Jérôme Clément L’ex-président de la chaîne franco-allemande revient sur ses 20 ans de règne Monsieur Arte

L'Est Républicain - 29 mars 2011 à 05:00 - Temps de lecture :
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Jérôme Clément a souhaité ne pas être renouvelé à la tête d’Arte Photo DR
Jérôme Clément a souhaité ne pas être renouvelé à la tête d’Arte Photo DR

LA SCÈNE SE PASSE lors d’un sommet franco-allemand. Helmut Kohl n’arrive pas à résoudre un différend qui l’oppose à François Mitterrand. « François », lui lance le chancelier, « si vous continuez à m’embêter (euphémisme diplomatique), je vous enferme un week-end complet à regarder Arte ! » Des anecdotes de cet acabit, qui ironisent sur le sérieux jugé rédhibitoire de la chaîne, Jérôme Clément en a en réserve. Ainsi Jacques Chirac qui exhorte Balladur en 1993 lors des négociations commerciales internationales du GATT : « Édouard, s’ils te demandent des concessions, file-leur Arte ! » Pour faire aboutir ce projet « totalement inédit », dit-il, d’une chaîne culturelle franco-allemande qui aurait dû s’élargir à l’Europe, il lui a fallu de la constance et de la persévérance. De la persuasion aussi, face aux incrédules. Et un certain sens de la riposte, sous la mitraille. Un journal français n’a-t-il pas titré, lors de la naissance d’Arte (Association relative aux télévisions européennes), sur « la langue de Goebbels » (sic) qui allait être entendue sur les ondes ?

Dans le livre qu’il vient de consacrer à ses vingt ans à la tête d’Arte (*), l’ex-patron évoque abondamment toutes les batailles qu’il a dû mener pour consolider les fondations de sa chaîne, et ses combats personnels pour ne pas être éconduit au gré des changements politiques. On ne règne pas sans discontinuer sous trois présidents, trois chanceliers, sept Premiers ministres, une quinzaine de ministres de la Culture et de la Communication sans entregent, ni habileté. Ses meilleurs ennemis étaient d’ailleurs souvent dans son camp, Jack Lang notamment qui a tenté de le « dégager ». Mais le socialiste avait aussi des amitiés précieuses à droite : Alain Juppé a été son condisciple à l’ENA et Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly et futur ministre, s’est laissé convaincre lors d’un dîner chez BHL, de ne pas remettre en cause l’engagement français auprès des Allemands. « Les débuts d’Arte ont été violents », commente avec le recul Jérôme Clément, « dès que pointait un problème, on me lâchait. Heureusement, j’ai bénéficié de quelques grandes fidélités dans ma vie qui n’étaient pas toujours là où je les attendais ». Sa fierté, c’est d’avoir duré. Non pour un record à inscrire dans le Livre Guiness, ironise-t-il, mais pour permettre ce « pari impossible » : « On a créé quelque chose qui a du sens par rapport à l’histoire de l’Europe », dit-il. Certes, l’audience n’a pas toujours été au rendez-vous, mais « il faut nuancer », corrige-t-il, « même si nos programmes mettent souvent la barre assez haut, on a un réel succès dans la télévision de rattrapage : énormément d’internautes choisissent leur programme sur Arte + 7 ».

Jérôme Clément aurait pu continuer encore jusqu’à 70 ans à animer cette chaîne si particulière. Il a souhaité ne pas être renouvelé au terme de son cinquième mandat : « J’ai pensé que 20 ans, ça suffisait ». Mais cette retraite n’en est pas une : il préside le conseil d’administration du théâtre du Châtelet et vient d’accepter de diriger la quatrième maison d’enchères française, Piasa, où figurent parmi les actionnaires Laurent Fabius et l’ancien PDG de Renault, Louis Schweitzer : « Une nouvelle vie commence ». Avant de quitter Strasbourg, le siège d’Arte, il a donné « toutes les clés » à Véronique Cayla, l’ex-directrice du Centre national du cinéma, qui lui succède, persuadé de la pérennité de la chaîne : « Elle n’a pas d’équivalent au monde. Sa légitimité internationale, son image la protègent. Ses défis sont intérieurs : technologiques et créatifs. La flamme de l’audace ne s’allume pas comme cela ».

Michel VAGNER

« Le choix d’Arte », de Jérôme Clément, Grasset, 416 pages, 20 €.

Bio express

18 mai 1945 : naissance

1972 : énarque, promotion Charles de Gaulle

1974 : chargé de mission au ministère de la Culture

1981 : conseiller de Pierre Mauroy

1984 : directeur général du CNC

1989 : président du directoire de la Sept-Arte

2009 : « Plus tard, tu comprendras », hommage à sa mère

23 mars 2011 : quitte ses fonctions