiquette. Dambrun, c’est tout sauf une danseuse.

Devenir vigneron, c’était un rêve ancien ?

Cela faisait plus de vingt ans que je tournais autour de cette idée, faire du vin. En tant que patron des sports de France Télévisions, je savais que je ne ferai pas toujours de la télévision, pour ne pas faire le combat de trop. Je suis hyperactif de nature, ma passion du vin m’a permis d’exercer une autre activité durablement, car j’ai organisé le domaine afin de pouvoir y travailler beaucoup, ou moins.

Comment vous est venue cette passion pour le vin ?

Elle s’est construite par la dégustation, avec des repères. En 1977, c’était ma période bourguignonne : j’étais jeune journaliste à Dijon, je n’avais pas les moyens de boire de grands crus, mais je me souviens de mes premières émotions avec un santenay-gravières. Plus tard, j’ai longtemps été un buveur de Bordeaux. Ensuite, j’ai fait comme tout le monde, je suis allé à la découverte...

Avec le Tour de France, entre 1989 et 2000, j’ai parcouru la France des régions en faisant entre 20 et 23 étapes par an : ça fait quand même 250 étapes ! Et dans la convivialité de la France, il y a le vin. Chaque étape, pour les villages traversés par le Tour, c’était un peu leur championnat du monde, ils avaient envie de recevoir en faisant découvrir les joyaux de leurs régions : quand j’étais sur le Tour en Bourgogne, à Bordeaux, on m’intronisait, on me faisait goûter, ou on m’offrait des bouteilles. En 1982 pour commenter le basket, on m’envoie à Mulhouse : je découvre les vins d’Alsace, les vendanges tardives Vieilles vignes de la maison Hugel. Au fil de ces voyages, je me suis fait ma culture, avec un goût qui est passé des cépages bordelais à la syrah du Rhône nord, puis au grenache du sud, au cinsault… Et me voilà aujourd’hui dans le Rhône sud !

Vous êtes un collectionneur de vins ?

Je l’ai été, je ne le suis plus. À Paris, j’avais 2 500 à 3 000 bouteilles dans ma cave, j’achetais aux enchères les seconds vins des grands crus classés, comme les Pavillon Rouge de Château Margaux, que je faisais vieillir. Aujourd’hui, dans ma cave personnel, j’ai encore des vins de Gangloff, de Georges Vernay, des Château de Beaucastel, mais je ne garde pas longtemps les vins, je les bois. Sauf les millésimes de naissance de mes filles, les Lynch-Bages 1982 de mon aînée Juliette, ou le millésime 2011, l’année de naissance de ma dernière, Manon.

  • FICHE D'IDENTITÉ :

    Nom : Chêne.
    Prénom : Patrick.
    Né le : 26 avril 1956.
    Lieu : Lyon (Rhône).
    Parcours : Il fait ses premières armes de journaliste en 1977 au Progrès de Lyon. En 1982, il rejoint L’Équipe, puis entame en 1985 une carrière audiovisuelle sur Antenne 2. Sa notoriété explose avec le Tour de France, qu’il commente entre 1989 et 2000. Pendant cette période, il sera également directeur des sports de France Télévisions, présentateur du 13 heures de France 2, co-animateur du Téléthon avec Sophie Davant.
    Signe particulier : Hyperactif, il a créé le groupe Sporever en 2000, Sport365 en 2012, a rédigé une pièce de théâtre et des scénarios pour la télévision. 2021 est son huitième millésime.
    Ses plus belles émotions  :
    Pétrus 1953, Lynch-Bages 1982, la roussanne Vieilles vignes du Château de Beaucastel, les vins de Georges Vernay…

Vous avez choisi le blanc de Dambrun pour accompagner cet entretien : pouvez-vous nous le présenter ?

C’est un assemblage de chardonnay, de grenache blanc et de viognier. Si je pouvais, j’en ferais davantage, j’adore le blanc. Pour parler technique, je fais mes vins rouges dans le béton et l’inox la première année parce que je trouve qu’ils évoluent beaucoup mieux, et ensuite je les patine pendant un an dans le bois. Pour les blancs, je fais exactement l’inverse : je les mets tout de suite dans mes demi-muids en bois la première année, et la deuxième année, je les transfère dans de plus gros volumes, style inox. Moi je n’ai pas de règle, je ne m’interdis rien, je fais ce que j’aime et ce qu’aime ma femme.

Comment travaillez-vous vos vignes ?

Je suis très exigeant sur la culture de la vigne qui va favoriser un système racinaire vertical. Je n’ai jamais mis un engrais, je ne “booste” pas mes vignes, je les laisse tranquilles : je ne remplace pas toujours les manquants, je laisse faire la nature avec de tout petits rendements, moins de 20 hectolitres l’hectare. En somme, je suis plutôt artiste qu’industriel.

"C'est une leçon d'humilité totale"

Vous pratiquez la biodynamie. Quels enseignements en retirez-vous ?

J’ai converti mes vignes en bio dès mon installation, en 2014. Pour la biodynamie, il faut que je sois honnête, je respecte le calendrier lunaire car je suis convaincu que la lune joue, le vin ne goûte pas pareil. Sinon, je fais une silice de temps en temps et j’applique une P500 [ndlr : la fameuse préparation de bouse de corne], point final. En période de sécheresse, j’applique l’adage populaire : « un coup de bineuse égale deux averses. » Je prends mon tracteur, je passe un coup de bineuse et je constate que ma terre est très souple, sans blocs, mais sans pouvoir tirer de conclusions sur la biodynamie. Vouloir le faire serait totalement illégitime de ma part, ce serait une imposture. Moi dont le premier métier a été le débat, il y a plein de sujets dont je ne veux plus débattre aujourd’hui, et la biodynamie en fait partie.

Vous êtes-vous entouré d’un œnologue conseil pour faire vos vins ?

Je fais mes assemblages tout seul, sans œnologue. Je me stresse, je dors moins bien, puis je fais mon choix d’assemblage que je fais goûter à Laurence ou à un couple d’amis s’ils sont là, pour leur demander leur avis. Avis que, le plus souvent, je ne suis pas ! L’assemblage est une étape difficile parce qu’il faut mettre beaucoup de soi-même, donc faire des choix. Mais honnêtement, quand on ne trafique rien, quand on a de beaux raisins, la vinification est assez simple, parce qu’on est béni par cette région, avec le mistral et de formidables terroirs. Il y a une vraie signature des vins du Ventoux, ce n’est pas un hasard si cette région attire.

L’invisible et les impondérables, notamment climatiques, font partie du métier de vigneron. Comment vivez-vous cela ?

C’est une leçon d’humilité totale. En une nuit, la température peut tomber à -4° et grever la récolte de 20 %, il faut être fataliste. Mais l’invisible est aussi positif : en 2016, quand j’ai fait mon premier blanc, c’était une sorte de miracle, il était exceptionnel, je ne sais pas pourquoi ! J’ai donc eu cette chance de commencer comme vigneron avec un millésime exceptionnel qui m’a valu des notes de dégustation démentes, dont un 16/20 obtenu dans un guide réputé pour mon rouge La Dame Brune.

Comment avez-vous vécu la bascule entre le temps de l’immédiateté de votre ancienne vie et le temps long de la vigne ?

Je ne suis pas un surdoué, je suis un “surdoer”. Je fais les choses, c’est ma nature. J’ai écrit des films, j’ai mis en scène des pièces de théâtre, j’ai créé un journal, changé de vie… Ce que m’a appris mon ancienne vie, c’est à avancer. C’est vrai que la vigne m’a mis face au temps long et c’est une bonne chose, qui vous bouscule un peu. De temps en temps je me dis, surtout depuis que je suis vigneron, « ah, si j’avais 40 ans !». Ce métier me met face au temps long quand il n’en reste pas trop (rires).

Quelles émotions vos premières vinifications vous ont-elles procurées ?

La sensation de faire quelque chose de concret. En 2016 quand j’ai posé ma première bouteille de 2014 sur la table, je me suis dit : « c’est la première chose que je fais de ma vie qui va rester ». Ce ne sont pas les bouquins que j’ai écrits, ni les pièces de théâtre ou les téléfilms qui me survivront, mais mes vins. Cela m’a troublé, cela m’a aussi fait plaisir : un jour, mes arrière-petits enfants ouvriront peut-être une de mes bouteilles. J’ai une verticale de 2014 à 2020, elle est là, elle existe, le chai est d’ailleurs construit pour être là dans cent ans. Et dans cent ans, sauf erreur de ma part, ça ne sera plus moi [rires]. Mais l’idée que les choses continuent après vous, c’est enthousiasmant.

Votre notoriété vous a-t-elle aidé à vendre vos bouteilles ?

À les vendre, pas du tout, mais à les faire goûter, certainement. Philippe Faure-Brac, élu meilleur sommelier du monde en 1992, que je connaissais par mon ancien métier, m’a dit un jour : « des vins qu’on me propose de goûter, il y en a des milliers, c’est ton vin, donc je le goûte plus volontiers, mais s’il n’était pas bon, je ne m’amuserais pas à le mettre à ma carte ». Pour le dire clairement, ce n’est pas la peine de décrocher son téléphone pour dire : « Allô, je m’appelle Patrick Chêne, achetez-moi 240 bouteilles » : ça ne marche pas !

Une aventure familiale et salvatrice

Quelle est l’implication de votre femme et de vos enfants ?

Mes enfants viennent souvent ici, mais ils ne sont pas impliqués dans la vie du domaine. Quant à la petite, elle a onze ans, elle trouve que ça sent mauvais ! En revanche, Laurence est avec moi dans cette aventure, on a décidé ensemble. On habitait quand même dans le Ier arrondissement, en plein centre de Paris, on a totalement changé de vie. Au début, je faisais tout ce qui était passionnant et Laurence s’occupait de la partie administrative, elle avait une tonne de papiers à gérer… On a changé. Aujourd’hui Laurence s’oriente vers la communication, le site internet, et comme elle a un très beau palais, elle goûte mes assemblages.

Quand vous avez été gravement malade, c’était important pour vous d’être là au milieu des vignes, et de faire du vin ?

Oh oui ! J’ai été très malade [ndlr : il a eu un cancer de la vessie] à la période où il y a beaucoup de travail dans la vigne, de mars à août. Je devais faire à peine 80 mètres par jour, autour de la maison, mais je voyais que la nature continuait. C’était évidemment une force incroyable. Je m’étais donné un objectif : les vendanges. J’ai commencé la chimiothérapie le 27 février, il se trouve que j’ai replongé en juin-juillet… Et au moment des vendanges, j’ai ressenti que ça redémarrait. J’ai fait les vendanges, je n’ai pas porté grand-chose mais j’étais là, ça a vachement compté, le cycle était pour ainsi dire bien tombé… J’ai eu ma renaissance au moment des vendanges.

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