Pour son 15e long métrage de fiction, Testament, le réalisateur Denys Arcand met en scène la perte de repères d’un retraité de 70 ans qui observe, avec perplexité, les mutations sociales de son époque en constante évolution. Un film évènement qui va sans doute faire jaser.

Dans son nouveau film, Testament, le réalisateur de Jésus de Montréal fait flèche de tout bois. Il caricature les jeunes militants « wokes », les vieux souverainistes, les féministes, les médias, la classe politique en entier.

Même le milieu culturel y passe. Dans une scène risible de gala des prix littéraires du Québec, on veut honorer l'auteur Michel Marc Bouchard, en remettant un trophée à l'archiviste Jean-Michel Bouchard (alter ego d’Arcand, joué par Rémy Girard) et unique homme de l'auditoire. Dans l’indifférence générale.

Denys Arcand aime citer Einstein : « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. » Et il semble prendre un malin plaisir à nous tendre un miroir pour nous mirer dans le reflet désolant de cette dernière. Depuis un demi-siècle, dans ses fictions comme dans ses documentaires, le réalisateur porte un regard sans compromis sur les multiples formes d’aliénation de la société. Avec le temps, l’octogénaire est de plus en plus « perplexe » par rapport à notre époque. Au point d’avoir l’air un peu dépassé ; de ne pas vivre dans le présent.

Effacer le passé

Dans une ère d’évolution identitaire, Jean-Michel Bouchard, un célibataire de 70 ans, a perdu tous ses repères. Il habite dans une maison de retraite située dans un édifice patrimonial, dirigée par une fonctionnaire psychorigide (Sophie Lorain). Sur le mur d’une salle commune, on peut voir une fresque représentant Jacques Cartier et sa garde armée, en face d’un groupe de Mohawks à Hochelaga.

Le film aborde la question du révisionnisme culturel, de la « cancel culture », lorsqu’un groupe de jeunes militants s’installe sur le terrain de la résidence pour exiger la destruction de la fresque.

Il juge cette peinture blessante et insultante pour les Premières Nations. « Puis les médias s’emparent de la polémique, le gouvernement est mis au courant et la marde pogne », résume Denys Arcand, à qui nous avons parlé.

Or, Jean-Michel a l’idée d’aller à Kahnawake pour demander l’avis des Mohawks sur la fresque en question. Il découvrira un autre côté, une autre perception de l’Histoire et de ses injustices.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Denise Robert, Rémy Girard, Denys Arcand, Sophie Lorain et Marie-Mai

« Bien sûr, c’est justifié de militer et de protester, dit Arcand, en entrevue. Mais il y a un million de causes et de catastrophes. Durant l’affaire de la création de Kanata au théâtre, on a reproché à Robert Lepage de ne pas avoir consulté des membres des peuples autochtones. Mais consulter qui au juste ? Ils sont une centaine de clans sur le continent, regroupés parmi plusieurs nations très différentes, qui ont déjà été en guerre entre elles, qui ne font pas l’unanimité. De plus, je pense que les Premières Nations ont des problèmes plus urgents que le sort d’un spectacle de théâtre. »

Selon Denys Arcand, on vit la fin de la culture occidentale comme on l’a connue. « Pour emprunter une formule philosophique, on assiste à un changement de paradigme total. Dans un avenir rapproché, Shakespeare va devenir injouable ; on va dénoncer que Dieu soit représenté par un homme blanc dans Le Jugement dernier, de Michel-Ange. Je ne sais pas jusqu’où ça va aller et par quoi ça sera remplacé. Mais c’est dans l’ordre des choses. L’Empire romain a chuté et il y a eu autre chose après lui. »

Plus fleur bleue que cynique

Dans les faits, Testament (dont il ignore si ce sera son dernier film ou non) demeure une satire assez inoffensive des dérives d’une époque qu’il juge « opaque et très complexe ».

J’observe le monde autour de moi. Et je me demande où il s’en va… Je ne suis pas un pamphlétaire qui attaque et dénonce un groupe ; comme l’a fait Pierre Falardeau, par exemple, avec Le temps des bouffons. Moi, je n’accuse personne. Je pose des questions.

Denys Arcand

Ce n’est pas la première fois que Denys Arcand a l’impression d’être incompris de ses contemporains. Dans les années 1970, on l’a accusé de trahir la classe ouvrière après avoir réalisé On est au coton. « J’avais passé trois ans dans les usines de textile pour faire mon film. Après, j’ai dit que je ne voyais pas de révolution prolétarienne à l’horizon… On m’a reproché de briser les espoirs de la classe ouvrière. »

Rebelote à la sortie du Confort et l’indifférence, en 1981. « On m’a accusé d’être cynique, de mépriser le peuple québécois, parce que j’affirmais que l’indépendance ne se ferait probablement pas… Aujourd’hui, lorsque je vois qu’on manifeste partout sur la planète, chaque jour, et à propos de tous les enjeux possibles, je m’interroge : qu’est-ce ça signifie pour la suite du monde ? »

Ne pas plaire à tout prix

Alarmiste, le cinéaste du Déclin de l’empire américain ? « Denys n’est pas un créateur qui essaie de plaire à tout prix. C’est l’un des rares réalisateurs d’ici à faire du vrai cinéma d’auteur », avance Sophie Lorain, qui a été surprise de voir le réalisateur lui confier un premier rôle dans son 15e long métrage. « Il a un propos réfléchi et précis, avec un véritable regard personnel. Celui qu’un homme de 82 ans porte sur la société autour de lui. Qu’on soit d’accord ou pas, il y a une parole forte qui traverse toute son œuvre. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Sophie Lorain et Rémy Girard

Pour le comédien Rémy Girard, qui collabore pour la septième fois avec Arcand, le cinéaste interroge le « désarroi » de notre époque avec les mots justes. « Je dis souvent à la blague, je joue en anglais, en français et… en Denys Arcand. Denys a une langue à lui. Une façon de réfléchir avec laquelle je suis parfaitement à l’aise. »

« Le monde a commencé sans l’humanité et il s’achèvera sans elle », dit le personnage de Robert Lepage, dans Jésus de Montréal, à propos du Big Bang et du mystère de l’Univers.

À la fin de Testament, Arcand délaisse la satire pour nous parler d’amour, de partage, de transmission. La vision de son sombre alter ego, Jean-Michel, devient lumineuse et joyeuse.

Est-ce que Testament est l’œuvre la plus optimiste de Denys Arcand ? « Je ne crois plus aux solutions collectives. Ce qui nous reste, ce sont des solutions individuelles, répond-il. La dernière utopie collective a été le marxisme… Et cela n’a pas été un gros succès [rires]… »

Ce constat n’est pas un peu… cynique ? « Je crois que la société actuelle est trop fragmentée et ingouvernable. Les États-Unis sont au bord d’une seconde guerre civile ! Alors, il faut se trouver un petit espace de bonheur, un petit coin à nous, en famille, avec nos proches, nos amis, chacun à sa manière. Il n’y a pas de panacée. »

En salle le 5 octobre