Les procès civils découlant des poursuites de six victimes alléguées de l’ex-patron de Juste pour rire, Gilbert Rozon, s’enchaîneront à partir du mois de décembre prochain, a appris La Presse en consultant des documents judiciaires. La réalisatrice Lyne Charlebois lancera le bal le 9 décembre 2024, puis cinq procès suivront en 2025.

Selon MAnne-Julie Asselin, du cabinet Trudel Johnston & Lespérance, qui représente neuf des victimes alléguées de Gilbert Rozon dans des poursuites civiles individuelles, « les six causes sont maintenant inscrites et prêtes à procès ». Le juge Frédéric Pérodeau a confirmé les dates de procès dans une décision rendue le 12 décembre dernier.

Le procès intenté par la réalisatrice Lyne Charlebois sera le premier d’une longue série. Il débutera le 9 décembre 2024 et s’étendra sur une période de dix jours, jusqu’au 20 décembre.

Mme Charlebois, qui poursuit M. Rozon pour une somme de 1,7 million, allègue avoir été « piégée », puis « violée » en 1982 dans la résidence montréalaise du patron de Juste pour rire. Sa relation sexuelle n’a à aucun moment été consensuelle, affirme-t-elle, ce que Gilbert Rozon conteste.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La réalisatrice de Borderline, Lyne Charlebois, photographiée ci-dessus en mars 2009, affrontera Gilbert Rozon en cour à compter du 9 décembre prochain.

Lyne Charlebois, âgée de 24 ans à l’époque, avait reçu Gilbert Rozon à souper chez elle, avec son conjoint. Après le repas, elle aurait accepté de quitter le domicile pour discuter d’un contrat de photographie, mais en chemin, M. Rozon aurait fait un détour par chez lui pour « changer de chemise ». C’est à ce moment-là que l’agression aurait été commise. M. Rozon reconnaît avoir eu une relation avec elle, mais assure qu’elle était consensuelle.

Relations « fantasmées » ou consensuelles, argue Rozon

M. Rozon, qui a une formation en droit, a subi des interrogatoires au préalable, étape préliminaire à un procès civil, en 2023 pour la plupart. Dans tous les cas, il a soit nié avoir eu des relations sexuelles, soit accusé les femmes qui avaient porté plainte d’avoir « fantasmé » ou « fabulé » ces histoires, soit affirmé qu’elles étaient totalement consensuelles.

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Annick Charette, le 12 novembre 2020

Le procès intenté par Annick Charette, qui poursuit Gilbert Rozon pour une somme de 1,3 million, suivra du 9 au 24 janvier 2025. Mme Charette accuse l’ex-magnat de l’humour de l’avoir violée en 1980 dans sa résidence de Saint-Sauveur, mais aussi d’avoir « inventé de toutes pièces un scénario qui inversait les rôles » lors de son procès au criminel.

Rappelons que Gilbert Rozon avait été acquitté en décembre 2020 des accusations de viol et d’attentat à la pudeur qui pesaient sur lui. La juge Mélanie Hébert avait indiqué qu’il subsistait un « doute raisonnable », même si sa version apparaissait « moins plausible » que celle d’Annick Charette.

Contrairement au criminel, le civil requiert de démontrer par prépondérance des probabilités – plutôt que hors de tout doute raisonnable – la responsabilité de Gilbert Rozon.

Patricia Tulasne aura son procès

Du 3 au 18 février, ce sera au tour de la comédienne Patricia Tulasne de passer l’épreuve de la cour. Elle poursuit Gilbert Rozon pour 1,6 million.

Patricia Tulasne, qui a été porte-parole du regroupement Les Courageuses, débouté en Cour suprême dans sa tentative d’une action collective, affirme avoir elle-même été violée en 1994, à la suite d’un souper au restaurant Le Piémontais, avec des amis et des comédiens de la pièce Le dîner de cons, dans laquelle elle jouait. Elle allègue avoir été agressée après que M. Rozon l’a ramenée chez elle, à Outremont.

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La comédienne Patricia Tulasne a intenté seule une poursuite au civil contre Gilbert Rozon. On la voit ci-dessus le 16 mai 2019.

M. Rozon reconnaît qu’une relation sexuelle a bel et bien eu lieu, mais affirme qu’elle était consensuelle. Il l’accuse d’avoir « déformé la réalité d’une simple aventure ».

La procédure intentée par la recherchiste Anne-Marie Charette, qui affirme avoir été « séquestrée et agressée sexuellement » en 1987, se tiendra quant à elle du 17 au 27 mars 2025. Elle poursuit M. Rozon pour 1,29 million.

Dans sa poursuite, Anne-Marie Charette affirme que M. Rozon a fait des « appels incessants et insistants » pour qu’elle lui porte un dossier à l’hôtel du Parc où il se trouvait. Mme Charette aurait d’abord refusé de s’y rendre jusqu’à ce que son patron Richard Bleau lui demande d’y aller. Une fois dans sa chambre, Gilbert Rozon aurait refermé la porte et se serait jeté sur elle, malgré ses protestations.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Anne-Marie Charette, au palais de justice de Montréal, le 19 novembre 2020

Durant son interrogatoire au préalable, Gilbert Rozon a qualifié le récit d’Anne-Marie Charette de « fabulation ».

« C’est complètement faux, et de l’invention pure, a-t-il affirmé. […] Je ne connais pas ses motivations. L’argent, l’envie, la jalousie, le rejet, la quête de publicité, de vouloir faire partie d’une communauté qui participe en meute à un sujet. […] Aujourd’hui, j’imagine qu’elles sont financières parce que c’est énoncé assez clairement. Mais je ne les connais pas. »

La fille de Jean-Guy Moreau sera entendue

Sophie Moreau, la fille du regretté humoriste Jean-Guy Moreau – un ami de Rozon –, est également attendue en Cour supérieure en 2025, du 21 mai au 6 juin. Elle poursuit M. Rozon pour une somme de 1,25 million. Elle affirme avoir été « harcelée et agressée sexuellement » alors qu’elle était adolescente en 1988 et 1989, soit à l’âge de 15 et 16 ans. À l’époque, Gilbert Rozon avait 33 ans.

PHOTO HERBY MOREAU, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Guy Moreau et ses filles, Sophie et Véronique

Dans son interrogatoire au préalable, Gilbert Rozon affirme plutôt avoir eu une relation amoureuse avec la sœur de Sophie Moreau, Véronique. Il estime que Sophie, qui a travaillé à Juste pour rire comme réceptionniste jusqu’en 2017, a toujours été jalouse de sa sœur et qu’elle a inventé cette histoire, tel un « fantasme ».

« Ce n’est pas quelqu’un qui m’attirait, je la trouvais revêche et vindicative », a dit Gilbert Rozon durant son interrogatoire.

Puis j’ai toujours senti une sorte de jalousie par rapport à sa sœur, Véronique, qui avait, évidemment, plus de lumière et plus d’entregent et qui semblait plaire à plus de monde. Ça ne m’est jamais passé par l’esprit, à aucun moment donné, de séduire Sophie Moreau d’aucune manière.

Gilbert Rozon, lors de son interrogatoire

Enfin, le procès découlant de la poursuite de l’artiste Danie Frenette, embauchée en 1987 par Juste pour rire pour organiser le volet d’animation de rue du festival, aura lieu du 8 au 23 septembre.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La comédienne Danie Frenette, le 29 juin 2003

Elle affirme avoir été violée une première fois en juillet 1988 au cours d’une fête organisée à la résidence d’Outremont de Gilbert Rozon, puis une deuxième fois à l’automne de la même année, à son retour d’un séjour en France. Elle le poursuit pour une somme de 2,2 millions.

Pas d’entente à l’amiable pour le moment

Selon MAsselin, une des avocates au dossier chez Trudel Johnston & Lespérance, il n’y a pas eu à ce jour de négociations avec les avocats de Gilbert Rozon pour en arriver à une entente à l’amiable. Mais rien n’empêche les parties de discuter d’ici au mois de décembre prochain, a-t-elle affirmé.

Trois autres femmes ont déposé des poursuites au civil contre Gilbert Rozon en 2022 : Guylaine Courcelles (1,9 million), Marylena Sicari (1,25 million) et Martine Roy, la sœur de l’ex-femme de M. Rozon (1,35 million). Leur date de procès n’est pas encore connue, mais elles pourraient s’ajouter au calendrier déjà bien rempli de 2025 (à l’automne), voire s’inscrire dans le premier trimestre de 2026.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Gilbert Rozon, le 22 juillet 2015

De son côté, Gilbert Rozon, qui est représenté par MPascal A. Pelletier, poursuit en diffamation pour une somme de 450 000 $ les animatrices Julie Snyder et Pénélope McQuade, qui l’ont qualifié d’agresseur sexuel à la télévision. Les deux animatrices ont tenté de bloquer cette poursuite en faisant valoir qu’elle visait à les faire taire, mais leur requête a été déboutée en Cour d’appel en mars 2022.

Même si le Tribunal donnait raison aux plaignantes dans l’une ou l’autre de ces affaires, Gilbert Rozon ne risque aucune peine d’emprisonnement, puisqu’il ne s’agit pas de procès criminels. Il devrait cependant indemniser les victimes si les juges rejetaient sa défense et le déclarait responsable des dommages subis par les plaignantes. Au total, les neuf victimes alléguées réclament près de 14 millions de dollars.

L’avocat de M. Rozon n’a pas donné suite au courriel de La Presse avant la publication.

Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron, La Presse