Zabou Breitman : « Je choisis mes acteurs par amour »

Rentrée chargée pour l’actrice et cinéaste qui coréalise son premier film d’animation, « les Hirondelles de Kaboul », et met en scène au théâtre « La Dame de chez Maxim ». Une artiste tous azimuts!
Marie Deshayes
Zabou Breitman : « Je choisis mes acteurs par amour » Best Image

Avez-vous réalisé les Hirondelles de Kaboul par amour du roman ?
Zabou Breitman -
Pour être honnête, j’ai découvert le livre après la proposition de réaliser le film. A l’origine, le scénario avait d’ailleurs été pensé pour un long-métrage en prises de vues réelles, mais le producteur, Julien Monestiez, a finalement eu l’idée de le tourner en animation avec Les Armateurs, qui ont déjà produit Kirikou et Ernest et Célestine. J’ai alors retravaillé le scénario et, tout en gardant la substantifique moelle du livre, j’ai pris quelques libertés avec l’accord de Yasmina Khadra. Il était important pour moi de montrer comment un peuple peut se sauver par l’éducation. J’ai aussi décidé que la jeune épouse au cœur de l’intrigue ne serait plus avocate mais dessinatrice. J’aimais la mise en abyme et la résistance de cette femme par l’art. Pendant l’écriture, j’ai pensé les plans et écrit les images que je voulais voir à l’écran, comme ces femmes qui se transforment en hirondelles. Mon travail n’a pas été si éloigné de ce que je fais sur un long-métrage traditionnel.

En quoi cette histoire vous a-t-elle touchée ?
Zabou Breitman -
Ce sont d’abord les thématiques qui m’ont interpellée, l’absence de libertés et de libre arbitre dans ce pays, et ce contexte dans lequel, comme le dit l’un des personnages : « Aucun soleil ne résiste à la nuit. » Il existe un moment où l’être humain peut oublier qu’il a le droit de dire non. J’aimais aussi le parallèle entre ces couples, l’un plus âgé et traditionnel, l’autre plus jeune et révolté, et l’idée que les femmes se sauvent grâce aux contraintes que certains hommes leur imposent. Leur prison, ce tchadri, devient finalement la porte de leur liberté.

Comment s’est formé votre duo avec la coréalisatrice Eléa Gobbé-Mévellec ?
Zabou Breitman -
Par casting, on m’a proposé plusieurs styles artistiques et j’ai choisi. Avec Eléa, je n’ai pas opté pour la facilité. Elle avait travaillé sur Ernest et Célestine, mais elle n’avait jamais réalisé de long-métrage. Et surtout, elle dessinait à l’aquarelle, une technique moins « évidente » pour animer les corps, donner du mouvement aux lèvres… Je connais bien le dessin, j’en ai longtemps fait. Plus jeune, j’ai hésité avec les arts décoratifs, je suis une grande fan d’Hugo Pratt. La patte d’Eléa m’a tout de suite plu. Sa technique tranche avec la dure réalité du propos et l’hyperréalisme du jeu des acteurs. J’ai choisi une artiste dans l’abstrait, l’évocation, la délicatesse, afin que, par contraste avec la beauté des images, le spectateur prenne conscience de l’ampleur des atrocités commises en Afghanistan.

Vous avez travaillé de manière peu conventionnelle avec vos acteurs…
Zabou Breitman -
D’ordinaire, les voix sont enregistrées en studio une fois l’animation finie, avec des comédiens qui lisent leur texte sur une bande passante. Moi, je leur ai demandé d’apprendre leur texte, je leur ai fait jouer les scènes, je les ai filmés avant que les animateurs n’effectuent leur travail. Je voulais en effet qu’ils puissent s’inspirer des gestes et des silences des acteurs pour comprendre ce que je voulais voir à l’écran : les mains de Simon Abkarian, les nuances d’Hiam Abbass… Ce n’était pas simple pour les animateurs qui n’étaient pas habitués à travailler avec cette « contrainte ». Mais ils ont été extraordinaires et je suis très fière du résultat.

Justement, comment avez-vous choisi vos acteurs ?
Zabou Breitman -
Par amour, comme sur mes autres films. J’aime infiniment Simon Abkarian et Hiam Abbass, et le fait qu’ils aient ce léger accent, qu’ils connaissent les gestes orientaux, les ablutions, étaient un atout. Swann Arlaud, je l’avais repéré bien avant Petit Paysan, je l’admire beaucoup. Quant à Zita Hanrot, elle a tout ce que je cherchais. Elle est solaire, sexy et très forte. J’ai aussi confié le personnage du vieux Nazish à mon père avant qu’il disparaisse. D’une certaine manière, je l’ai immortalisé avec ce film. A l’issue de la projection, ma belle-maman et mon demi-frère étaient en larmes. A cause du film mais aussi parce qu’il y a mon petit papa à l’écran.

A la rentrée, vous mettrez en scène la Dame de chez Maxim au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Pourquoi un nouveau Feydeau ?
Zabou Breitman -
Les hasards de la vie. Quand j’ai mis en scène le Système Ribadier, je voulais surtout travailler avec Laurent Lafitte, et j’avais choisi cette pièce car il était entré au Conservatoire avec. Pour Maxim, c’est un concours de circonstances, je suis allée au théâtre pour leur proposer Logiquimperturbabledufou. Comme ce n’était pas pour eux, ils m’ont demandé une comédie et m’ont soufflé la Dame de chez Maxim. J’ai accepté sous réserve de trouver mon Monsieur Petypon, ayant besoin de l’interprète pour pouvoir me projeter. Et puis, j’ai pensé à Micha Lescot et nous nous sommes lancés. Pour moi, la mise en scène de théâtre passe beaucoup par les acteurs. Si le texte n’est pas dit comme je l’entends, je n’ai pas le spectacle. J’aime les acteurs créatifs et rigoureux, qui inventent tout en restant dans une idée commune que nous avons trouvée ensemble.

Vous retrouvez aussi Léa Drucker…
Zabou Breitman -
Je la connais très bien depuis mon film l’Homme de sa vie, dans lequel je l’avais dirigée, et je l’avais retrouvée pour Blanc, la pièce que j’avais mise en scène. Pour la Môme Crevette de Maxim, Léa était une évidence. Elle peut aller très loin dans la dinguerie et la grossièreté sans jamais être vulgaire. Elle n’est pas commune mais fantasque, fantaisiste, légère et intelligente. Elle est d’une rare délicatesse. Grâce à Michel Drucker, Léa et moi avons aussi récemment réalisé que nous avions une histoire commune. Nos grands-pères se connaissaient très bien : Lucien Breitman, qui était médecin, avait pris comme premier remplaçant Abraham Drucker à Romorantin. Tous deux ont étudié l’épidémiologie, ont été déportés ensemble à Compiègne et en sont revenus. Si nos grands-pères savaient qu’aujourd’hui nous sommes si proches avec Léa… C’est une histoire de dingue !

Votre rentrée n’est que mise en scène…
Zabou Breitman - ​​​​​​​
J’adapte aussi Poil de Carotte pour l’Opéra de Montpellier. Il sera joué les 20, 21 et 22 décembre, les 3 et 4 janvier, puis en tournée. C’est le compositeur Reinhardt Wagner qui le met en musique et me l’a proposé. Figurez-vous qu’il jouera aussi la Duchesse, la pianiste, dans la Dame de chez Maxim. En 2020, je vais aussi monter Thélonius et Lola avec de jeunes talents : c’est essentiel pour moi de travailler avec la nouvelle génération, de partager, de transmettre.

Vous reste-t-il du temps pour jouer ?
Zabou Breitman - ​​​​​​​
J’en ai très envie, mais c’est compliqué, faute de temps effectivement mais aussi de propositions qui me plaisent. On ne m’envoie plus tant de choses que cela en tant qu’actrice : sans doute parce que, dans l’esprit des gens, je suis davantage devenue metteuse en scène. Mais j’adore encore mon métier de comédienne ! En ce moment, j’essaie d’écrire un long-métrage que je tournerai très vite et dans lequel je me donnerai un rôle. Mais je préfère que les autres me dirigent et je rêve qu’un metteur en scène me propose un beau personnage au théâtre… L’appel est lancé !

Vous ne vous arrêtez donc jamais ?
Zabou Breitman - ​​​​​​​
Difficilement, je m’ennuie très vite. Les rares fois où je ne travaille pas, je voyage, je regarde comment les autres vivent, j’observe la Terre ou plutôt ce qu’il en reste… Je suis partie deux mois autour du monde, au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et je me suis amusée comme une folle.

Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec. Sortie le 4 septembre.
La Dame de chez Maxim, à partir du 10 septembre au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris 10e .

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le 25/08/2019