Jacques Bonnaffé, comédien : «La poésie apprécie mieux la vérité du monde que les chiffres»

Jacques Bonnaffé est un habitué du Marathon des mots et chaque année ou presque, on se précipite écouter sa voix profonde qui mâche avec gourmandise les mots des auteurs les plus passionnants.

Acteur chez Godard, Tacchella ou Doillon, immense comédien de théâtre, Jacques Bonnaffé viendra lire Vuillard, Manai, Higelin ou encore Modiano, et on s'en régale déjà. Rencontre.

Vous revenez encore et toujours au Marathon des mots : qu'y trouvez-vous ?

Dalia (Hassan, co-directrice, avec Serge Roué, du Marathon, NDLR) ! Je lui dis, «Cette année je ne viendrai pas, je veux changer un peu...» mais elle ne veut rien entendre : «Non non non, tu viens, je t'ai déjà inscrit, d'ailleurs j'ai déjà prévu que tu lises ceci et cela !» Et donc je reviens... et à chaque fois j'en suis très heureux, car dans nulle autre ville on ne pourrait trouver une telle proximité de lieux si favorables à la lecture. La lecture est inscrite dans ma pratique de comédien et, sans prétention, je suis assez bon dans cet exercice-là. J'aime renouveler ce marathon – car c'en est un ! - et j'aime retrouver l'appétit particulier de ce public-là, à ce moment-là. On y est tributaire de l'émotion, mais pas de la sensiblerie : l'émotion, par exemple, de savoir tous les auteurs qui sont là.

Vous y préparez-vous comme vous le feriez d'un texte de théâtre, de cinéma?

Pas tout à fait, car l'imagination contemporaine devient très technique. Il y a lorsqu'on lit, un léger déplacement du timbre, de la voix. Je dois avouer m'être ennuyé lors de lectures de grands acteurs, aussi il m'arrive de prendre des risques, de dépasser la lecture. Je peux lire un texte plusieurs fois avant, ou me mettre en état de découverte. Je n'ai pas de complexe à buter sur un mot.

Vous lirez notamment les «Lettres d'amour d'un soldat de 20 ans» de Jacques Higelin, disparu récemment...

C'est une référence, quelqu'un qui a beaucoup compté pour moi. Il s'est imposé dans la longueur, dans le temps. Il y a eu ses premières chansons, puis il a changé, c'est une façon de ré-apparaître qui me plaît. Il pouvait être très humble et très capricieux, c'était un homme sincère et honnête. On en a marre des paillettes à la con.

Quel rapport avez-vous aux livres ?

Depuis deux ans, j'ai une émission sur la poésie sur France Culture, donc mes lectures tournent beaucoup autour d'elle en ce moment, et j'ai pris du retard sur les romans. Sinon, je vis en grande sympathie avec les livres. Je les garde, car j'ai un travail de ressassement, de retour, j'ai souvent besoin de retrouver une voix dans un livre.

Un événement comme le Marathon des mots est-il l'indication rassurante que la lecture ne se porte au fond pas aussi mal qu'on le dit ?

Je n'ai pas besoin d'être rassuré, car ceux qui disent cela se trompent et se trompaient déjà il y a dix ou vingt ans ! Il y en a eu, des morts annoncées ! Le livre est un objet indispensable, il est en très bonne santé, et la poésie apprécie bien mieux la vérité du monde que les chiffres. Cela dit, il faut aussi savoir chier sur les mauvais livres. Les gens tombent dessus parce qu'on les épuise.

Jacques Bonnaffé lira «L'ordre du jour» d'Eric Vuillard vendredi 29 juin à 15h30 au TNT puis «Lettres d'amour d'un soldat de 20 ans» à 21h au Cloître des Jacobins ; «L'amas ardent» de Yamen Manai dimanche 1er juillet à 11h30 à la Chapelle des Carmélites, puis «Souvenirs dormants» de Patrick Modiano à 14h30 au Théâtre Sorano.