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Jean Ristat: un affaiblissement dont il faut sortir

Publié le 19 avril 1995

JEAN RISTAT est un écrivain. Totalement créateur. Son oeuvre est régulièrement publiée par les éditions Gallimard. Il a été, il y a bien longtemps, l’un de ces jeunes talents éblouissants dont Aragon, le poète, aimait à s’entourer. Il en devint même le fils préféré, au point que l’auteur de «la Mise à mort» en fit son légataire universel. Le genre de notoriété que la fréquentation des grands hommes peut procurer à ceux qui vivent et écrivent dans leur intimité est facile à imaginer. Ce que l’on sait moins, c’est l’ombre que peuvent porter ces géants sur ce que créent leurs enfants… Aujourd’hui, les lieux d’écriture se ferment les uns après les autres pour Jean Ristat. Ses «Lettres françaises», qui s’étaient fixé comme objectif de perpétuer «la pédagogie de l’enthousiasme» pratiquée par leurs aînées, ont à peine tenu trois ans. Un espace de promotion pour jeunes créateurs s’est fermé. Maintenant, c’est la revue «Digraphe» et sa collection de livres qui sont menacées.

Comment vivre cela autrement que dans la douleur?.

Il y a plusieurs façons d’interpréter ce qui m’arrive. Cette société où tout est fondé sur l’argent s’oppose, bien sûr, aux activités créatrices. Mais, au bout du compte, la mort des secondes «Lettres françaises», comme aujourd’hui la fin possible de «Digraphe» posent une question politique fondamentale. Tout cela vient dans un temps où les créateurs voient se réduire leurs possibilités de s’exprimer. Il devient difficile de faire entendre des voix plurielles. Il n’y a plus d’écoute de l’autre. Le droit au risque et à l’erreur n’est plus reconnu. Même ceux qui défendaient le pluralisme et la création sont affaiblis. Et leur soutien n’est plus ce qu’il était. La finance, et aussi la conviction font défaut.

Dois-je comprendre que, pour les créateurs aussi, et notamment pour vous, Jean Ristat, l’affaiblissement du Parti communiste n’a pas été une bonne chose?

Qu’un parti comme le PCF défende d’autant moins la nécessité d’un organe de presse indépendant de lui, et en même temps proche de lui-même, qu’il n’a plus les moyens de l’aider, cela je le comprends. Mais les conséquences sont immenses. Si l’on reste figé sur les grands hommes du passé, comment s’adresser à la jeunesse? Je ne parle pas simplement de moi. Il est facile d’être le parti qui célèbre les poètes, les écrivains, les peintres, les intellectuels quand ils sont morts. Je veux, à ma manière, continuer de faire avancer les choses dans le domaine du contemporain. S’ouvrir, ce n’est pas perdre son identité, c’est au contraire gagner en identité.

Et vous allez voter Robert Hue?

Ce n’est pas parce que j’ai perdu un journal, et peut-être demain une revue, que cela change quoi que ce soit à mon idéal. Je reprends toujours ma carte du Parti, je vote communiste, car je pense qu’il faut continuer à se battre. Mon idéal est celui de la libération humaine. Il me vient de mon histoire familiale, celle de mes parents et grands-parents, maternels et paternels. Et aussi d’une réflexion sur ma propre vie. L’homme affaibli que je suis ne vaut plus grand-chose dans ce monde. Je ne sais même pas si je pourrai continuer à publier mes propres livres… Cela ne me gêne pas de le dire. La littérature est une chose importante à mes yeux, et en même temps secondaire. Il faut parfois du temps pour que ce que l’on écrit soit entendu. Mais, quand on est écrivain et communiste, ce que l’on produit participe d’une communion, d’une communauté, d’un partage. C’est en ce sens que mon dernier ouvrage s’intitule «OEuvres posthumes, tome 2».

Est-ce que l’état d’écriture posthume ne fait pas un peu partie de vous-même?

Absolument. Je crois d’ailleurs que toute écriture, tout écrivain, est posthume. J’entends cela en divers sens. Posthume est ce qui vient après la mort du père. Et aussi, ce qui vient après sa propre mort. J’ai le rêve d’un livre qui réactiverait tous les exclus officiels de la littérature française que sont les auteurs baroques. Je l’ai fait il y a un an avec un texte qui s’appelle «le Parlement d’amour». Un genre baroque que j’ai remis au goût du jour. Je veux faire entendre ce que je vis, ce que j’aime et ce que je souffre. Je veux être le témoin et l’écho de cette fin de siècle. Comme j’ai été celui d’une libération et d’une douleur avec mon «Ode pour hâter la venue du printemps». Je suis aujourd’hui le témoin d’une époque terrible qui est, entre autres, celle du SIDA. Je n’ai pas cessé d’en parler dans mes derniers livres, de célébrer mes amis morts, ou de faire entendre l’angoisse et la douleur. Non pas que je veuille tout ramener à cette question, mais parce qu’à travers elle l’avenir même de cette société, des rapports entre les êtres humains, est en cause. Il me semble qu’un marxiste ne peut pas se désintéresser de cette douleur, de l’impossibilité de rencontres, d’une restriction qui brime l’amour. J’ai été, comme beaucoup d’autres, témoin et acteur d’une certaine libération sexuelle. Je suis aujourd’hui acteur et témoin d’une régression sociale globale et, en même temps, d’une tragédie.

J’espère que le candidat du Parti communiste français va tenir, par rapport à la création ou au SIDA, un discours de plus en plus audacieux. Je lui demande d’avoir des initiatives et une invention. Rien n’est séparé. Quand je parle de création ou de SIDA, ce n’est pas isolé des autres problèmes qui sont ceux des salaires ou de l’insertion. Si on tire un fil, tout le reste vient. La rupture, ce n’est pas par rapport à l’Union soviétique, qui est aujourd’hui malheureusement une vieillerie. La rupture, c’est d’être parfaitement contemporain, parfaitement au diapason de la société, et même avec un petit peu d’avance. Il faut que le Parti soit lui-même créateur. Pour cela, il faut rétablir des lieux de réflexion et de liberté où tout puisse être abordé.

ARNAUD SPIRE

Entretien réalisé par


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