Dans Casier politique, Ali Soumaré retrace son parcours qui l’a amené de son enfance à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, jusqu’au mandat de conseiller régional PS en Île-de-France.
Ce livre (1) n’est-il pas une façon de montrer la difficulté, pour un jeune banlieusard, noir, de se faire une place sur l’échiquier politique ?
Ali Soumaré. Ce n’est pas nouveau que des Noirs et des Arabes soient candidats, mais ils l’étaient souvent en position inéligible. Certains d’entre eux sont devenus des frustrés de la politique. Il n’y a pas de fatalité. On est obligé de compter sur cette jeunesse engagée si on veut forger la conscience citoyenne des électeurs qui ont une origine étrangère. En faire des élus à tous les niveaux de la représentation politique est indispensable à l’identification des jeunes avec la République ou avec la démocratie, concepts qui leur apparaissent parfois lointains. C’est aussi à nous de nous emparer des responsabilités par les urnes et de ne pas attendre qu’elles nous soient concédées dans la bonne vieille tradition du paternalisme ou de la victimisation.
Cela n’a pas été non plus facile de briguer la tête de liste au sein même de votre parti…
Ali Soumaré. Ça a fait sourire certains quand je me suis proposé. « Il n’a même pas le bac. Il n’a pas d’expérience », disait-on. Ou encore : « Ce n’est pas la couleur de peau qui fait le tout. » Ce sont quasiment les mêmes qui me félicitaient des porte-à-porte que je menais lors des européennes.
Les élus UMP sont allés fouiller dans votre passé pour déterrer vos «erreurs de jeunesse». Est-ce à dire qu’elles vous poursuivront toute votre vie ?
Ali Soumaré. On ne demande pas à ceux qui appartiennent à l’élite de se justifier quand ils ont payé leur dette. Y a-t-il pour quelqu’un comme moi un traitement différent de celui réservé aux nombreux politiques mis en examen, puis relancés dans la vie politique après quelques années ? J’ai subi une remise en cause du droit à l’erreur. On me dit de faire attention, d’être exemplaire. Comme si je devais à chaque fois faire deux fois plus que les autres politiques.
On vous a dénié le droit de vous présenter comme tête de liste, comme si le pouvoir n’était transmissible que dans l’élite ?
Ali Soumaré. Pour l’élite, les jeunes issus de milieux défavorisés doivent être éliminés de la vie politique. Je ne devais absolument pas réussir, sinon j’allais permettre à ceux qui s’identifient à moi d’entrer dans le jeu. Je suis un authentique banlieusard. Avec tout ce que cela charrie comme fantasmes, comme peurs mais aussi comme réalités. J’assume cette identité, je ne renie ni mes racines ni mes erreurs. Je connais beaucoup d’héritiers de l’immigration, notamment au PS, qui, en dépit de leurs longues années de militantisme, n’ont pu accéder aux mandats électifs. Être tête de liste est quelque chose de nouveau. Sans doute les initiateurs de la Marche des beurs, en 1983, ont-ils préparé le terrain, même s’ils sont la génération sacrifiée. J’espère que le combat que je mène avec d’autres servira à la génération de mes enfants.
(1) Casier politique, d’Ali Soumaré, Éditions Max Milo. 16 euros.