ère russe, mère espagnole, Beyrouthin de naissance, Bercoff n’était pas spécialement prédisposé à servir de caisse de résonance à l’extrême droite et d’ambassadeur aux idéologues souverainistes. En 1977, il publie sous pseudonyme un récit de politique-fiction, Les 180 jours de Mitterrand, très apprécié du futur président. On raconte que c’est à Bercoff que Jack Lang doit sa nomination au ministère de la Culture. C’est lui encore qui édite en 1986 la première biographie de Bernard Tapie, alors étoile montante de la mitterrandie. Trente ans plus tard, le décor est différent.

Alors qu’il entame un compagnonnage régulier avec le site de « réinformation » créé par Robert Ménard et son épouse (Boulevard Voltaire), la signature de Bercoff apparaît sur la couverture d’Apéro saucisson pinard (2012), livre d’entretiens réalisés avec trois figures de la mouvance identitaire – dont le taulier du site antimusulman Riposte laïque – et édité par Slobodan Despot, blogueur suisse naviguant dans les eaux de la Nouvelle Droite.

Illustration : Laura Acquaviva

Incarner le « pays véritable » contre le « camp du bien »

Devenu conseiller éditorial à Valeurs actuelles, envoyé à Damas en novembre 2015 pour y interviewer Bachar el-Assad, Bercoff concède se sentir « toujours homme de gauche », mais explique qu’il jouit, dans ce fanzine de la droite archi-conservatrice, d’« une liberté totale ».

En février 2016, il obtient une interview exclusive de Donald Trump, alors candidat aux primaires du Parti républicain. Un coup d’éclat dont il tirera un livre publié quelques semaines avant la victoire du milliardaire. Bercoff en est convaincu : la ligne de partage politique ne passe plus entre la droite et la gauche, mais « entre les mondialistes et les souverainistes », et l’élection présidentielle 2022 sera, pour lui, l’« affrontement des deux seules idéologies qui fassent sens : celles de Macron et de Zemmour ». C’est sans surprise qu’on le retrouve, début 2018, avec l’avocat Gilles-William Goldnadel aux commandes d’une éphémère webTV mise en orbite par Stéphane Simon (producteur de Thierry Ardisson mais aussi des webTV de Natacha Polony et de Michel Onfray) : LaFranceLibre.tv. La chaîne s’affirme d’emblée « politiquement incorrecte », ambitionne de porter la voix du « pays véritable » contre « le camp du Bien ».

Au printemps 2018, alors qu’une partie de l’extrême droite dénonce l’instrumentalisation (destinée à « faire passer la pilule migratoire ») du sauvetage d’un enfant suspendu au balcon d’un immeuble parisien par Mamoudou Gassama – un Malien en situation irrégulière –, Bercoff suspecte sur CNews une mise en scène et regrette « qu’aucune enquête ni aucune vérification » n’aient été menées – ce qui est inexact. Un an plus tard, malgré le tollé, il persiste et consacre une émission spéciale sur Sud Radio à faire passer la chute de l’enfant pour une mystification contredisant « les lois de la physique » et l’intégralité de la séquence pour « un joli conte de fées ».

Le 30 décembre 2021, en pleine vagues Delta et Omicron, alors qu’il est question de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal, Bercoff dénonce la mise en place, « lentement mais sûrement », d’« une solution finale du problème des non-vaccinés ». Solution finale. L’auteur assume. Il faut dire que l’octogénaire réalise désormais (à l’échelle de Sud Radio) des audiences insolentes. Son émission (« Bercoff dans tous ses états ») est devenue le place to be de tous les « antisystèmes », médecins, juristes, savants fous, élus farfelus, faux journalistes, Gilets jaunes et blogueurs en mal de likes… Sous un casting résolument divers, le barycentre politique de l’émission est clairement à droite et résolument complotiste.

Quand l’à-peu-près rencontre le n’importe quoi

Comment a-t-il pu en arriver là ? À quel moment cet auteur prolifique (46 ouvrages) a-t-il pris goût aux « faits alternatifs » ? Comment celui que d’anciens amis décrivent comme un homme subtil et cultivé a-t-il un jour décidé d’emprunter les sentiers de la perdition ? Bercoff récuse toute inflexion de trajectoire, revendique une « cohérence totale » et la permanence d’un combat contre la « bonne conscience » et les zones de confort intellectuel.

L’inconfort a bon dos. Où est la cohérence lorsque Bercoff partage sur Twitter une fake news issue d’un site satirique affirmant que la Norvège est sur le point de légaliser le mariage entre humains et animaux ? Ou reprend, en pleine crise sanitaire, de fausses déclarations sur l’origine artificielle du Covid attribuées à un prix Nobel de médecine japonais ? Est-ce par goût de déranger qu’il déclare, sur LCI en novembre 2020, qu’il n’existe « aucune preuve » de l’efficacité du confinement et que « nous avons été manipulés par un extraordinaire fantasme de pandémie » ?

Est-il sérieux, sincère ou sans scrupules quand il valide, le 6 janvier 2021, le grand mensonge trumpien sur le prétendu « vol » de l’élection présidentielle par les Démocrates ? Il ose parler de « printemps américain » et d’une « fraude massive » que le « peuple n’accepte pas » à propos de l’invasion du Capitole.

À quoi sert de relayer la rumeur selon laquelle Salah Abdeslam, membre du commando terroriste responsable des attentats du 13 novembre 2015, aurait appelé à faire barrage à Marine Le Pen lors de l’élection présidentielle ? La liste est longue, trop longue. Au point de se poser une dernière question : combien de temps l’alibi de l’iconoclasme l'autorise-t-il à dire n’importe quoi ?