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Qui veut couler le Théâtre de la Digue ?

SUBVENTION . L’État se désengage entièrement de cette salle toulousaine mythique, sans élégance, ni motivation sérieuse. pourtant son rôle est majeur pour soutenir la création.

Toulouse, envoyée spéciale.

À l’heure où la ville rose s’enorgueillit d’un projet culturel « ambitieux » ; à l’heure où la région Midi-Pyrénées ne compte que trois scènes nationales (Albi, Foix, Tarbes) ; à l’heure où le ministère de la Culture tente de « concentrer » ses efforts sur quelques rares lieux – un seul Centre dramatique national (CDN), le TNT (Théâtre national de Toulouse) ; bref, à l’heure où tout le monde se targue de « faire du culturel » à tout bout de champ, un lieu atypique, le Théâtre de la Digue, se voit amputé, pour 2009, de la totalité de sa subvention d’État. Moins 151 000 euros. Volatilisés, disparus un certain jour de juin 2008, dans le cadre brumeux de la « révision générale des politiques publiques », la fameuse RGPP. Comme si cela ne suffisait pas, la région lui a ôté à son tour 75 000 euros. Un budget à moins 25 %, à ce tarif-là, ce ne sont plus des soldes, c’est la grande braderie !

travail souterrain DE LONGUE HALEINE

Le Théâtre de la Digue, unique par le travail souterrain d’aide à la création, dédié à la formation des publics et fort d’un fonds d’ouvrages consacrés au théâtre de 20 000 titres, dépend de trois tutelles : ville, région et ministère (via la DRAC, Direction régionale des affaires culturelles). Son budget était de 950 000 euros. Toutes les projections 2009 n’ont pas tenu compte de ces révisions à la baisse. Et pour cause…

La décision de supprimer l’intégralité de la subvention d’État a été prise rue de Valois, le 11 juin 2008, et immédiatement répercutée aux tutelles, le conseil régional et la ville de Toulouse, d’après un courrier du ministère daté… du 13 mars 2009, qui confirme donc cette décision. Ce n’est que fin 2008 que l’équipe du Théâtre de la Digue l’apprend, par une indiscrétion. Personne ne s’était inquiété de l’informer d’une telle décision. Aucune des trois tutelles. Mieux, le président de région, Martin Malvy, ne semblait même pas au courant de l’affaire, si l’on en croit une lettre adressée à la ministre de la Culture datée du 6 mars 2009, dans laquelle il fait part d’un « climat d’inquiétude qui affecte le milieu artistique et culturel de Midi-Pyrénées » et évoque « différentes informations officieuses » sur lesquelles il souhaite des éclaircissements concernant, entre autres, le Théâtre de la Digue.

Pour l’équipe du théâtre (huit salariés), cette nouvelle est un coup dur. Stupeur, incompréhension. Pour Dominique Mercier, le directeur, « si la DRAC estime que la Digue ne rend pas service à hauteur de la subvention et de son cahier des charges, elle a bien fait de la reprendre. Mais attendre vingt ans pour s’en apercevoir alors que l’État est partenaire du théâtre et siège au conseil d’administration, c’est un peu long, non ? »

L’existence du Théâtre de la Digue, à Toulouse, remonte à très loin dans la mémoire des Toulousains. À l’origine, il s’appelait le Grenier de Toulouse. Dominique Mercier, ancien régisseur du Grenier, totalement impliqué dans la vie du théâtre, en prend la direction en 1988. Le Grenier devient la Digue et sa mission change profondément de nature. Le projet se construit autour des écritures contemporaines, de l’accueil d’auteurs, de compagnies. La bibliothèque voit le jour au début des années quatre-vingt-dix. Fini le temps des représentations. La Digue est un lieu d’accompagnement et de soutien à la création. Une structure atypique, ni scène nationale ni CDN. Les trois tutelles – État, région, ville – soutiennent le projet.

laisser le temps aux artistes de créer

En 2001, le souffle de l’explosion de l’usine AZF n’épargne pas le théâtre, situé en bord de Garonne, à cinq cents mètres à vol d’oiseau du lieu de la catastrophe. Sa toiture est soulevée. La structure endommagée. Des travaux sont engagés. On lance même un concours d’architectes pour refaire le théâtre de fond en comble. Le tout financé par l’État à hauteur de 3 millions d’euros. Un cabinet bordelais remporte le concours. En 2003, dépôt du permis de construire. Mais voilà, les caisses de l’État sont vides, s’entend dire l’équipe. Il est vrai qu’entre-temps, la DRAC s’est installée dans un superbe hôtel entièrement rénové, pour la somme de plusieurs dizaines de millions d’euros. La Digue peut attendre, non ?

En 2004, l’équipe ne se résigne pas et propose un accompagnement au long cours aux compagnies. Quatre équipes sont ainsi associées en résidence pour une durée de trois ans. Un dispositif de fabrication, d’accompagnement avec les moyens techniques et logistiques mis à leur disposition « afin, explique Dominique Mercier, de sortir du seul dispositif d’aide à la création au projet pour donner le temps nécessaire aux artistes de créer ». Une quinzaine de compagnies ont été ou sont encore aidées. Dans la chronologie de la création théâtrale, la Digue se situe en amont, ensemence, aide à la professionnalisation. On croise par la suite nombre de ces compagnies, passées par la Digue, se produisant au TNT ou au in du Festival d’Avignon.

Un travail invisible marqué par la constance, qui irradie à Toulouse comme en région. Les compagnies travaillent, répètent à la Digue, interviennent dans les collèges et lycées, lors de divers ateliers sur l’ensemble du territoire.

la logique bêtement comptable

Cette invisibilité est peut-être le talon d’Achille de la Digue. Pas de spectateurs, pas de spectacles. Quand l’heure est à réduire, supprimer les aides publiques, la tâche peut sembler plus simple. On rogne là où on pense que cela se fera tout seul. Il semble que seule la logique économique, bêtement comptable, l’emporte dans cette affaire. Sinon, comment expliquer que, chaque année, les trois tutelles valident les projets de la Digue et leurs financements ? Dans une région globalement sous-équipée en structures, dans une ville qui compte une poignée d’établissements dignes d’accueillir artistes et spectateurs dans de bonnes conditions (le TNT, le Théâtre Garonne, ou le Sorano pour ne pas les citer), pourquoi une telle décision ? Un tel silence ?

Pour Dominique Mercier, cette affaire dépasse le seul Théâtre de la Digue, qui ne serait que « le premier wagon concerné par le désengagement de l’État. (Nous) ne sommes pas les seuls, mais c’est d’autant plus insupportable que la méthode a privilégié les bruits de couloirs »…

Dans la Dépêche du 27 février 2009, la DRAC estimait que « les coûts de fonctionnement (de la Digue) sont élevés par rapport au service rendu » et la ville, que le théâtre devait « se recentrer ». Nous aurions aimé pouvoir les interroger précisément sur leurs motivations. Une fois de plus, les pouvoirs publics ont préféré garder le silence.

www.ladigue.org

Marie-José Sirach

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