Arménie, le dictionnaire amoureux

Corinne, comédienne, et Richard Zarzavatdjian, journaliste. Un duo d'auteurs, frère et soeur ayant la même passion.

Corinne, comédienne, et Richard Zarzavatdjian, journaliste. Un duo d'auteurs, frère et soeur ayant la même passion.

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Corinne et Richard Zarzavatdjian écrivent sur leurs origines et sur ce que les Arméniens ont apporté à la France

De A à Z. Du bois tendre de l'abricotier dont on fait les doudouks, à Zarzavatdjian, nom de famille à consonance turque des deux auteurs, Corinne et Richard, une précaution prise par leur grand-père pour échapper au génocide (lire ci-dessous). À partir de cette date noire de 1915, ceux qui ont survécu sont partis vers la Bulgarie, la Grèce, le Liban, la Syrie, les États-Unis ou la France. Ainsi en 1920, quelque 60 000 Arméniens, alors apatrides car tout retour leur était interdit, sont arrivés à Marseille. Ils seront naturalisés massivement après la Seconde Guerre mondiale.

Parmi eux, les grands-parents de Corinne et Richard Zarzavatdjian. Garabed travaillait dans les mines de charbon de Gardanne, Tatios pour l'entreprise de semi-remorques Coder, à Saint-Marcel. Marseille, une des "petites Arménies" que la diaspora a créées, comme Alfortville, Clamart ou Issy-les-Moulineaux. Mais entre Marseille et les Arméniens, l'histoire a commencé il y a très longtemps, notamment quand, dès 1640, le café arrivait par le port, grâce aux marchands arméniens dont certains ont créé là les premiers "débits de café" avant d'en reproduire le principe à Paris puis à Londres. Sur le choix de la France, où au XVIIIe siècle, l'élite aime "s'habiller en Arménien" comme le fera Jean-Jacques Rousseau, immortalisé dans ces tenues amples et fluides sur de nombreux portraits, Tatios dira plus tard qu'il "voulait offrir la terre des Droits de l'Homme à ses trois filles" :"La France, c'était la lumière, c'était la liberté, l'accueil, la paix et Victor Hugo". Leur histoire, c'est aussi un peu celle que raconte Henri Verneuil dans le film Mayrig sorti en novembre 1991.

Des personnalités qui ont façonné la culture ou l'esprit français

Dans cette véritable encyclopédie des Arméniens, se révèlent des personnalités qui ont façonné la culture ou l'esprit français comme Kiraz (Edmond Kirazian), dessinateur de ces Parisiennes aux jambes interminables et sacrément modernes. Mais aussi les acteurs Rosy Varte (née Nevarte Manouélian) ou François Berléand (dont le père était russe d'origine arménienne). Ou encore le héros de la série des années 70 Mannix, le détective privé étant incarné par Krekor Ohanian...

Parmi les artistes français d'origine arménienne (Michel Legrand, Robert Guédiguian, Simon Abkarian, Patrick Fiori, Hélène Segara, André Manoukian, Mathieu Madenian...) trône en monarque Charles Aznavour. La star, disparue voici plus de deux ans, aura été l'Arménien le plus célèbre du monde. Aujourd'hui, dans un registre aux antipodes, Kim Kardashian a atteint aussi une popularité mondiale.

L'Arménie et les Arméniens de A à Z est un livre passionnant que ceux qui s'enrichissent des autres cultures ne lâcheront pas facilement. Y trouve une place tout ce qui fait sens pour une communauté qui, si elle est française et respectueuse du pays qui l'a accueillie, n'en reste pas moins attachée à ses origines.

Interview croisée de Corinne et Richard Zarzavatdjian, auteurs de "L'Arménie et les Arméniens de A à Z"

Recherches, écritures... Combien de temps ce travail vous a-t-il demandé ?

Corinne. L'idée de ce dictionnaire est venue de l'éditeur de notre précédent livre, "Cuisine d'Arménie". Il a été touché et étonné d'entendre parler, à travers mon spectacle, de tous ces Arméniens qui ont donné leur vie à la France, de la Première à la Seconde Guerre mondiale. L'aventure a commencé comme ça, pour présenter tout ce que les Arméniens ont pu apporter à la France et lui permettre de se développer et de rayonner à travers le monde. Plus on avançait, plus on trouvait le travail énorme : il a duré un an, avec de nombreuses recherches et interviews et la difficulté d'écrire ce livre pendant le confinement, car il était par exemple difficile d'aller dans les bibliothèques. L'idée était aussi de retracer le patrimoine arménien, culture, histoire, église, cinéma... Ce livre s'adresse à tous ceux qui sont curieux de l'Histoire de la France.

Richard. On a fait un travail de journaliste. On a interrogé les gens qui vivent cette arménité mais on s'est aussi appuyé sur des travaux de chercheurs qui sont cités et notamment ceux de Claire Mouradian ou de Boris Adjemian, qui a écrit un livre sur Les petites Arménies. Moi, en tant que journaliste de télé, j'avais le souci de l'image et de trouver des photos que l'on n'a pas déjà vues ailleurs. On a réussi, grâce à notre éditeur qui a soutenu notre démarche et aux familles arméniennes qui nous ont transmis des photos ainsi qu'à l'association marseillaise Aram. On a aussi utilisé notre patrimoine photographique familial.

Comment définiriez-vous l'arménité ?

Corinne. C'est de se rendre compte que malgré toutes les tragédies qui ont traversé l'Histoire de l'Arménie, c'est un peuple qui est toujours debout et qui n'a jamais oublié ni sa foi, ni son alphabet. C'est ce qui fait l'ADN des Arméniens et c'est ce qui leur permet de surmonter les tragédies. C'est ce qu'on appelle aussi la résilience. C'est aussi pour ça qu'on a pensé à Boris Cyrulnik pour écrire la préface : qui mieux que lui peut écrire sur la résilience ?

Richard. Moi, mon investissement dans l'arménité est venu sur le tard. Avec l'âge, l'Histoire me rattrape et ce livre en est la démonstration. S'est ajoutée la guerre dans le Haut-Karabakh qui a mobilisé énormément de monde, de tous les âges...

Attachés à votre culture, vous n'en êtes pas moins les bons élèves de l'intégration ?

Richard. C'est justement pour ça qu'aujourd'hui, on s'autorise plus facilement à regarder vers l'Est. Henri Verneuil et Charles Aznavour ont consacré tout leur temps à leur carrière et ont dit sur le tard qu'ils étaient Arméniens... J'ai le souvenir de mon père qui nous disait que pour lui, deuxième génération, on essayait de ne pas trop parler l'arménien en dehors du cercle familial : on voulait absolument faire comme les Français...

Corinne. Les Arméniens qui ont fait leur vie en France aiment énormément ce pays et peut-être trop car quand on aime trop, on attend peut-être trop. Voltaire disait "docile comme un Arménien". À l'époque, pour s'intégrer, on tenait à parler français, on ne donnait jamais un prénom arménien en première position, il arrivait après le prénom français.

Vous citez Verneuil mais "Mayrig", c'est un peu l'histoire de votre famille ?

Corinne. C'est l'histoire de tous les Arméniens passés par Marseille. Ceux qui sont arrivés après le génocide avaient vécu un tel enfer que leur priorité était de trouver un travail et de faire vivre leur famille. Quand ils ont commencé à se structurer, à construire leur église de leurs propres mains comme ce fut le cas à Marseille, on a commencé à parler d'eux.

À la lettre Z du livre, on trouve votre nom. Quelle est son histoire ?

Corinne. Dans l'empire Ottoman, les Arméniens étaient considérés comme des citoyens de seconde zone : ils sont soumis à des impôts plus importants que les populations musulmanes, rackettés... Les percepteurs sont des Turcs qui donnent des noms plus faciles pour eux : "Toi, tu travailles la terre, tu ne t'appelleras plus Simonian mais Zarzavatdj". Après a été ajouté "ian" qui veut dire "de la famille de". Quand est venu l'exode, ils étaient dans une telle détresse qu'ils ont gardé ce nom mais le leur était Simonian.

Ils ont gardé ce nom pour échapper au génocide, c'est bien cela ?

Corinne. Absolument.

La cuisineest très importante dans votre culture. Est-ce pour ce qu'elle représente dans la transmission ?

Corinne. Ça fait partie du patrimoine, la cuisine lie et relie les Arméniens et montre ce légendaire sens de l'hospitalité si bien décrit par Alexandre Dumas dans son Voyage au Caucase où il dit qu'il avait l'impression d'être à un repas de fiançailles. Il n'y a pas "une" mais "plein" de cuisines arméniennes qui suivent le calendrier religieux et ses 150 jours de Carême, avec des recettes qui se font pendant ces jours-là.

Aujourd'hui, l'Arménienne la plus connue est Kim Kardashian. Qu'en pensez-vous ?

Corinne. Quoi qu'on en dise, je trouve cette femme engagée, elle a fait énormément de choses, et discrètement, pour l'Arménie, s'est engagée pour la défense des Droits des femmes en milieu carcéral, contre le racisme et l'homophobie. Elle impose aussi ses formes féminines et sa différence, et je trouve ça bien.

Richard. Pour nous le saint patron reste Charles Aznavour. Mais Kim Kardashianet ses soeurs ont donné 3 millions de dollars pour l'Arménie. Mais je pense que, et ce très honnêtement, les Arméniens de France anonymes ont aussi été des héros en faveur de l'Arménie.

"L'Arménie et les Arméniens de A à Z", Gründ, 29,95 €. Les droits d'auteurs de cet ouvrage seront reversés au Fonds Arménien et aux réfugiés.