Cinéma

G. Lanvin: "A 60 ans, j'arrête"

Ras le bol du "système". En 2010, Gérard Lanvin compte mettre un terme à sa carrière d'acteur.
G. Lanvin A 60 ans j'arrête

Par Philippe Vecchi, GQ-Février 2009
Ras le bol du "système". En 2010, Gérard Lanvin compte mettre un terme à sa carrière d'acteur.

Je suis né le 21 juin 1950...
« ...et j'espère mourir le plus tard possible parce que je n'ai pas envie de faire à mes enfants le coup que mon père, cet homme si bon, m'a fait quand il est mort, alors que j'avais 40 ans, encore l'âge d'être un fils. Ce n'est pas tant mourir, en réalité, mais faire de la peine à ceux qui t'aiment. Le problème est aussi de se préparer à ce moment précis, c'est flippant pour tout le monde. Yves Montand a dit à un pompier juste avant de mourir « je m'en fous, j'ai bien vécu ». J'aimerais ça, et aussi que mes enfants puissent comprendre et savoir cette phrase : « Pleure doucement le mort car il a trouvé le repos ». Surpris dans mon sommeil si possible... pour une fois que je serai surpris !

Ca va très bien
« .. parce que le fait qu'un acteur travaille fait que l'homme va bien. Quand on est reconnu dans ses possibilités, c'est toujours mieux que de rester à côté du téléphone en essayant de comprendre pourquoi il ne sonne pas. Cela permet de gagner du temps et de l'énergie quand il sonne. Depuis toujours, je considère ce que je fais plus comme une combine que comme un métier. Quand on vient d'où je viens, c'est-à-dire forain puis vendeur de fripes aux Puces, il fallait une part de hasard importante. Cette part-là, c'est d'abord Martin Lamotte qui l'a apportée en venant me voir un jour aux Puces. Je suis un autodidacte, et sa majesté le hasard a fait les ¾ de la besogne. Quand on est objectif, il faut savoir reconnaître la chance qu'on a eue, et sans avoir pensé une demi seconde avant à faire l'acteur. C'est quelque chose que je ne pouvais pas imaginer. Il n'y a qu'un crétin pour dire « je suis élève comédien », avec un prof inconnu, Max Dupuy, qui t'apprend à être un ticket de métro en trois heures ou une fleur qui a soif. Pour un forain, c'est une combine qui te permet tout à coup de vivre largement mieux que quand tu te levais à quatre heures du matin tous les jours pendant dix ans, de 18 à 26, pour aller sur les marchés positionner des parasols. Métier et combine, c'est différent. Chirurgien, c'est un métier, on a besoin de toi, tu peux même être indispensable. Un acteur ne l'est pas ; la preuve, c'est qu'il ne travaille pas tout le temps. Mais je respecte l'idée de combine, ça passe par le sport, l'entretien de soi, ne pas se bourrer la gueule dans les bistrots et garder ses douleurs pour soi, donc être sérieux. Mais attention, le mot « combine » n'est pas péjoratif, ce n'est pas une raison pour la faire mal.

Le nouveau Lino Ventura ?
Je ne me rends pas bien compte de ce que je dégage, je n'en sais rien du tout. Si le point commun est de n'avoir pas peur de la vérité, alors ressembler à Lino Ventura me va bien. On fait partie d'une sorte d'hommes qui n'ont pas honte à dire ce qu'ils n'ont pas de honte à penser. Moi je n'ai jamais trafiqué mon discours, et il ne m'a pas aidé tout au long de mon parcours, j'ai eu assez d'emmerdes. Le métier m'a fait payer ma nature d'homme sincère. Il se trouve que les cons ont parfois le dessus.

Le fils de Denner
J'ai une passion pour les grands acteurs. J'aurais bien aimé jouer le fils de Charles Denner. D'abord, sa voix m'a impressionné dans « le Manteau », un truc hyper classique au théâtre. Puis il y a eu « l'Aventure c'est l'aventure », puis « Robert et Robert», et Truffaut. Denner, c'est une personnalité qui a su nous faire croire à un séducteur. On me disait qu'on se ressemblait physiquement, c'était encore mieux, Dans le métier du cinéma jusqu'aux journalistes, on m'assimile plus facilement dans le comportement à Lino Ventura, ça, c'est vrai. Mais quand on fait un film où on distribue le rôle de Ventura, Alain Corneau prend Daniel Auteuil. Mais ça ne me laisse pas de regrets.

Combien de bons films dans un parcours d'acteur ?
Ce que tu revendiques comme extrêmement bon, c'est 4 ou 5 films pas plus, des films dans lesquels on a eu la gentillesse de me prendre. Pour ce qui est de l'ordre de la déception dans ce métier en général, on va dire 50/50, et c'est déjà beaucoup. S'il n'y en avait eu que des mauvais, je ne serais plus là.

Premier souvenir de cinéma :
« Fra Diavolo » de Laurel et Hardy. C'est la première fois que mon père m'a emmené au cinéma, c'était sur les Champs-Elysées. Malheureusement, il n'a pas été témoin de mon parcours d'acteur. Je lui amènerai les dvd quand j'irai le rejoindre.

Les mentors :
Il y a eu Martin Lamotte dans un premier temps qui m'a fait monter sur les planches du café-théâtre. Puis est arrivé Coluche qui m'a dit « tu t'es bien démerdé ! » après m'avoir vu jouer la première fois. C'était dans « la Revanche de Louis XI » à la Veuve Pichard, qui est devenu le Point Virgule. Ensuite, il y a eu Christian Fechner qui m'a associé avec Michel Blanc et Bernard Giraudeau et qui m'a fait gagner mes galons populaires. Par ailleurs, j'ai rencontré un grand chef opérateur sur le tournage d'« Extérieur nuit » de Jacques Bral, Pierre-William Glenn, lequel m'a mis le pied à l'étrier. Il m'a présenté à Bertrand Tavernier pour « une semaine de vacances » et à Pierre Granier-Deferre pour « Une étrange affaire » (1981, prix Louis Delluc). Les choses sont finalement arrivées assez vite.

Le producteur Christian Fechner, décédé fin novembre 2008 :
Marche à l'ombre, les Spécialistes, Moi vouloir toi, les Frères pétard, Mes meilleurs copains, ce sont cinq moments de bonheur, vraiment, avec de grands acteurs comme Blanc, Giraudeau, Villeret, Bacri, Darroussin, et un grand monsieur du cinéma populaire. Pour le reste, il suffit de dire « non » à quelqu'un pour que ça s'arrête. Ça a été le cas avec lui. On ne pouvait pas discuter avec un producteur : cinq « oui » contre un « non », et avec ce « non » là, il ne m'a plus jamais parlé. Cela ne correspond pas à l'idée que je me fais de l'amitié, mais à de l'intérêt. Ne pas confondre affaires et amitié, Fechner m'aura au moins appris ça.

La baston physique :
Non, je n'aime pas ça, la violence physique. Aujourd'hui, avec tout ce qui se passe dans le monde, il faut être un demeuré mental pour tomber dans ce travers. Moi, j'aime l'amour et les caresses, qu'est-ce que vous voulez, ce qui ne m'empêche pas d'avoir un tempérament chaud. Et puis je vais bientôt être grand-père, c'est pour février, évidemment un bonheur intégral, l'un de mes fils va devenir papa.

Son rythme de vie ordinaire:
Je me lève vers 10 heures après m'être couché à 3 ou 4 heures. J'enchaîne avec la lecture des journaux et le vélo, tous les matins, de midi à 13 heures. Attention, j'ai un vélo de course qui doit faire dans les 7 kilos, avec la tenue Playmobil qui va avec. Une heure, une heure et demie sur la Côte Sauvage. Et puis, dans la journée, je remets le couvert et je vais dans ma salle de sport. Je m'entretiens, c'est le minimum quand on est susceptible de se montrer. Le sport, c'est un truc de famille : mon père était entraîneur de rugby et j'ai fait seize ans de rugby avec lui, et ma mère n'était pas Laure Manaudou, mais une bonne compétitrice. Et puis aussi j'ai eu aussi un grand-père champion de haut vol des Basses Pyrénées, il plongeait de dix mètres. Je fais du sport depuis l'âge de 10 ans, c'est ma came, comme le pétard.

Sa femme, Jennifer
Jennifer et moi, on vivait ensemble depuis cinq ans déjà quand on a tourné « Moi vouloir toi » (en 85). Le film a remporté un certain succès, 1,9 millions d'entrées/France, mais je n'ai jamais su si Fechner avait beaucoup participé à la distribution de ce film. Il avait fait tirer énormément de copies, et beaucoup de copies, ça ne fait pas forcément gagner beaucoup de pognon. Depuis, Jennifer n'a jamais cessé d'être la femme de ma vie. J'ai eu la chance de rencontrer l'une de ces femmes fortes qui savent aider un homme à s'accomplir dans ce qu'il fait.

Son insulte préférée :
« Appelle ta mère que je te recommence ! ». Celle-là, je l'ai entendue dans la rue, on a tout dit là-dedans. Et puis y'en a une autre « T'es qu'un trou du cul avec rien autour », celle-là j'adore...

« Camping » de Fabien Onteniente avec Franck Dubosc, 5,5 millions d'entrées en France.
« Le plus marrant, c'est de voir tous les acteurs qui nous ont pris pour des cons dans « Camping » rappliquer sur « Disco ». Ils sont venus faire 5 millions d'entrées, faut pas me prendre pour un con... Quand j'ai annoncé la nouvelle autour de moi, j'ai entendu des choses comme « Oh non ! Tu ne vas pas tourner avec Frank Dubosc ! » Et j'y suis allé quand même. J'ai apporté à l'histoire le produit de deux jours de réflexion enfermés à la Baule avec les scénaristes Philippe Guillard, Manu Boz et Fabien Onteniente. Je suis parti de « camping inesthétique » (camping dans lequel il fallait bien qu'il se passe quelque chose) pour en arriver à « chirurgien esthétique en panne de voiture au camping ». C'est le clown blanc contre l'auguste, avec des répliques du styles « chassez le naturiste il revient au bungalow » ou « quand deux tentes se touchent pas, ça fait une allée ». Film populaire = film dont on retient certaines répliques.

Nicole Kidman a disparu du Top Ten des actrices les mieux payées d'Hollywood :
Nicole Kidman, fallait peut-être pas qu'elle danse un slow avec Tom Cruise. Quand tu entends un slow, tu peux avoir un problème après. Lui fait partie d'un système puissant et bizarrement, aujourd'hui, c'est devenu difficile pour elle. Comme quoi, il faut se méfier de avec qui on danse. Enfin je dis ça, je ne suis pas un très bon danseur, pas vraiment. Le rock'n roll, oui, mais aujourd'hui ça me paraît insupportable de me montrer en boîte de nuit en train de bouger sur la piste. Mais j'ai adoré ça, quand tu trouves la bonne partenaire, c'est la tuerie.

Combien de mensonges au cours de cet entretien ?
Je ne mens pas. Si tu fais un parcours à long terme comme c'est mon cas, mieux vaut la franchises, mentir te retombe toujours sur la gueule. Je n'ai absolument aucune raison de mentir, qui reste le lot des gens qui n'existent pas. Et puis il n'y a pas plus repérable qu'un acteur de cinéma, on est fichés comme des menteurs professionnels. Je conseille ça aux jeunes acteurs : « Raconte la vérité comme ça t'as plus à te faire chier à raconter n'importe quoi ». Une fois démasqué, tu n'es plus crédible. »

Le système des agents :
« C'est fondamentalement important aujourd'hui. Si tu n'as pas avec toi quelqu'un capable de fréquenter le show-biz pour toi de façon neutre pour amener les solutions, ce n'est pas jouable... Leur boulot revient à mettre en contact, et tu leur donnes 10%, c'est le prix à payer. Ce sont eux qui ont fixé le tarif à l'époque, il y a très longtemps déjà. Un agent doit avoir la structure adaptée et savoir discuter des contrats. Depuis que le mot « bankable » existe, il faut un agent qui soit au courant pour quelqu'un qui en vit. Il y a aussi les mauvais : quand ils ne t'aiment pas, ils ne te défendent pas. J'ai claqué la porte d'une grande agence pour atterrir chez Annabel Karouby. Vous n'avez qu'à voir ma cadence de tournage avant et après mon entrée chez elle : je fais quatre films cette année, alors qu'auparavant, c'était un seul, et s'il n'était pas bon, je ramais derrière. Si t'en fais quatre, il y en a toujours un pour faire oublier les trois autres, et en plus, t'es payé quatre fois. Mais si le dernier ne marche pas, tu peux perdre facilement 50% de ta valeur. En général, quand tu touches une somme X, tu enlèves 10% pour l'agent, plus 50% pour les impôts -et c'est joyeux parce que ça que ça prouve que tu travailles - et environ 20% de taxes. Je suis un acteur « cher » comme ceux qui font tourner le bizness. Je ne demande jamais rien sur les intéressements. Je préfère ne pas miser dans ce boulot aléatoire, mais plutôt jouer la sécurité pour les gens qui m'entourent. Effectivement, c'est un boulot qui paie les gens chers. Mais prenez les chiffres américains. En tournant rien qu'un film à 20 millions de dollars, on pourrait tenir toute notre vie. J'ai trente ans de route au cinéma, avec parfois deux ans et demi sans rien tourner, et pas de chômage. C'est de cette manière que tu te retrouves à jouer dans certains films parfois qui te permettent néanmoins de bouffer. Merci à ces films aussi donc. Et quand tu n'as plus rien, tu empruntes et le cercle est vicieux pour tout le monde.

L'invasion des gens de télévision au cinéma :
Grand bien leur fasse, c'est un beau métier. Il sont je crois assez nombreux à la télé à rêver de ça, en effet, ce qui ne les rend pas systématiquement bankables pour autant. Peut-être qu'un jour un mec va débouler et que là, ça va exploser, mais ce n'est pas encore le cas. Omar, qui joue dans « Envoyés très spéciaux », comme Fred, sont assez à part. Ils jouent tout le temps, et depuis le départ. Ce ne sont pas des présentateurs mais des acteurs qui font un spectacle qui les conduit à devenir acteur. Le problème, c'est que les gens de télé sont plus connus que les gens de cinéma. Au cinéma, il faut 25 ans pour être reconnu dans la rue. Les décideurs ont à un moment pensé que les mannequins pouvaient faire ça aussi, et les footballeurs pourquoi pas, les chanteurs, etc. Vivement que les dentistes s'y mettent ! Mais comme on dit : « Assied toi à ta place et on ne te fera pas lever ». Le système est ainsi, « le balai neuf balaie toujours mieux ». Que je me fasse bien comprendre, mes commentaires ne sont pas dus à la jalousie ni à quelque sorte d'aigreur que ce soit, c'est simplement une analyse objective de ce système dans lequel il faut toujours aller chercher ailleurs, alors que les évidences sont là.

Les femmes réalisatrices :
« C'est vibrant de tourner avec des femmes, j'espère que cela va se reproduire avant la fin du coup. Quand elles te veulent, elles te veulent. Elles vont chercher quelqu'un si cette personne correspond au rôle d'une manière qui diffère de celle des hommes : elles le font par fascination ou projection. Agnès Jaoui, Nicole Garcia et Alexandra Leclère, je me suis régalé avec les trois dans le travail. Le rapport de séduction existe, mais il est pro et il ne se finit pas au plumard. L'avantage avec les femmes c'est qu'elles prennent les hommes de façon juste, c'est-à-dire quand elles les aiment vraiment. Contrairement à pas mal d'hommes qui distribuent les rôles masculins suivant le seul avis des femmes qui les entourent...

Deux Césars, en 1994 pour « le Fils préféré » et en 2000 pour « le Goût des autres ».
Les deux, je ne suis pas allé les chercher. « Meilleur », je ne défends pas ce mot-là dans la profession, ils auraient pu en choisir un autre. Ce n'est pas vraiment une compétition, c'en serait une si tous les acteurs qui concourraient dans la même catégorie avaient tous tourné cinq fois le même film. C'est le rôle qui fait l'acteur, et pas le contraire.

La promotion télé :
Je n'aime pas forcément aller me vendre. Si les producteurs au moins vous permettaient de dire du mal... On va en promo pour montrer au public les bandes-annonces, un point c'est tout. Les acteurs qui y vont sont obligés de parler d'eux, ce qui n'est pas à mon avis le rôle de l'acteur. Pour parler d'un autre (celui qu'on joue), faut parler de soi, c'est ça qui est chiant...

Envoyés très spéciaux, son dernier film sortie le 21 janvier :
C'est une comédie de divertissement qui a dans l'idée de parler de ce qui existe, en l'occurrence de ce qu'on pense de la presse. Chacun son tour. Quand un « sûr de lui » comme Ardisson dit à l'antenne que les acteurs sont des putes, il a tout faux car on fait pleurer via notre filtre à nous, de vraies émotions. Or, la presse se permettant d'avoir un avis sur nous et notre travail, on a le droit de penser qu'elle peut aussi faire du grand bidonnage.
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