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Littérature. La sélection de la semaine

Roman. Se reconstruire à partir des ruines d’un autre

Le roman s’ouvre sur un récit encadré par l’écoute d’un psychanalyste. Face à une bibliothèque, le dos tourné au divan, une femme se raconte dans le plus grand silence. Mal à l’aise, Flora esquive sa vie en évoquant le livre d’un « auteur mort qui lui a sauvé la vie » : Mars du Suisse alémanique Fritz Zorn (1944-1976, de son vrai nom Fritz Angst – « angoisse » en allemand). Ce fils d’une famille bourgeoise de Zurich (Suisse) a été, dans sa vie brève, écrasé par les codes de son milieu. Négation de l’individu ( « yeux cousus des bourgeois »). Il a honte de son corps, se décrit comme d’un « ennui frisant le crime ».

Dans la première partie du livre, qui en compte trois, Flora prend appui sur l’écrivain héroïque pour mieux se dire en creux, (naissance prématurée, déni de grossesse du côté de la mère, d’où le sentiment d’ « avoir quasiment été éliminée in utero », hypersensibilité). Flora ne déracine pas son inconscient, mais fixe son esprit apatride dans celui de Zorn. Il est son terreau. Elle se place dans la condition de l’embryon qui germe et s’éclaire de la tragédie d’un autre. À 30 ans, Zorn découvre qu’il est atteint d’un cancer. Sa tumeur, il la compare à « des larmes rentrées ». Le diagnostic le soulage et « l’encolère ». Opération, psychothérapie. Il commence à écrire un livre-cri, d’une ironie noire, composé dans l’urgence alors que la mort est au travail. Accrochée à Mars, Flora libère sa parole. Elle se dit aussi lentement que Zorn a songé à son texte, qui témoigne de la manière dont une famille peut tuer un individu.

Il s’agit ensuite du passage de la jeune femme dans l’hôpital psychiatrique, nommé le Refuge, où elle découvre, au milieu d’ « égarés », une sorte de souvenir du repos prénatal. Elle brosse le portrait de quelques-uns de ces « broyeurs d’idées noires », restitués dans un style volontairement neutre, même si enragé du dedans. Ils sont tous très humains car « ils sont dehors les inhumains, les métalliques ». Parmi eux, un salarié de France Télécom maltraité quasi jusqu’à la mort. Flora reprend vie au sein d’une « bande » liée par de vraies affinités et non, comme « dehors », par l’âge ou la classe sociale.

En troisième partie, on la retrouve saisie sur le vif auprès de son fils Vladimir, avant sa chute, puis la renaissance. Vêtu d’un bleu de travail, Vladimir lutte contre les peurs en réserve, cultive sa différence avec brio : pas de téléphone portable, pas d’Internet, comparé à un « virus » qui vous «  zombifie » en modifiant votre microbiote. Vladimir a ses propres défenses contre un monde intrusif qui se présente comme une famille (maltraitante) aux règles imposées.

Georgina Tacou signifie avec force le besoin de sécurité première, l’usure des liens toxiques, le poids des viscères, la résistance active à un monde à bout de souffle.

Muriel Steinmetz

♦​​​​​​​ « Évangile des égarés », de Georgina Tacou, éditions Gallimard, collection « l’Arpenteur », 185 pages, 18 euros.


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