Disparition . Darry Cowl est mort mardi à l’âge de quatre-vingts ans d’un cancer du poumon. Il avait joué dans cent cinquante films, incarnant une vision très personnelle du comique à la française.
La mort de quelqu’un qui nous a fait beaucoup rire nous rend toujours un peu plus triste, et celle de Darry Cowl n’échappe pas à la règle. Peut-être parce que le rire qu’il faisait naître venait tellement naturellement, directement, sans réserve. C’était ce qu’on appelle une nature. Une gueule, une silhouette, et surtout une voix. Un bégaiement, un zozotement. « Je suis naturellement bègue. Vers huit ans, une tante voulait me punir de lui avoir fait peur. Elle m’a suspendu dans le vide par le fond de ma culotte, je ne m’en suis jamais remis. » Ce qui aurait pu handicaper n’importe qui, il l’a exploité, mieux encore travaillé, jusqu’à en faire un atout, une marque déposée.
Avec lui, les difficultés d’expression, de calembours en de contrepets, se faisaient langage, vivaient leur vie. On se souviendra d’une version du Caïn de Victor Hugo qui devenait, tant sa langue fourchait savamment, un petit chef-d’oeuvre digne des surréalistes. Il est venu à l’époque bénie du « nanar », des comiques franchouillards dont certains, de Funès, Bourvil, Francis Blanche sont devenus des monuments, et d’autres ne sont pas loin d’être totalement oubliés. Il aurait pu, lui aussi, connaître le sort d’un Pierre Doris ou Roger Nicolas, si le cinéma n’avait adopté sa dégaine unique, pour en faire l’illustrissime pédaleur fou du triporteur. D’origine basque, André Darricau est né le 27 août 1925 à Vittel (Vosges) d’un père médecin et d’une de ses maîtresses. Il n’apprendra sa véritable filiation qu’à l’âge de seize ans et ne connaîtra jamais l’identité de sa mère. S’orientant d’abord vers des études musicales, il remporte des premiers prix de fugue et d’harmonie, mais la carrière de musicien classique ne l’emballe guère et il fait ses débuts au cabaret, comme pianiste accompagnateur de Louis de Funès et Bourvil, Jacques Brel et Georges Brassens, alors inconnus. Déjà, il fait rire tout le monde : « Dans la vie, je déconne tout le temps. Mais, ce qui m’agace, c’est que, durant les rares moments où je suis sérieux, les gens croient que je continue à déconner. » En tout cas, ça marche : on lui propose des sketches en première partie de spectacle. C’est le succès.
Mais sa véritable chance, c’est un débutant comme
lui, Claude Sautet qui la lui donne en 1955 en l’engageant pour un petit rôle dans Bonjour sourire. Quelques « panouilles » dans des chefs-d’oeuvre oubliés comme la Famille Duraton, et le voilà chez Marc Allégret, Sacha Guitry, et enfin l’immortel Triporteur de Jack Pinoteau. Il est alors sur orbite, et tournera dans près de 150 films, gagnant des fortunes qu’il perdra aussi sec sur le tapis vert. Avec le temps, un autre genre de cinéaste s’intéresse à lui. Anne Fontaine, dans Augustin roi du kung-fu, Claire Devers dans les Marins perdus, Alain Resnais dans Pas sur la bouche, lui donnent l’occasion de sortir de ses emplois habituels et de montrer d’autres facettes de son talent. « J’ai pris le métier au sérieux en 1995 », avouera-t-il. Cela l’amènera, au théâtre, à jouer dans la Panne, de Dürrenmatt, sans bégaiement… La profession, elle aussi, le prend au sérieux. Il obtient le molière du meilleur second rôle masculin en 1995, un césar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2001, et un hommage de la Cinémathèque, qui l’avait particulièrement touché. Il a écrit trois livres de souvenirs, le Flambeur (1986), où il revient sur sa passion du jeu, Le triporteur se livre (1994) et Mémoires d’un canaillou (2005). Il avait prévu de faire son retour au théâtre en septembre 2005, mais sa santé, fragilisée par un cancer du poumon, l’en avait empêché. C’est pourtant chargé d’honneurs et d’affection qu’au guidon de son triporteur il pédale vers le paradis. A. N.