Chevelure dorée, regard bleu perçant, voix posée, elle disserte, face caméra, afin de rallier à sa cause une jeune génération d’identitaires. Sa méthode ? Jouer les coachs en séduction pour « Français de souche ». Thaïs d’Escufon défend une vision binaire, risible et sexiste des genres, où les hommes sont des chasseurs assoiffés de sexe et les femmes, des poules pondeuses en quête d’attention. Suivie par plus de 180 000 abonnés sur YouTube, la militante d’extrême droite s’est d’abord fait connaître comme porte-parole du groupuscule raciste Génération identitaire. Dissolution oblige, elle s’est reconvertie dans « la psychologie des rapports hommes-femmes », en gardant le même objectif.

Illustration : Laura Acquaviva

À sa chaîne YouTube ­s’ajoute un compte Twitter (36 000 abonnés) et un groupe Telegram (23 000 membres). Dans ses vidéos, l’influenceuse identitaire fait la promotion de marques « patriotes ». Parmi elles, l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques, l’Issep, fondé par Marion Maréchal-Le Pen. En quelques années, la jeune extrémiste est devenue la précieuse caution féminine du mouvement masculiniste, cette idéologie selon laquelle un complot féministe est orchestré pour nuire aux hommes et à leur virilité. « Si un homme ne peut pas contrôler ses émotions, ce n’est pas un homme », assène-t-elle, ou encore, « Plus une femme a de partenaires sexuels, plus elle détruit sa valeur ».

Au cœur de son combat, une nostalgie rance : pour enrayer la progression du « grand remplacement », Thaïs d’Escufon se prend à rêver, tel le Lebensborn du IIIe Reich, du retour des couples fertiles et purement européens, capables de relancer la natalité des petits de « race blanche ». « Des rapports harmonieux entre hommes et femmes, c’est un but positif parce que c’est surtout un moyen de préserver notre civilisation. » La jeune femme de 24 ans déplore la décadence de l’Occident, souillé par le féminisme, le progressisme et les minorités sexuelles. « La civilisation des préservatifs et des sextoys. ­ Y a-t-il de quoi être fiers ? » s’indigne-t-elle sur Twitter. La « Française de souche » amoureuse de ses racines a manifestement l’intelligence d’une bûche.

Cours d'autodéfense

L’exemple à suivre ? Le sien ! Née près de Toulouse, Anne-Thaïs du Tertre d’Escœuffant est la quatrième d’une famille de neuf enfants. Catholique pratiquante, elle défend un « patriarcat européen » dans lequel la réhabilitation des rôles classiques du masculin et du féminin est indispensable. Dans son monde, l’homme « ne joue pas à la maman » et la femme « doit toujours prioriser sa famille ». Thaïs d’Escufon puise son idéal dans les tragédies grecques et l’amour courtois du Moyen Âge : béni soit le temps regretté des chevaliers qui accouraient aux cris des gentes dames. Un héritage occidental qu’elle oppose à l’époque contemporaine pervertie par le multiculturalisme.

En 2016, alors étudiante en langues étrangères à la faculté Le Mirail de Toulouse, elle intègre la section locale du mouvement Génération identitaire. Avec son groupe, la jeune femme milite et prend des cours d’« autodéfense ». Selon le quotidien Libération, plusieurs de ses amis, membres du collectif, ont été épinglés pour avoir attaqué des manifestants dans un cortège de Gilets jaunes en février 2019. L’un d’eux affiche sa proximité avec le groupe local des Zouaves, groupuscule néonazi, qu’il rejoint parfois pour un entraînement de MMA, un sport de combat brutal. Son engagement zélé va lui permettre de devenir, en 2018, porte-parole du mouvement. Génération identitaire multiplie les actions violentes, dont l’une vaudra à Thaïs d’Escufon sa reconnaissance médiatique. En juin 2020, lors de la manifestation contre le racisme et les violences policières menée par le col­lectif Justice pour Adama, le groupuscule suspend une banderole ­ « Jus­tice pour les victimes du racisme anti-Blanc » sur les toits de Paris. La Toulousaine est en tête et brandit un fumigène rouge.

Condamnée pour « injures publiques »

Son action lui ouvre les portes des médias d’extrême droite Boulevard Voltaire, TV Libertés ou encore Livre noir… Mais elle diffuse aussi son discours auprès du grand public grâce aux invitations de Cyril Hanouna dans TPMP ! sur C8. D’un sourire, elle dénonce « la menace de l’invasion migratoire » et défend une politique de « remigration ». À la même période, fin 2020, son profil séduit l’équipe du porte-parole du RN, Sébastien Chenu, qu’elle rejoint comme responsable des réseaux sociaux. Elle est remerciée en janvier 2021 : le député du Nord n’était, assure-t-il, pas au fait de ses engagements politiques.

Avec Génération identitaire, la jeune femme se rend aussi régulièrement aux frontières pour empêcher l’entrée de migrants sur le territoire. Le collectif relaie ses opérations sur les réseaux sociaux. Dans les montagnes, ses poses de vedette, en tenue assortie et drapeau « Defend Europe » à la main, servent de communication au mouvement. Mais l’action de trop a lieu début 2021 : après la diffusion de vidéos anti-migrants tournées à la frontière franco-espagnole, Thaïs d’Escufon est poursuivie et condamnée pour « injures publiques ». Elle y tient, selon le procureur de Saint-Gaudens (Occitanie), des propos racistes et stigmatisants à l’égard des migrants. En mars, Génération identitaire est dissous avec accord du Conseil d’État, qui juge la décision « proportionnée à la gravité des risques pour l’ordre public ».

Fin de partie pour la starlette et son groupuscule ? Que nenni ! La militante se replie sur Internet, là où un bon VPN (un réseau privé) lui permet d’échapper à la modération de ses propos… Qui lui valent d’être applaudie par tous les machistes du Web, au prix parfois d’un retour de bâton. En mai, Thaïs d’Escufon est invitée sur la chaîne YouTube d’un certain Stéphane Édouard, coach en séduction et figure masculiniste. En pleine intervention, l’intéressé la rappelle à l’ordre, comme un homme (un vrai !) s’adresse à une femme : « On commencera notre vidéo dès que Thaïs sera allée nous faire deux petits cafés. […] Trois cafés, Thaïs ! Trois ! »