Philippe Séguin, la mort d'un passionné sans concession

  • Philippe Séguin, la mort d'un passionné sans concession Philippe Séguin, la mort d'un passionné sans concession
    Photo DDM, Thierry Bordas Avec Éric Cantona.
Publié le , mis à jour
J.-P. B.

VIDÉOS -- Mercredi, Philippe Séguin avait travaillé « jusqu'au bout » à la Cour des Comptes, et il avait été reçu par François Fillon à Matignon. Rien ne laissait prévoir qu'il serait terrassé par une crise cardiaque hier vers 6 heures du matin à son domicile parisien. À 66 ans, c'est une grande figure de la vie politique française dont il a occupé des postes majeurs, qui disparaît.

Un flot de réaction unanimes a salué « le grand serviteur de l'État » à l'indépendance d'esprit inaltérable, qui aura terminé sa carrière en tant que Premier président de la Cour des Comptes. On a même vu François Fillon et Henri Guaino, dont Philippe Séguin a été le mentor en politique, au bord des larmes en lui rendant hommage. « Il n'y avait eu aucun signe avant-coureur » du malaise qui l'a emporté, a déclaré l'ancien ministre, Roger Karoutchi, l'un de ses plus proches.

Séguin, pupille de la Nation qui se présentait volontiers comme un « petit chose » de la République, était un pur produit de la méritocratie républicaine, via l'ENA. Père de quatre enfants issus de deux mariages, ce gaulliste social connaîtra le parcours politique d'un franc-tireur en butte aux appareils politiques bien qu'il fût élu à la tête du RPR. C'est ainsi qu'il n'accéda jamais à Matignon même s'il a contribué à la victoire présidentielle de Chirac en 1995 en prônant le thème de « la fracture sociale ».

De même, il démissionna avec fracas de la présidence du RPR et abandonna contre toute attente la campagne des européennes en 1999 avant d'essuyer en 2001 un échec retentissant aux municipales à Paris, ne parvenant pas à rassembler une droite à bout de souffle. À l'Assemblée nationale, Séguin a créé la session unique. À la Cour des comptes - fonction idéale pour ce républicain sourcilleux- il avait multiplié les remontrances retentissantes, notamment en stigmatisant les excès de sondages commandés par l'Élysée.

Séguin restera aussi comme celui qui, le 20 septembre 1992, avait porté la contradiction à François Mitterrand lors du traité de Maastricht.

Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac se sont recueillis, hier soir, devant la dépouille de Philippe Séguin, au funérarium de Batignoles, au nord de Paris. Des obsèques auront lieu aux Invalides lundi, avec un discours du chef de l'État. Philippe Séguin sera inhumé ensuite à Bagnols-en-Forêt (Var) dans le caveau familial.


Homme rond passionné de foot

Les journalistes qui suivaient la campagne électorale de Philippe Séguin pour les municipales à Paris en 2001 se souviennent encore de ce fameux soir où il avait soudainement disparu. Ses collaborateurs et la presse le retrouvèrent en train de regarder seul un match de foot à la télé. Séguin, qui ne se faisait plus guère d'illusions sur le résultat de sa confrontation avait Bertrand Delanoë, avait décidé de faire une pause dans sa campagne pour sacrifier à sa grande passion : le ballon rond. Supporter du PSG et de l'équipe de France, c'était un habitué des stades à travers le pays, quel que soit le niveau de l'affiche. Fin connaisseur du football, il devisait souvent avec joueurs et entraîneurs qu'il rencontrait. En 1973, il avait rédigé un rapport qui jetait les bases de l'organisation du foot professionnel. Il était président de la Commission Grands stades Euro 2016, chargée d'évaluer l'état des enceintes françaises en vue du Championnat d'Europe des Nations 2016, et il dirigeait aussi la Fondation du football. « Le football français pleure l'un des siens » a dit la Fédération française (FFF), la Ligue (LFP) saluant de son côté « un vrai passionné de football ».

Portrait

Un républicain entier, exigeant et ombrageux

Une carcasse massive, une voix jupitérienne, de fréquentes mimiques, un rire silencieux auquel pouvait succéder une mine renfrognée : la silhouette de Philippe Séguin, variable en fonction des cures d'amaigrissement, a tenu une place à part dans le monde politique. Le tempérament de ce Méditerranéen d'origine modeste, né à Tunis en 1943, était également atypique. Philippe Séguin était un gaulliste ombrageux et exigeant qui ne transigeait pas avec ses convictions. Son caractère entier l'a souvent mis en porte-à-faux par rapport à son parti, à l'époque le RPR. Séguin s'était porté, contre une majorité de son camp, à la pointe du combat contre le traité de Maastricht en 1992. « Le plus intelligent, le plus percutant, un jugement très sûr ». Mais aussi « un rêve politique fracassé sur les réalités politiciennes », un caractère « compliqué », rendant difficile l'action, résumait un proche.« Il passe du plus charmant au plus odieux », écrivait Nicolas Sarkozy de ce grand républicain, célèbre par ses emportements, mais qui était aussi souvent gagné par le découragement.

Vidéo : Philippe Séguin "va nous manquer beaucoup" (Sarkozy)

Philippe Séguin

Fibre sociale

Homme de haute stature à la fibre sociale, doté du sens de l'État, Séguin aurait pu prétendre aux plus hautes fonctions, notamment à Matignon après l'élection de Chirac en 1995. Mais il était jugé trop « imprévisible ».Dans ses mémoires « Itinéraire de la France d'en bas, d'en haut et d'ailleurs », il reconnaissait : « J'aurais pu me demander à la longue si je n'eusse pas mieux fait de m'abstenir d'entrer en politique ». Séguin avait une culture fine axée sur l'histoire, le cinéma, le sport. A la Cour des Comptes, il déployait tous ses dons de rude censeur des dérives.

Un débat avec Mitterrand

Chef de file des souverainistes contre le traité de Maastricht, Philippe Séguin à débattu avec François Mitterrand le 20 septembre 1992 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, lors d'une émission animée par Guillaume Durand. Le Président, malade, sera opéré quelques jours plus tard par le professeur Bernard Debré. Ce soir-là, Philippe Séguin, partisan du «non», sera particulièrement déférent envers le chef de l'Etat au cours d'un échange de haut niveau, courtois et souvent émaillé d'humour.


La classe politique unanime

Nicolas Sarkozy : « Son amour de la République était inséparable de son amour de la France, de sa haute idée de l'État. Il avait des convictions, il avait de la hauteur de vue, il avait du talent, il était mon ami, il va nous manquer beaucoup. »

François Fillon : « Aujourd'hui je perds un ami et la France perd l'un de ses plus grands serviteurs et l'une de ses plus belles voix politiques. Une voix tonitruante, profonde, toujours féconde, une voix aussi parfois tourmentée. »

Xavier Bertrand (UMP) : « La République française vient de perdre un grand homme, un homme d'État. »

Martine Aubry (PS) : « Avec Philippe Seguin disparaît un très grand serviteur de l'État qui a eu toute sa vie une passion pour l'intérêt général. C'était un républicain respecté bien au-delà de son camp qui a profondément marqué la vie politique. »

Jean-Michel Baylet (PRG) : « Grand serviteur de l'État et grand républicain, gaulliste sans compromissions, il fut un remarquable président de l'Assemblée nationale, défenseur et modernisateur du rôle du Parlement. Dans ce contexte de crise économique, son autorité rigoureuse à la tête de la Cour des Comptes manquera au pays. »

Vidéo : Séguin recueille l'hommage unanime de la classe politique

Séguin recueille l'hommage unanime de la classe politique

Marie-George Buffet (PC) : « C'était un homme qui a consacré une grande partie de sa vie au débat politique, défendant ses convictions. Même si nous ne partagions pas les mêmes idées, je voudrais dire mon respect pour le travail du président de la Cour des comptes. ».

François Bayrou (MoDem) : « Il était républicain par son parcours et par ses valeurs. Il ne renonçait pas à combattre même s'il paraissait seul contre tous. »

Bernard Accoyer (président de l'Assemblée). Il s'est dit « admiratif de l'homme et de son parcours. »

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Publié le 07 Janvier 2010