Samedi, 18 mai 2024
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    « Ce qui reste » de Rachid O.

    Rachid O. , écrivain marocain né à Rabat en 1970 et vivant à Paris, n’a cessé de poursuivre, à travers ses livres – Ce qui reste est son quatrième –, un lent monologue avec lui-même, palimpseste ardent fait de lucidité candide et de naïveté feinte. Il ne cesse, depuis son premier livre, L’enfant ébloui, de revenir sur sa famille, en particulier sur son père, figure trouble puisqu’il représente pour lui à la fois l’amour, qui exige le don de soi, et l’autorité, qui appelle la pudeur. 

    Ce qui reste a encore comme point focal le père, doublé cette fois de la figure d’un « oncle » (un faux oncle, on l’aura compris), ami du père et initiateur de jeux sexuels. L’enfant Rachid et ces deux adultes forment un trio passionnel qui sera rompu par la mort de l’oncle. Mais si on a lu les précédents livres de Rachid O., on saura bien que ce présent roman ne suit pas une ligne narrative claire et unique, ne s’agence pas comme un récit linéaire.

    Rachid O.

    Introspection de l’écrivain, le livre est d’une construction flottante, poétique, semblable à une improvisation musicale. Le récit fondamental est constamment court-circuité par des arrêts composés d’autres épisodes de la vie de Rachid et de réflexions sur l’écriture. Ainsi, deux rencontres seront, par exemple, évoquées : une à Paris (celle, dans le métro, de Nouâmane, qui vient de se marier), et une autre à Rome (celle d’un prostitué russe).

    Ces deux jeunes gens ressemblent un peu à Rachid : déracinés, leur vie instable est une incessante quête de vérité, douloureuse et amère, sur leur identité. Mais ils sont aussi pour lui un moment d’éblouissement car ils lui permettent de poursuivre son introspection. Ils lui servent de révélateurs. Mais, que ce soit avec le père, l’oncle ou des inconnus, Rachid O. ne cesse de se questionner sur l’écriture.

    Tout est lié à elle. « Mais comment raconter une vie? », se demande-t-il après la nuit avec Youri, le tapin romain. Chaque mot en appelle un autre, de chaque livre en surgit un autre. « J’ai besoin d’écrire ça, comme une justification de la douleur et de la beauté malsaine de ma vie… », écrit-il.

    Les mots guident son désespoir, mais également ses ravissements, accompagnent ses peines et ses joies, toujours de courte durée. Entre déchirure et élévation, ils lui permettent de composer son propre portrait, mais, à cause même de l’incessant questionnement sur eux, ce portrait évite tout narcissisme et toute complaisance.

    Le portrait dessine un être inquiet qui, dans le besoin des autres, ne peut s’empêcher de penser à l’écriture avec angoisse : « Je ne sais comment j’y arrive, ni d’où cela me vient, ni pourquoi je suis devenu soudain écrivain, je ne suis pas sûr d’aimer ça être écrivain, m’écouter m’écrire. »

    Qu’à cela ne tienne, il pense y tirer du bonheur. Cela lui fait également du bien de pouvoir, par l’écriture, communiquer avec le père, l’oncle, des inconnus, de se « dessécher de l’isolement ». « Je n’ai jamais rien essayé que les mots. » Rachid n’arrête pas de se demander à quoi ils servent, les mots. Peut-être moins, qu’on ne le pense, à raconter sa vie. Plutôt des sentiments, des souvenirs, qui semblent ne pas lui appartenir, mais servent à le protéger du regard des autres, voire même de celui du lecteur. Difficile, l’écriture chez Rachid O., qui souvent trahit, déshonore, désole.

    Pourtant, elle procurera au lecteur un beau et sensible moment de lecture, avec ses épiphanies euphorisantes, ses instants de rêveries fugaces, ses éclairs de tendresse. D’apparence simple, elle est extrêmement élaborée. Subtile, raffinée parfois jusqu’à la préciosité, elle adopte un style proche de l’oralité ou de la narration enfantine.

    C’est une écriture très libre, charnelle, lyrique sans être emphatique, baignant dans une mélancolie fiévreuse et s’enveloppant dans une douceur souffrante. Rigoureuse, proche de la fulgurance, l’écriture de Rachid O. est unique.

    Ce qui reste / Rachid O. Paris: Gallimard, 2003. 119p.

    AUTRES LIVRES DE RACHID O. :

    L’enfant ébloui. Paris : Gallimard, 1995 (et coll. : Folio, no 3276, 1999)

    Plusieurs vies. Paris : Gallimard, 1996 (et dans la coll. : Folio, no 3070, 1999)

    Chocolat chaud. Paris : Gallimard, 1998.

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