Edouard Vuillard. Le Crépuscule à Pouliguen
Edouard Vuillard. Le Crépuscule à Pouliguen, 1908. Peinture à la colle sur papier marouflé sur toile. Collection particulière

Hommage ou hasard du calendrier ? La conférence de presse présentant la nouvelle exposition dédiée à Edouard Vuillard s’est tenue ce 21 juin, jour “anniversaire” de la mort en 1940, à La Baule, de ce grand peintre, dessinateur, graveur et illustrateur. Cet été et jusqu’au 29 octobre 2023, la Fondation de l’Hermitage revisite l’œuvre d’Edouard Vuillard sous l’angle du japonisme dont la mode gagne Paris fin-de-siècle, puis l’Europe et que bien des artistes ont suivi. Une magnifique exposition qui s’articule autour des genres picturaux pratiqués par Vuillard : Scènes de la vie ordinaireParavents et kakemonosEstampes et arts graphiques et Nature, L’émerveillement

Associé au post-impressionisme et au mouvement nabi

Né en 1868, Edouard Vuillard reçoit une éducation stricte et catholique avant d’entrer au lycée Condorcet, qui dispense alors un enseignement anticlérical et libéral, notamment grâce à des professeurs comme Henri Bergson et Stéphane Mallarmé. Vuillard y fait la connaissance de Ker-Xavier Roussel (peintre et graveurs qui deviendra son beau-frère) et d’Aurélien Logné-Poe (créateur avec Édouard Vuillard, entre autres artistes, la Maison de l’Œuvre et le Théâtre de l’Œuvre) qui l’introduisent en 1889 dans le groupe des Nabis aux côtés de Paul-Elie Ranson, Paul Sérusier, Pierre Bonnard et Maurice Denis. 

Edouard Vuillard. L'Avenue
Edouard Vuillard. L’Avenue, Planche 2
de l’album Paysages et Intérieurs, 1899.
Lithographie. Collection particulière
Edouard Vuillard. Au lit, 1891
Edouard Vuillard. Au lit, 1891. Huile sur toile, musée d’Orsay, Paris.
© photo RMN -Grand Palais

C’est en 1890 qu’Edouard Vuillard s’intéresse à l’art japonais certainement lié à sa visite de l’exposition des Maîtres japonais par l’Ecole des beaux-arts. Découverte qui bouleverse tout une génération d’artistes, dont les jeunes Nabis. Vuillard entreprend de collectionner des estampes notamment du mouvement ukiyo-e qui montre la vie telle qu’elle se passe sous nos yeux. Il en réunira 180, soit cent quatre-vingt feuilles acquises au Bon Marché ou au Printemps, inspirées pour la plupart des paysages du Japon, geishas ou acteurs de kabuki et signées des maîtres de la gravure sur bois : Hiroshige, Hokusai, Kunisada, Kuniyoshi, Eisan et Utamaro. Ces planches, aux couleurs éclatantes disposées en aplats, privilégient les thèmes des courtisanes, des acteurs de théâtre, de kabuki, et du paysage…
Sa collection comptait aussi plusieurs livres illustrés, parmi lesquels un volume de la Manga d’Hokusai. Egalement photographe prolifique – ses archives contiennent plus de 1700 de ses clichés – Vuillard a eu connaissance des premières vues topographiques du Japon et des photographies rapportés par des voyageurs et explorateurs occidentaux. Il aura été frappé par la manière de rehausser les tirages en noir et blanc avec de vives touches d’aquarelle.

Edouard Vuillard. Marine (Saint Jacut) 1909
Edouard Vuillard. Marine (Saint Jacut) 1909. Peinture à la colle sur papier marouflé sur toile. Collection particulière.
Edouard Vuillard. Grand-mère et enfant au lit bleu, 1899
Edouard Vuillard. Grand-mère et enfant au lit bleu, 1899. Huile sur carton. Kunst Museum Winterthur
© Photo SIK-ISEA Zurich
Edouard Vuillard Les Gros Nuages, 1909.
Edouard Vuillard Les Gros Nuages, 1909.
Pastel sur papier. Collection particulière Paris

Scènes de la vie ordinaire : dans les années 1890, les sujets traités par Edouard Vuillard sont principalement des intérieurs où s’activent sa mère, sa soeur Marie, sa nièce Annette, centre d’attraction de ce huit clos intime, ses amis les frères Natanson qui l’aideront à le faire connaître, Misia Natanson, pianiste d’origine polonaise, qui inspire à Vuillard passion, inspiration et tableaux… « La petite Annette face à sa grand mère montre à quel point une image peut être construite comme un puzzle avec des motifs décoratifs », commente Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage devant le tableau La soupe d’Annette.

Katsushika Hokusai. Album de dessin 
 (Ippitsu gafu), 1923
Katsushika Hokusai. Album de dessin d’un seul trait de pinceau (Ippitsu gafu), 1923. Impression xylographique en couleurs. Collection particulière
Edouard Vuillard. Jeunes filles assises, vers 1891
Edouard Vuillard. Jeunes filles assises, vers 1891 (recto). Encre de Chine. Collection particulière
Katsushika Hokusai. Manga, vol. VII, 1817.
Katsushika Hokusai. Manga, vol. VII, 1817. Impression xylographique en noir et ocre. Collection particulière

Paravents, kakémonos, makémonos, l’art du décor : très tôt, Vuillard a peint d’éphémères décors pour les pièces de théâtre d’avant-garde. Ses amis Natanson le font entrer dans le cercle de La Revue blanche qui réunit l’intelligensia parisienne, ce qui lui vaut des commandes qui assurent sa réputation de peintre décorateur : paravents, éventails, panneaux décoratifs, vitraux, service en porcelaine…

Estampes et arts graphiques : l’art de l’estampe est aux yeux de Vuillard un remarquable terrain d’expérimentation. En 1859, le peintre et graveur Felix Bracquemond acquiert les quinze volumes de la Manga de Hokusai, encyclopédie imagée du Japon. Il conseille Edouard Manet, Mary Cassatt et Edgar Degas dans leurs essais de gravure. L’esthétique des xylographies japonaises s’impose comme modèles.

Kitagawa Utamaro. Deux Courtisanes, fin des années 1790.
Kitagawa Utamaro. Deux Courtisanes, fin des années 1790. Gravure sur bois en couleurs sur papier japon vergé contrecollé sur papier épais. Muée Jenisch Vevey. Collection de la Ville de Vevey
Utagawa Hiroshige. Procession vers le sanctuaire de Benzaiten à Enoshima
Utagawa Hiroshige. Procession vers le sanctuaire de Benzaiten à Enoshima, dans la province de Sagami, vers 1851. Gravure sur bois en couleurs sur papier japon doublé. Musée Jenish Vevey. Collection de la Ville de Vevey
Edouard Vuillard. Les Collines bleues, 1900. Huoile sur carton. Kunsthaus Zurich.
Utagawa Kunisada. Femme se coiffant, un miroir dans la main, vers 1810-1865.
Utagawa Kunisada. Femme se coiffant, un miroir dans la main, vers 1810-1865. Gravure sur bois en couleurs sur papier japon © Musée Jenisch, Vevey, Collection de la Ville de Vevey (Photo Julien Gremaud)

Nature, l’émerveillement : Vuillard va explorer avec assiduité et maestria le genre du paysage. En 1900, lors de villégiatures dans sa famille, chez des amis, en Normandie ou en Bretagne, de vacances chez Vallotton à Romanel-sur-Lausanne, s’éveille en lui un réel intérêt pour la nature. Il réalise plusieurs paysages où le jardin est l’un des éléments de la composition. Les gravures de Hokusai et de Hiroshige le fascinent toujours. Sa palette s’éclaircit et la composition de ses œuvres se résume à quelques plans de couleurs claires. « Vuillard intériorise librement plusieurs codes des estampes. Dans certains de ses paysages, il propose une vue en plongée, un cadrage resserré et un travail magnifique sur l’ombre qui est presque dentelée », détaille Corinne Currat, conservatrice adjointe.

Edouard Vuillard. Deux femmes sous la lampe, 1892
Edouard Vuillard. Deux femmes sous la lampe, 1892. Huile sur toile marouflée sur bois. Centre Pompidou, paris. Musée national d’art moderne © photo Collection Musée de l’Annonciade, St-Tropez
Edouard Vuillard. Villeneuve-sur-Yonne, Vue du Relais vers l'entrée du parc, 1897-1899
Edouard Vuillard. Villeneuve-sur-Yonne, Vue du Relais vers l’entrée du parc, 1897-1899. Huile sur carton. Collection particulière, Suisse. © Photo Peter Schlälchi, Zurich
Edouard Vuillard. Les deux belles-soeurs,
Edouard Vuillard. Les deux belles-soeurs, planche 12 de l’album Paysages et Intérieurs, 1899. Lithographie. Collection particulière
Edouard Vuillard. La Cuisinière
Edouard Vuillard. La Cuisinière, planche 11 de l’album Paysages et Intérieurs, 1899. Lithographie. Collection particulière
Edouard Vuillard. Femme de profil au chapeau vert, vers 1891
Edouard Vuillard. Femme de profil au chapeau vert, vers 1891. Huile sur carton. Collection particulière, Paris
Edouard Vuillard.  Thadée Naanson à sa table de travail, 1896.
Edouard Vuillard. Le Grenier de Valvins. Thadée Naanson à sa table de travail, 1896. Huile sur carton contrecollé sur panneau parqueté. Collection particulière

Peintre intimiste à la palette raffinée

Entre 1891 et 1896, l’activité de Vuillard est intense. Il découvre la technique de la détrempe à la colle et l’adopte en tant que marque de fabrique. A l’Exposition universelle de Paris, en 1900, Vuillard retrouve au sein d’une troupe japonaise, “les grimaces, les élégances, les costumes et les effets tragiques et comiques des estampes nippones”. Vuillard ne s’est jamais rendu au Japon, donc ni kimono ni geishas dans ses oeuvres, mais il multiplie les paravents, les écrans, les portes et les fenêtres. Son art joue de l’opposition complexe entre les vides et les pleins, des effets de texture, d’une juxtaposition d’un premier plan rapproché et d’un plan éloigné, de compositions asymétriques.

Edouard Vuillard.
 Pierrot, 1890-1891.
Edouard Vuillard.
Pierrot, 1890-1891. Pinceau, encre et aquarelle sur crayon léger sur papier rigide jauni, découpé en forme d’éventail uchiwa.
© photo SMK/Jakob Skou -Hansen
Kongo Magojiro, masque blanc
Kongo Magojiro, masque blanc représentant une femme jeune et séduisante, version sculptée par Taniguchi Akiko, en 1893. Bois peint. collection particulière
Edouard Vuillard.  Felicia Malet dans L'Enfant Prodigue, 
1890-1891.
Edouard Vuillard. Projet de frontispice, Felicia Malet dans L’Enfant Prodigue,
1890-1891.
Encre et gouache sur traits à la mine de plomb sur papier.
Collection particulièr
e
Kimono de mariage à longues manches furisode.
Kimono de mariage à longues manches furisode. Crêpe de soie chirimen, peint, brodé de couleurs, de fils
d’or et d’argent.
Japon, fin de l’ère Taisho (1912-1926)

Important travail de sélection

Le parcours de l’exposition qui fait dialoguer l’œuvre de Vuillard – plus d’une centaine de peintures et de gravures – et l’art japonais – une cinquantaine de chefs-d’œuvre du pays du Soleil-Levant provenant principalement du Musée Jenisch à Vevey – est un important travail de sélection dû à trois personnes : Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage « Le coup d’envoi de cette exposition a été donné par une oeuvre de notre collection, La Maison de Roussel à La Montagne qui figure sur l’affiche », Corinne Currat, conservatrice adjointe et Marina Ferretti, commissaire scientifique de l’exposition, qui fut chargée de mission pour la création du musée Pierre Bonnard au Cannet, avant d’assurer la direction scientifique du musée des impressionnismes Giverny de 2009 à 2019 et qui a assuré le commissariat de l’exposition Signac au musée Jacquemart-André et de l’exposition Signac collectionneur au musée d’Orsay en 2021.

La Maison de Roussel à la Montagne 
vers 1900.

Vuillard et l’art du Japon 

Route du Signal 2 – 1018 Lausanne
Tél. : +41 (0)21 320 50 01 

Jusqu’au 29.10.2023
Du mardi au dimanche de 10h à 18h, jeudi jusqu’à 21h Billetterie en ligne : fondation-hermitage.ch

Conférences : les jeudis 28.09 – Vuillard, le japonisme et
au-delà // 05.10 – De Van Gogh à Vuillard, les peintres collectionneurs d’estampes japonaises // 26.10 – Vuillard,
le Louvre et l’Extrême-Orient

Evénements :
Happy Hours – L’Hermitage à l’heure d’été
les jeudis 29.09 – 27.07 – 31.08
Les Garden-Parties de Lausanne
VE 21.07 – 17 h 30 // SA 22.07 17 h

Edouard Vuillard - Autoportrait octogonal vers 1890
Edouard Vuillard – Autoportrait octogonal vers 1890, huile sur carton
musée d’Orsay, Paris
©Musée d’Orsay, RMN Grand Palais

A gauche – affiche de l’exposition :
La Maison de Roussel à la Montagne
vers 1900.

Qui parle d’art parle de poésie. Il n’y a pas d’art sans visée poétique. Il y a une espèce d’émotion propre à la peinture. Il y a un effet qui résulte d’un certain agencement
de couleurs, de lumières, d’ombres. C’est ce qu’on appelle la musique de la peinture. 
Edouard Vuillard

A ce parcours s’ajoute un ensemble de tableaux des amis nabis de Vuillard, tous imprégnés par l’art japonais : Pierre Bonnard, Maurice Denis, Paul Élie Ranson et Félix Vallotton. On associe souvent Edouard Vuillard à Pierre Bonnard, dont il était l’ami le plus proche ami parmi les Nabis, groupe de peintres qui se rencontraient régulièrement et travaillaient ensemble durant la première moitié des années 1890. « Bonnard et Vuillard m’ont beaucoup influencé à l’époque », mentionne Elisabeth Cummings, 95 ans, artiste australienne très appréciée dans le monde de l’art, connue pour ses grandes peintures abstraites et gravures.

Maurice Denis, La Légende de la chevalerie
Maurice Denis, La Légende de la chevalerie ou Trois jeunes Princesses, 1893.
Huile sur toile. Collection particulière

Pierre Bonnard L'Orage (A Vernouillet), 1908.
Pierre Bonnard L’Orage (A Vernouillet), 1908. Huile sur toile. Collection particulière. Suisse
elix Vallotton. Champ de Blé, Locquirec, 1902
Autre peintre Nabis sensible à l’art du Japon, Felix Vallotton. Champ de Blé, Locquirec, 1902. Huile sur toile. Collection particulière
Paul-Elie Ranson Sorcière à la marmite ou Sorcery, 1897-1898
Paul-Elie Ranson Sorcière à la marmite ou Sorcery, 1897-1898 Huile sur carton. Galerie Berès, Paris

Maurice Denis possédait une centaine d’estampes, cinq albums de la Manga de Hokusai, l’Autoportrait à l’estampe japonaise de Vincent Van Gogh. Pierre Bonnard surnommé le « Nabi japonard » reprend la représentation japonaise de la pluie, figurée à l’aide de grands traits.

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