L’homme a acquis une influence si significative sur l’écosystème terrestre qu’elle a marqué l’entrée de nos sociétés dans une nouvelle ère géologique : l’anthropocène. En d’autres termes, « l’impact des activités humaines est tel qu’il implique un bouleversement irréversible des systèmes biophysiques planétaires » et provoque « une crise de l’habitabilité ». Réalité à partir de laquelle Michel Lussault, géographe et directeur de l’Ecole urbaine de Lyon, conduit ses travaux depuis plusieurs années. A l’école de l’anthropocène, qu’il a créée en 2017, Michel Lussault réunit des participants aux profils divers pour comprendre de quelle manière les acteurs politiques, économiques et sociaux pourraient répondre aux enjeux de la ville anthropocène.
Un espace de débat interdisciplinaire visant à inventer de nouveaux cadres de discussion et à provoquer une accélération nécessaire de la recherche face à l’ampleur des changements à mener : « créer un modèle d’urbanisation moins extractif et moins émissif » ; « sortir de l’apologie du citoyen pensé comme un consommateur aux désirs illimités » ; « inventer de nouvelles géopolitiques pour redéfinir les relations entre humains et non-humains » ; « accepter de soustraire des espaces »…
Autant de réflexions qui entourent la question de l’urbanité désirable à l’ère anthropocène, et dont les gouvernements ne semblent pas vouloir mesurer la complexité. En attendant un sursaut étatique, Michel Lussault et son équipe révèlent l’audace des acteurs locaux – élus et citoyens – et tentent de susciter des vocations pour encourager une conversion anthropocène du bas vers le haut.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur les enjeux de la ville anthropocène ? Et quel lien faites-vous avec la crise de l’habitabilité ?
Notre entrée dans l’époque anthropocène et le changement global, sa « grande accélération » depuis près de soixante-dix ans, résultent de l’urbanisation généralisée, sur laquelle je travaille depuis une trentaine d’années. Mes travaux consistent à comprendre en quoi cette dernière, appréhendée comme un phénomène de remplacement des modes de vie classiques par des formes de vie urbaine, bouleverse l’espace et les sociétés terrestres – au-delà des aspects strictement géographique et démographique. Car même un paysan d’Amazonie peut vivre une forme de vie urbaine : utiliser des moyens de communication numérique, du plastique…
Au tournant des années 2000, j’ai été frappé par la puissance de l’urbanisation comme vecteur de la mondialisation et par sa paradoxale vulnérabilité. Les villes, très équipées, fonctionnelles, optimisées en apparence, points d’appui de la globalisation économique, sont aussi de plus en plus exposées aux catastrophes naturelles, technologiques, politiques… Et c’est ce qui nous mène à la crise de l’habitabilité actuelle : nous saisissons désormais que cette vulnérabilité est notre horizon en raison du changement global. Pour faire face à cette crise de l’habitabilité, nous devons comprendre comment nous pouvons intervenir. Pour habiter mieux, nous devons changer, proposer une nouvelle façon de concevoir et de vivre l’urbanité. Ce qui nécessite un véritable volontarisme politique.
La posture de l’Etat français est-elle à la hauteur des enjeux ?
Il y a une prise de conscience des acteurs politiques, économiques et sociaux des enjeux de l’anthropocène. Et la pandémie a achevé de convaincre certaines personnes. On pressent que, pour affronter nos problèmes, l’adaptation ne suffira pas.
La transition, telle que nous la pensions il y a quinze ans, n’est plus d’actualité. La puissance des phénomènes est telle qu’elle impose d’aller au-delà. Il va falloir réorienter nos manières d’habiter, de produire, d’échanger, de consommer. Réinventer un autre rapport aux ressources. Réutiliser et recycler, c’est déjà changer de modèle. Mais il faut aller plus loin. Toutefois,
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