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Au meilleur des amis, Martin Desjardins : un nouveau chef-d'oeuvre du jeune Rigaud

Catalogue concerné : I. Catalogue des portraits peints / Portraits d'attribution certaine

Période : Deuxième période (de 1680/1681 à 1690/1691)

Numéro déjà catalogué : P.52 (page 31)

Rubrique concernée : Œuvres en rapport / Réplique ou copie avec variante conservée Nature de la mise à jour : précision apportée sur une oeuvre déjà cataloguée

 

Fig. 1a : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, Paris, Galerie Didier Aaron

(c) Galerie Didier Aaron

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, Paris, Galerie Didier Aaron

Fig. 1b : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, avec son cadre actuel, Paris, Galerie Didier Aaron

(c) Galerie Didier Aaron

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, avec son cadre actuel, Paris, Galerie Didier Aaron

PRÉCISION APPORTÉE sur une OEUVRE déjà CATALOGUÉE

Le texte qui suit a été rédigé le 1er juillet 2017 à l'aimable instigation de Laure et Bruno Desmarest, de la Galerie Didier Aaron Paris, qui nous ont fait l'amitié de nous associer à la redécouverte de ce chef-d'oeuvre méconnu de Hyacinthe Rigaud, qui a fait l'objet, grâce à eux, d'une restauration et d'un encadrement dignes de lui. Après examen attentif, cette oeuvre, que nous ne connaissions jusqu'à l'été 2017 que par l'intermédiaire d'une médiocre reproduction en noir et blanc qui nous avait incitée à la circonspection, s'est révélée être d'une qualité exceptionnelle et entièrement autographe. Nous proposons de la dater vers 1686, au regard de son iconographie.


Ht. H. 1,18 ; L. 0,92 m

Paris, Galerie Didier Aaron

Hist. :

> peint vers 1686 et laissé en partie inachevé ;

> conservé par Hyacinthe Rigaud ;

> est-ce le portrait de Desjardins que Rigaud cite au titre de l’inventaire de sa propre collection en 1703 ("portrait de Mr Des Jardains") et qu’il estime à "500 livres" (Paris, Arch. nat., ét. XCV, liasse 51, 17 mai 1703, contrat de mariage entre Hyacinthe Rigaud et Marie Catherine Chastillon, "Tableaux de mes ouvrages sur le pied du prix ordinaire", document édité par Jules Guiffrey, "Contrat de mariage et testament du peintre Hyacinthe Rigaud…", Nouvelles archives de l’art français, 1891, t. 7, p. 50-74) ? ;

> est-ce le portrait de Desjardins que Rigaud lègue dans son testament de 1715 au fils de son modèle, Jacques Desjardins (ca. 1664-1716), contrôleur des Bâtiments du roi à Marly ("le portrait en grand à deux mains, dans sa bordure, appuyé sur une tête d’esclave, de M. Desjardins, son père, célèbre sculpteur et son ancien amy, duquel ledit sieur Rigaud avoit fait ce portrait, dont il croit ne pouvoir faire un meilleur usage que de le faire remettre audit sieur son fils qui doit être le dépositaire du gage de la sincère amitié qui étoit entre’eux, le priant de donner ses soins à ce que ce portrait ne passe point en main étrangère […]", Paris, Arch. nat., ét. XCV, liasse 63, 28 juillet 1715, testament de Hyacinthe Rigaud, document édité par Jules Guiffrey, "Contrat de mariage et testament du peintre Hyacinthe Rigaud…", Nouvelles archives de l’art français, 1891, t. 7, p. 50-74) ? Ce tableau demeura par le décès de Jacques Desjardins en 1716 propriété de Rigaud ;

> est-ce le portrait de Desjardins cité dans l’inventaire après décès de Rigaud en 1744 sous l’item 390 ("un grand tableau, peint sur toile, Portrait de M. Desjardins, sculteur du roy, dans sa bordure dorée, numéroté cent trente deux, prisé la somme de quarante livres", Paris, Arch. nat., ét. XLIII, liasse 383, 6 mars-21 avril 1744, document édité par Ariane James-Sarazin, "L’inventaire après décès de Hyacinthe Rigaud", Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, année 2007, p. 49-155) ? ;

> est-ce le portrait de Desjardins, propriété de Pierre Neuve, marchand orfèvre à Paris et de son épouse Geneviève Élisabeth Collet, peintre de l’Académie de Saint-Luc, que celle-ci, devenue veuve, vendit à son confrère Pierre Villebois, maître peintre, et qui est cité en annexe du contrat de mariage de Villebois avec Geneviève Hamoche en 1750 ("portrait de M. Desjardins, par M. Rigaud", Paris, Arch. nat., ét. IV, liasse 565, 3 février 1750, document édité par Mireille Rambaud, Documents du Minutier central concernant l’histoire de l’art (1700-1750), Paris, 1971, p. 398-399 et p. 945-947) ? ;

> vente Versailles, hôtel des Chevau-Légers, Paul Martin, 10 mars 1963, lot 41, repr. (attribué à Rigaud, Portrait d'Antoine Coysevox) ;

> Suisse, collection particulière, 1963-2017 ;

> Paris, Galerie Didier Aaron.

Bibl. : Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), Dijon, Editions Faton, 2016, tome II : Le catalogue raisonné, catalogué sous le n° P.52, p. 31, repr.

Exp. : 2018, Maastricht, TEFAF



Originaire de Bréda, Martin van den Bogaert dit Desjardins (1637-1694) [1] fit toute sa carrière à Paris. Après avoir travaillé à Vincennes, aux hôtels de Salé et de Beauvais, il fut l’un des sculpteurs de Versailles. Ses deux plus célèbres réalisations demeurent le monument de la place des Victoires à Paris (1679-1686), que lui commanda le duc de La Feuillade et sa statue équestre de Louis XIV, place Bellecour à Lyon.


Dans l’Abrégé de sa vie [2], qu’il rédigea ou fit rédiger à la demande du grand-duc de Toscane Côme III en 1716, Rigaud dit de Desjardins qu’il fut "son meilleur ami", ce dont attestent bien d’autres témoignages écrits tels que l’aveu fait par le Catalan un an plus tôt au détour de l’un de ses nombreux testaments où il évoque "la sincère amitié qui étoit entre’eux" [3], laissant percevoir toute la profondeur de leur affection réciproque. À celle-ci, Rigaud n’omit pas de donner une traduction plastique en exécutant au moins quatre portraits du sculpteur en différentes attitudes. Trois d’entre eux étaient déjà connus et sont conservés dans des collections publiques : château de Versailles (huile sur toile, 1683, H. 1,39 x L. 1,04 m, inv. MV 3583) (Fig. 2), Gemäldegalerie de Berlin (huile sur toile, 1692, H. 1,35 x L. 1,03 m, inv. 460) (Fig. 3) et Louvre (huile sur toile, 1700, H. 1,41 x L. 1,06 m, inv. 7511) (Fig. 4) [4]. Il convient désormais d’en ajouter un quatrième, aujourd'hui présenté par la Galerie Didier Aaron, que nous avions considéré prudemment en 2016 [5] – n’ayant eu alors accès qu’à la photographie en noir et blanc parue dans le catalogue de vente de 1963 où la toile avait été proposée avant de disparaître –, comme une réplique ou une copie avec variante de la version de Versailles, mais qui se révèle après un examen de visu comme une œuvre parfaitement autographe, de très grande qualité et tout à fait caractéristique des cinq premières années d’activité de Hyacinthe Rigaud à Paris. Par l’identité du modèle représenté et la nature des liens qu’il entretenait avec son portraitiste, par son iconographie et sa résonance avec l’un des aménagements urbains les plus importants du règne de Louis XIV, par sa place et sa portée dans la production rigaldienne, la réapparition de ce quatrième portrait de Martin Desjardins est une découverte majeure.



Fig. 2 : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1683, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 3583

(c) Paris, RMN-GP

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1683, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 3583


Fig. 3 : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1692, Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie, inv. 460

(c) Berlin, Gemäldegalerie

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1692, Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie, inv. 460

Fig. 4 : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1700, Paris, musée du Louvre, inv. 7511

(c) Paris, RMN-GP

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1700, Paris, musée du Louvre, inv. 7511

Si l’on ne peut le rattacher à aucune mention des livres de comptes de l’artiste [6], cette absence est, on le sait, loin d’être rédhibitoire puisque nombre de tableaux – 7% au moins selon nos calculs – dont l’attribution à Rigaud ne fait aucun doute ou qui ont été gravés d’après lui manquent à l’appel, à l’instar du portrait de Desjardins, aujourd'hui au Louvre, ayant servi à Rigaud de morceau de réception en 1700 à l’Académie royale de peinture et de sculpture (Fig. 4). Il en fut en revanche autrement des deux autres portraits de Desjardins : compte tenu, notamment, de l’existence d’un pendant inscrit en 1684 et représentant son épouse Marie Cadesne ( ?-1716) (Fig. 5) [7] avec lequel il partage un prix (66 livres), un format (jusqu'aux genoux), des dimensions et une provenance analogues, le tableau de Versailles doit être assimilé à une mention de l’année 1683, tandis que la version de Berlin, gravée en 1698 par Gérard Edelinck (1640-1707), est à rapprocher d’une autre, rajoutée parmi les commandes de l’année 1692.



Fig. 5 : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Marie Cadesne, 1684, Caen, musée des Beaux-Arts, inv. 20

(c) Caen, musée des Beaux-Arts

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Marie Cadesne, 1684, Caen, musée des Beaux-Arts, inv. 20


Dans le corpus rigaldien relatif à Desjardins, notre tableau entretient une réelle proximité avec la version de 1683, conservée au château de Versailles, dont on retrouve ici les principaux éléments de composition : le sculpteur est vu de trois quarts vers la droite, la main gauche posée sur la tête du captif représentant l’Empire (bronze autrefois doré, 1681-1682, H. 2,20 x L. 2 x Pr. 1,70 m, musée du Louvre, inv. R.F. 4408) (Fig. 6) [8], l’une des nations vaincues du traité de Nimègue en 1679, destinée à cantonner l’un des angles du piédestal de la statue pédestre de Louis XIV sur la place des Victoires à Paris que l’on aperçoit à l’arrière-plan droit.



Fig. 6 : Martin Desjardins, L'Empire, 1681-1682, Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 4408

(c) Paris, RMN-GP

Martin Desjardins, L'Empire, 1681-1682, Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 4408


Comme nous l’avons montré dans notre ouvrage, le jeune Rigaud (il n’a alors qu’une vingtaine d’années) reprend à son compte un schéma auquel d’autres s’étaient essayés avant lui – citons Philippe de Champaigne (1602-1674) et son Jacques Lemercier (1644, Versailles, musée national du Château, inv. MV 7545) (Fig. 7), Pierre Rabon (1619-1684) et son Antoine de Ratabon (1660, Versailles, musée national du Château, inv. MV 4346) ou encore Louis II Elle (1648-1717) et son Thomas Regnaudin (1681, Versailles, musée national du Château, inv. MV 5838) – et dont il usa en 1685 pour son Jules Hardouin-Mansart (huile sur toile, H. 1,39 x L. 1,06 m, Paris, musée du Louvre, inv. 7510) (Fig. 8) [9], campant son modèle devant l’une de ses réalisations majeures, visible par delà une sorte de loggia.



Fig. 7 : Philippe de Champaigne, Portrait de l'architecte Jacques Lemercier, 1644, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 7545

(c) Paris, RMN-GP

Philippe de Champaigne, Portrait de l'architecte Jacques Lemercier, 1644, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 7545


Fig. 8 : Hyacinthe Rigaud, Portrait de l'architecte Jules Hardouin-Mansart, 1685, Paris, musée du Louvre, inv. 7510

(c) Paris, RMN-GP

Hyacinthe Rigaud, Portrait de l'architecte Jules Hardouin-Mansart, 1685, Paris, musée du Louvre, inv. 7510


Toutefois, orientation du visage, disposition de la main droite, tenue vestimentaire et agencement de l’arrière-plan diffèrent, livrant quelques menus indices sur une datation probable. On peut en effet observer que, contrairement au tableau de 1683, l’espace séparant deux figures de captifs dans le monument de la place des Victoires est ici occupé par des trophées d’armes et que le piédestal comporte en son centre un tondo sommé de festons de lauriers qui retombent de chaque côté (Fig. 1c). Or trophées et tondi ne faisaient pas partie du programme initial (1682-1683) confié par le duc de La Feuillade, courtisan éperdu d’admiration pour son roi, au sculpteur Martin Desjardins [10], mais firent l’objet d’une commande spécifique en 1685. En outre, tandis que Rigaud situe en 1683 la statue de Louis XIV dans une sorte de terrain vague arboré, seulement dominé par une colonnade monumentale de pure fantaisie, il l’entoure ici d’un écrin d’architecture, traitée d’un pinceau moins appuyé que le monument lui-même, ce qui lui donne l’aspect d’un décor de fond de scène. Or l’on sait par le récit de Donneau de Vizé paru dans Le Mercure galant qu’au jour de l’inauguration officielle de la place, le 28 mars 1686, seuls la statue de Desjardins et l’un des quatre fanaux de Jean Bérain avaient été érigés, les hôtels tout autour, non encore achevés, ayant été suggérés par des façades feintes. Notons d’ailleurs que Rigaud, toujours exact dans ses évocations, retranscrit assez fidèlement l’élévation conçue en 1685 par Hardouin-Mansart faite d’un soubassement de grandes arcades en plein-cintre abritant des baies couvertes en segment d’arc et posées sur une haute allège, dans un léger renfoncement, puis de deux étages réunis par un ordre colossal, mais n’adopte pas le comble brisé à lucarnes qui sera finalement choisi, sans que l’on puisse dire si cette différence de parti était conforme aux façades feintes mises en place pour l’inauguration ou si elle est le fruit de l’imagination du peintre.



Fig. 1c : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, détail, Paris, Galerie Didier Aaron

(c) Galerie Didier Aaron

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, détail, Paris, Galerie Didier Aaron


Tout concourt donc à proposer pour notre tableau une datation vers 1686 : son exécution aurait pu être motivée par l’achèvement et l’inauguration d’un monument à la gloire du roi dont Desjardins pouvait à juste titre s’enorgueillir, à un moment où Rigaud cherchait également à se mettre en règle envers l’Académie royale de peinture et de sculpture. Le 5 août 1684, celle-ci l’avait en effet agréé et lui avait commandé, quelques jours plus tard, les portraits de La Chapelle et de Martin Desjardins comme morceaux de réception. Trois ans plus tard, Rigaud ayant exposé sa difficulté à peindre La Chapelle, la Compagnie lui ordonna le 1er mars 1687 "d’aschever le portraict de M. Des Jardins" [11] et lui donna un délai d’un mois pour ce faire, preuve qu’à cette date, un portrait de Desjardins, qu’il convient peut-être d’assimiler à notre tableau, était bien avancé : on remarquera à cet égard que des traces d’inachèvement sont perceptibles, notamment dans le rendu encore un peu trop géométrique des doigts de la main gauche (Fig. 9). En 1689, Rigaud n’avait toujours pas obtempéré et l’on sait qu’il fallut attendre le 2 janvier 1700 pour qu’il remplisse enfin ses obligations, mais avec un tout autre portrait de Desjardins, aujourd'hui au Louvre (Fig. 4)… Cependant, le souvenir de la composition de 1686 demeure bien présent dans la toile de 1700, puisque si Rigaud opte désormais pour la tête du captif représentant la Hollande (bronze autrefois doré, 1681-1682, H. 2,20 x L. 2 x Pr. 1,70 m, musée du Louvre, inv. R.F. 4410) (Fig. 10), il reste fidèle au col de chemise simple, sans dentelle, et à l’habit noir qui rompent notamment avec la tenue vestimentaire de 1683.


Fig. 9 : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, Paris, Galerie Didier Aaron

(c) Galerie Didier Aaron

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, vers 1686, Paris, Galerie Didier Aaron


Fig. 10 : Martin Desjardins, La Hollande, 1681-1682, Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 4410

(c) Paris, RMN-GP

Martin Desjardins, La Hollande, 1681-1682, Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 4410


Il est moins aisé d’établir la destinée de notre tableau, dans la mesure où les sources contemporaines faisant référence à un portrait de Desjardins par Rigaud ne nous fournissent presque jamais de dimensions ni de description. Néanmoins, les quelques traces d’inachèvement de notre tableau justifieraient qu’il ait été conservé par Rigaud et non pas remis à Desjardins. Nous ne pensons donc pas qu’il faille, par exemple, l’identifier avec le portrait de Desjardins que Rigaud évalue à titre d’expert lors de l’inventaire après décès de son ami en 1694 [12]. En revanche, il peut être, concurremment à la version de Berlin de 1692, un sérieux candidat pour être confondu avec l’image du sculpteur que Rigaud garda précieusement chez lui jusqu'à sa propre mort en 1743 [13].


Au-delà de sa fortune matérielle et affective, notre tableau est riche de significations particulières dans l’œuvre de Rigaud : comment, en effet, ne pas voir, à la suite d’Hendrik Ziegler et de Thomas W. Gaehtgens [14], l’écho du Louis XIV pédestre de Desjardins, vêtu du manteau du sacre et du costume de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, une main à la hanche, l’autre s’appuyant crânement sur un long bâton, dans le célèbre portrait de Louis XIV en grand costume royal exécuté en 1701-1702 par Rigaud [15] (huile sur toile, H. 2,77 x L. 1,94 m, Paris, musée du Louvre, inv. 7492) (Fig. 11) ? Et ce d’autant plus que le Catalan fréquentait assidûment la place des Victoires dans le voisinage de laquelle il habita jusqu'en 1720… [16]



Fig. 11a : Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1683, détail, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 3583

(c) Paris, RMN-GP

Hyacinthe Rigaud, Portrait du sculpteur Martin van den Bogaert dit Desjardins, 1683, détail, Versailles, musée national du château et des Trianons, inv. MV 3583

Fig. 11b : Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV en grand costume royal, 1701-1702, détail, Paris, musée du Louvre, inv. 7492

(c) Paris, RMN-GP

Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV en grand costume royal, 1701-1702, détail, Paris, musée du Louvre, inv. 7492


Fondée sur une lecture attentive de l’iconographie, la datation que nous proposons, vers 1686, est à l’unisson de la manière, bien caractéristique des cinq premières années d’activité de Rigaud. Les boucles vaporeuses de la chevelure [17], dessinées avec une légèreté confondante, qui n’a d’égal que celle de Van Dyck, et où le blond délicat joue subtilement avec la préparation ocre sous-jacente, entourent un visage rendu dans toute la vérité de ses traits et la justesse de ses carnations. Là, Rigaud peint avec fermeté et précision (on observera par exemple les plis énergiques du cou), ailleurs, avec rapidité et virtuosité comme dans l’évocation nerveuse du monument de la place des Victoires. Les drapés du manteau noir présentent ce tracé un peu sommaire, ponctué de plis arrondis, que l’on retrouve dans maints de ses portraits des années 1680, tout comme la timidité des effets de revers gris (sur la poitrine et au bas des manches). Quant à la belle manche bouffante qui sourd du manteau et par laquelle Desjardins revendique, l’index pointé, la paternité du monument à la gloire de Louis XIV, elle fascine tout autant le regardeur que celles du célèbre Jeune homme aux rubans noirs de Sébastien Bourdon (Fig. 12), autre admiration de jeunesse de Hyacinthe Rigaud…



Fig. 12 :Sébastien Bourdon, Portrait d'un jeune homme dit aux rubans noirs, vers 1657, Montpellier, musée Fabre

(c) droits réservés / Ariane James-Sarazin

Sébastien Bourdon, Portrait d'un jeune homme dit aux rubans noirs, vers 1657, Montpellier, musée Fabre


 

Notes

[1] Sur Desjardins, voir Lorenz Seelig, Studien zu Martin van den Bogaert genannt Desjardins 1637-1694, Inaugural-Disseration zur Erlangung des Doktorgrades der Philosophischen Fakultält der Ludwig-Maximilians-Universität zu München, 1973, Altendorf, 1980.


[2] Abrégé de la vie de Hyacinthe Rigaud, daté de 1716, dans Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, éd. Ph. De Chennevières, L. Dussieux, P. Mantz, A. de Montaiglon et E. Soulié, Paris, 1854, t. 2, p. 116.


[3] Paris, Arch. nat., ét. XCV, liasse 63, 28 juillet 1715, testament de Hyacinthe Rigaud ; Jules Guiffrey, "Contrat de mariage et testament du peintre Hyacinthe Rigaud…", Nouvelles archives de l’art français, 1891, t. 7, p. 50-74.


[4] Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Éditions Faton, 2016, respectivement n° P.52, p. 31 (Versailles), n° P.339, p. 116-117 (Berlin) et n° P.703, p. 238-239 (Louvre).


[5] Ibid., cité sous le n° P.52, repr. p. 31. Nous signalons également dans notre ouvrage l’existence d’une version réduite avec variante (dans l’élévation des façades de la place des Victoires, comme dans l’absence de la statue de Louis XIV) au musée d’art Hyacinthe-Rigaud de Perpignan (huile sur toile, H. 0,90 x L. 0,72 m, inv. 841-I-20) où elle était attribuée jusque-là à Alexis Grimou.


[6] Joseph Roman, Le Livre de raison du peintre Hyacinthe Rigaud, Paris, 1919.


[7] Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Éditions Faton, 2016, n° P.70, p. 35-36.


[8] Tous les portraits de Desjardins dus à Rigaud utilisent la tête du captif représentant l’Empire, à l’exception du tableau du Louvre (1700) qui montre celle représentant la Hollande. À noter que dans notre tableau, la tête de l’Empire est inversée par rapport à la version de Versailles (1683), mais est dans le même sens que la version de Berlin (1692).


[9] Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Éditions Faton, 2016, n° P.87, p. 39.


[10] Sur la place des Victoires, voir Isabelle Dubois, Alexandre Gady et Hendrik Ziegler, Place des Victoires. Histoire, architecture, société, Paris, 2003 et plus particulièrement, Thomas W. Gaehtgens, "La statue de Louis XIV et son programme iconographique", p. 9-35 et Alexandre Gady, "Le lotissement de la place (1685-1694) ou les infortunes de Mars architecte", p. 67-93 ; Thomas W. Gaehtgens, "Place des Victoires", dans Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) sous la direction d’Alexandre Gady, Paris, 2010, p. 489-494.


[11] Procès verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture 1648-1793, éd. A. de Montaiglon, Paris, 1878, t. 2, p. 346.


[12] Lorenz Seelig, "L’inventaire après décès de Martin van den Bogaert dit Desjardins, sculpteur ordinaire du roi 7 août 1694", Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, 1972, p. 161-182.


[13] Voir l’historique proposé en guise d’hypothèse au début de la présente analyse.


[14] Hendrik Ziegler, "Le demi-dieu des païens. La critique contemporaine de la statue pédestre de Louis XIV", dans Isabelle Dubois, Alexandre Gady et Hendrik Ziegler, Place des Victoires. Histoire, architecture, société, Paris, 2003, p. 64-65 ; Thomas W. Gaehtgens, "La statue de Louis XIV et son programme iconographique", dans ibid., p. 9-35.


[15] Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Éditions Faton, 2016, n° P.773, p. 258-262.


[16] Ariane James-Sarazin, "L’inventaire après décès de Hyacinthe Rigaud", Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, année 2007, p.152-155 (les adresses de Hyacinthe Rigaud à Paris).


[17] On les comparera utilement avec celles du petit duc de Lesdiguières peint en 1687 par Rigaud (Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), tome II : Le catalogue raisonné, Dijon, Éditions Faton, 2016, n° P.117, p. 47-48).

 

Pour citer cet article


Référence électronique

Ariane James-Sarazin, "Au meilleur des amis, Martin Desjardins : un nouveau chef d'oeuvre du jeune Rigaudl", Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L'homme et son art - Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], mis en ligne le 5 mars 2018, URL : http://www.hyacinthe-rigaud.fr/single-post/2018/03/05/Au-meilleur-des-amis-Martin-Desjardins-un-nouveau-chef-doeuvre-du-jeune-Rigaud










L'AUTEUR
Ariane James-Sarazin
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