Guillaume Canet: "Dans la vie, il faut soit décider d’être heureux, soit d’avoir raison. On ne peut pas avoir les deux"
Ce mercredi au cinéma, la star française joue de son image dans “Hors-saison”, une romance intimiste et nostalgique signée Stéphane Brizé.
- Publié le 27-03-2024 à 09h40
- Mis à jour le 04-04-2024 à 17h54
Avec Hors-saison, son dixième long métrage, Stéphane Brizé change de style et d’acteur. Après sa trilogie sur le monde du travail (La Loi du marché (2015), En guerre (2018) et Un autre monde (2021) avec Vincent Lindon), le cinéaste français s’offre un petit film intimiste, dans lequel il s’amuse de l’image de Guillaume Canet. Celui-ci campe Mathieu, une star du cinéma français qui part se reposer en cure de thalassothérapie en Bretagne, après avoir plaqué, paralysé par le trac, la production théâtrale dans laquelle il devait faire ses débuts sur les planches. Alors qu’il s’interroge sur son métier et sur sa vie, le comédien est contacté par Alice, un ancien amour interprété par la formidable actrice italienne Alba Rohrwacher (que l’on reverra mercredi prochain à l’affiche du très beau La chimera, de sa sœur Alice Rohrwacher)…
En janvier dernier, Guillaume Canet participait aux Rendez-vous d’Unifrance, où nous l’avions rencontré pour évoquer ce rôle en miroir et la méthode de travail très particulière de Brizé. À cette occasion, l’acteur et réalisateur nous confiait travailler à l’écriture de son nouveau film. Qui ne sera pas la suite d’Astérix : L’Empire du Milieu, sorti il y a un an et qui a finalement enregistré 4,6 millions d’entrées en France. Un semi-échec… “C’est bien d’en avoir fait un…”, sourit Canet.
Stéphane Brizé est connu pour mêler fiction et réalité dans ses films. Ici aussi, il joue un peu avec ça en utilisant votre image. S’est-il beaucoup servi de Guillaume Canet pour écrire ce personnage ?
Pas du tout. Il a écrit le film sans penser à moi, avant même de me le proposer. Il a écrit ce rôle d’acteur peut-être pour Vincent Lindon ou d’autres acteurs. Je n’en sais rien…
Mais combien avez-vous mis de vous dans ce personnage, qui vous ressemble quand même un peu ?
Ce que je pourrais ressentir de proche de moi, c’est par exemple mon comportement avec les gens qui viennent me voir et me demander des autographes ou des selfies à des moments qui ne sont pas forcément les bons… Ça arrive souvent. C’est vrai que je réagis toujours un peu de cette manière-là. Quand je l’ai lu, le personnage m’a plu, parce que je l’ai trouvé respectueux, sympathique et pas désagréable. J’avais l’impression que ça me ressemblait, parce que ce n’est pas toujours évident de dire non à quelqu’un quand ce n’est pas le bon moment… Il y a aussi la sensibilité dans cette histoire avec cette femme. La manière, peut-être, de ne pas avoir toujours une bonne mémoire sur le passé, sur les choses qu’on a pu dire, sans se rendre compte qu’on a pu blesser. Mais avec cette envie, quand même, de ne pas être buté et d’accepter de faire un petit travail sur soi-même. Ce personnage est dans un moment de sa vie où il souffre de ne pas être très heureux. Il se rend compte qu’il a peut-être été très dur avec cette femme, sans s’en rendre compte, à un moment de sa vie où tout allait bien pour lui. Il a beaucoup pensé à sa carrière, à sa notoriété… Il y a une sensibilité chez ce personnage qui pourrait être proche de moi. Mais ce n’est pas du tout ma vie ou quoi que ce soit…
Je me retrouve dans cette façon de ne pas avoir toujours avoir une bonne mémoire sur le passé, sur les choses qu'on a pu dire sans se rendre compte qu'on a pu blesser.
Comme dans votre film Rock’n Roll en 2016, vous jouez pas mal avec votre image dans le film. Vous avez ajouté des petites choses personnelles ? Quand Mathieu compare la taille des scénarios avant de choisir lequel il va lire par exemple, ça sent le vécu…
C’est moi qui ai rajouté ça dans la scène, parce que ça me faisait rire. Ça nous est tous arrivé en tant qu’acteur… Quand on a plusieurs scénarios à lire et qu’on n’est pas très motivé, on ne va pas commencer forcément par celui qui fait 600 pages…
Le film évoque aussi la peur panique de votre personnage par rapport au théâtre. On dit parfois qu’il y a un sentiment d’infériorité chez les acteurs de cinéma par rapport aux comédiens de théâtre. Vous avez fait du théâtre il y a longtemps. Cela vous manque ?
Personnellement, je n’ai jamais ressenti de sentiment d’infériorité par rapport aux acteurs du théâtre, parce que jouer au cinéma, ce n’est pas facile non plus. Au théâtre, on peut recommencer tous les soirs. Au cinéma, vous pouvez recommencer deux, trois prises, après, c’est fini. On ne vous laisse pas d’autre chance. Moi, j’ai adoré jouer au théâtre. Mon père spirituel, Jean Rochefort, m’a toujours dit : “Chonchon, attends avant de rejouer au théâtre. Attends d’être vieux et fripé. Joue au cinéma tant que t’as une belle peau et que tu ne ressembles pas à un vieux croûton.” J’ai suivi son conseil, mais ça me manque. J’ai très très envie de jouer au théâtre. Mais c’est vrai que c’est terrifiant de se retrouver sur les planches devant je ne sais pas combien de personnes, tous les soirs, avec la peur du trou… Et en même temps, c’est une adrénaline complètement dingue. Ce qui me manque justement, c’est cette adrénaline-là. Quand vous avez fini une représentation le soir, vous n’arrivez pas à dormir avant 3 ou 4 h du mat, parce que vous êtes surchargé de l’adrénaline que vous avez prise du public. C’est une vie un peu à part le théâtre. Quand vous jouez sur scène, vous vous couchez très tard. Vous avez souvent des potes qui viennent vous voir, vous allez dîner avec eux, vous ne rentrez pas avant 3-4h du mat. Je ne me vois pas finir le théâtre à 3 h du mat et me lever à 7h pour amener mes enfants de six ans à l’école et revenir. Je vais attendre qu’ils soient plus grands, que je sois un peu plus vieux. Après, je pourrai me prendre un petit studio à côté du théâtre et dormir le matin, peinard…
La manière de travailler de Brizé est fascinante. C'est très intelligent.
Quelle était votre attente par rapport à ce tournage avec Stéphane Brizé ?
Je suis fan de son cinéma, de la véracité qui ressort de ses films. À chaque fois que je voyais ses films, j’étais très impressionné de la vérité des situations. On a l’impression que c’est de l’impro, alors que je sais que ça n’en est pas, que c’est écrit. C’est complètement fou. J’étais curieux de voir sa manière de travailler, qui est fascinante, parce que c’est très intelligent. En fait, il vous fait lire le scénario, puis vous le reprend. Et vous ne l’avez plus pendant un an. La veille du tournage, il vous donne les scènes, mais pas les dialogues. Il vous donne un texte, dans lequel il y a marqué par exemple : “Tu rentres dans le bar, elle n’est pas encore là. Tu l’attends. Tout d’un coup, elle rentre, tu lui demandes si elle veut boire quelque chose. Elle te répond : un coca. Tu demandes au serveur un coca et vous allez vous asseoir.” Mais à Alba, il a donné un autre texte… Elle arrive. Je lui dis : “Tu vas bien ? Tu veux un coca ?” Elle me dit non ! J’ai ce temps de surprise. Je lui dis : “Ok, mais t’es sûre que tu veux pas un coca ?” Du coup, je ne demande rien au serveur. On s’assied et on commence la scène. Brizé arrive à créer des accidents comme ceux-là. Ce n’est pas de l’impro, parce que je suis censé dire : “Tu veux boire quelque chose ?” Et elle, elle me répond non. Donc chacun dit son texte, sauf que ce n’est pas forcément les réponses que l’on attendait. On est donc obligé de vraiment écouter son partenaire. Quand vous apprenez un texte, vous connaissez déjà ses réponses, ce n’est pas la même qualité d’écoute. Alors que là, vous dites votre texte et l’autre va vous dire quelque chose auquel vous ne vous attendez pas. Vous êtes vraiment dans une qualité d’écoute énorme. Et c’est là que la magie opère… C’est un exercice très savoureux.
Comment avez-vous construit l’alchimie avec Alba Rohrwacher ?
C’est très important, quand on fait un film comme celui-là, avec une histoire d’amour aussi forte, qu’il y ait cette connexion, cette alchimie avec l’actrice ou avec l’acteur. Mais c’est quelque chose qu’on ne maîtrise pas. C’est vrai qu’avec Alba, on s’adore. J’ai adoré travailler avec elle. C’est une actrice extraordinaire. Et j’ai adoré la femme qu’elle est aussi, parce qu’elle est très drôle. C’était très très agréable. Sur certains films, on ne sait pas pourquoi, il y a des gens qui sont un peu distants. Vous jouez juste la scène et puis ils s’éloignent. Là, j’avais du plaisir entre les prises à rester avec elle, à discuter avec elle. On était très complices. Franchement, je l’aime beaucoup.
Hors-saison aborde, de façon très délicate et décalée le genre de la comédie romantique. C’est ce qui vous a plu en lisant le scénario ?
J’ai simplement lu un scénario qui m’a bouleversé, que j’ai trouvé très très beau. Après, je ne cherche pas à ce qu’il appartienne forcément à un genre plus qu’à un autre. En lisant le scénario, je n’avais pas forcément vu le potentiel comique de certaines séquences, comme celle de la machine à café par exemple. Quand on lit la séquence, on ne se doute pas forcément que ça va faire rire comme ça… Mais j’aime bien cette richesse des genres dans un même film.
Au contact de cet ancien amour, votre personnage semble retrouver goût à la vie…
Je crois beaucoup à ce que quelqu’un m’a dit un jour, dans une période où je n’étais pas très heureux. “Tu sais, dans la vie, il faut soit décider d’être heureux, soit d’avoir raison, mais on ne peut pas avoir les deux.” Je trouve ça assez juste, notamment dans un couple. Dans un couple, on est toujours dans des batailles pour avoir le dernier mot. Mais des fois, on se rend compte qu’on peut se dire : “Je m’en fous, c’est pas grave. Ok, t’as raison…” Je pense que Mathieu est un homme qui a décidé, pendant longtemps, d’avoir raison. Et là, au moment où tout d’un coup il s’arrête, où il fait une petite pause dans son travail, que rien ne va, il change. Je trouve que c’est un personnage assez touchant…