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Paul Mansouroff, peintre de l'avant-garde russe

Publié le 10 octobre 1995

ETRANGE parcours que celui de Paul Mansouroff, mort en 1983 à Nice comme il vécut: discrètement. Le Musée d’art moderne et d’art contemporain de cette ville permet de découvrir l’oeuvre – encore peu connue (1) – de ce peintre qui a marqué l’avant-garde russe des années vingt. Dès 1917, il propose sa collaboration à Alexandre Lounatcharsky, alors commissaire du peuple au palais d’Hiver. En 1920, il se rend à Kazan où il dirige un atelier à la Faculté de peinture de l’Institut d’art. La même année, il est de ceux qui créent à Petrograd le Ginkhuk, l’Institut national de la culture artistique. Il est aux côtés de Kasimir Malevitch – qui lui confiera une section expérimentale – et de Vladimir Tatline qu’il secondera dans l’édification de son «Monument à la IIIe Internationale». Mansouroff est très actif et prolifique. Il réalise cette année-là affiches, décors de théâtre et d’opéra, peintures…

Mais le couperet du stalinisme s’abat en 1926 sur le Ginkhuk et ses artistes, qualifiés par un critique aux ordres de «moines illuminés». Trotski avait en quelque sorte donné le signal en 1922 en taxant «d’idéalisme» les tenants de l’avant-garde. Lors d’une dernière exposition organisée par l’Institut, Mansouroff expose ses toiles et deux textes-manifestes dans lesquels on peut notamment lire: «La situation particulière de l’artiste à l’époque actuelle l’oblige à s’opposer de toutes les manières possibles à ces idées dénuées de tout fondement réel ou même logique lorsqu’on les applique à l’art, qui sont celles des administrateurs, des politiciens et des commerçants, ceux qui occupent avec leur philosophie tous les postes qui existent et qui auraient pu permettre un échange avec le peuple.» En 1929, il part en Italie dans le cadre d’une exposition puis se rend en France. Il ne rentrera plus en URSS. «Moi-même, je n’avais jamais prévu que je partirais pour si longtemps, mais après, il devint clair qu’il n’y avait nulle part où revenir et pour faire quoi?», écrit-il en 1971. Sur les conseils de Maïakovski, il rencontre les Delaunay à Paris et présente ses travaux dans le milieu artistique de la capitale. Mais il n’obtint guère qu’un succès d’estime. Picasso lui-même dira: «Même si vous êtes le Raphaël de l’art non objectif, cette peinture n’intéresse personne.» Cela explique sans doute les nouvelles orientations picturales de Mansouroff qui, guidé par Sonia Delaunay, se tourne vers les arts appliqués et surtout le graphisme pour tissu. Il réalise ainsi des motifs de toute beauté pour Patou, Chanel, Lanvin ainsi que des vêtements.

Jusque dans les années cinquante, la période dite française de Mansouroff ne présente que peu d’intérêt. On sent le peintre mal à l’aise, explorant une sorte d’expressionnisme pas toujours de bon aloi. L’apparition – ou la renaissance – du non-figuratif en France sera pour Paul Mansouroff le signe libérateur d’un art enfoui mais jamais oublié. Il renoue alors avec ses «Formes picturales» et ses «Formes simples» élaborées à Petrograd. Des séries de tableaux travaillés comme des icônes, sur du bois de tilleul. Cette quête de la loi du mouvement dans la création picturale se traduit par un dépouillement, une économie guère éloignée de celle d’un Malevitch. La verticalité domine, des boules tournoient, les dessins géométriques s’étirent et les couleurs se répondent ou se fondent. C’est là sans doute l’intérêt majeur de toutes les pièces présentées. On reste confondu par cet alignement: des quilles en bois qui recèlent un passé confus. Cette sorte de minimalisme développé par Mansouroff à Petrograd refait donc surface à Nice tout particulièrement, où il s’installe dès 1975. Il ajoute toutefois à ses recherches de jeunesse des photos, des morceaux de tissu, traces d’une vie.

Toutes ces oeuvres, accompagnées de documents provenant du fonds Mansouroff mis à disposition par la galerie Antonio Sapone qui détient le droit moral sur l’oeuvre, sont donc exposées à Nice. Avec elles, celles de l’avant-garde russe de Petrograd. On trouve ainsi des toiles et des dessins sur papier de Malevitch, Souïetine, Matiouchine, Filonov, Tatline… La mise en confrontation, si elle indique les intersections entre ces ensembles, révèle également les différents points de vue. Mansouroff privilégie la torsion et la courbe au plan suprématiste. L’avant-garde russe de Petrograd possédait plusieurs facettes. C’est ce que montre avec beaucoup de réussite cette exposition, en même temps qu’elle nous fait découvrir un artiste décidément si discret que la collection du Musée d’Etat russe de Saint-Pétersbourg consacrée à ce mouvement artistique n’en possède pas la moindre trace.

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(1) «Paul Mansouroff et l’avant-garde russe à Petrograd». Musée d’art moderne et d’art contemporain. Nice. Jusqu’au 15 octobre. Catalogue: 240 pages 195 francs. L’exposition sera présentée au Musée d’Etat russe de Saint-Pétersbourg du 1er novembre à fin décembre 95.

PIERRE BARBANCEY.


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