Droits photo : Association Lacanienne Internationale

 

Premier flash : Il se lève, surplombant le divan sur lequel j’étais allongé et me darde d’un regard narquois teinté d’une ironie bienveillante.

Deuxième flash : J’arrive coiffé d’une chapka. Lui : « vous avez mis votre Shtreimel ? » (bonnet de fourrure des hassidim).

Troisième flash : En pleine séance une dingue fait irruption dans son cabinet en gueulant à tue tête, il l’empoigne par le bras et la fait valdinguer manu militari par la porte de sortie.

Quatrième flash : J’arrive affublé du manuscrit d’un auteur (j’étais éditeur). Il s’en saisit, le feuillette quelques secondes et le balance dans la pièce en marmonnant un « pfff ».

 

Charles Melman fut donc mon premier analyste alors que j’étais jeune homme. J’ai du mal à écrire au passé tant la rue des Archives de l’époque me semble encore présente-son cabinet était alors au premier étage et le rez de chaussée était occupé par un traiteur libanais où j’allais prendre un verre avec Jacques Mimran après nos séances.

Il fut un analyste à l’écoute compacte, serrée et acérée. Attention flottante, certes, mais qui ne loupait rien et ne vous loupait pas, à l’image de l’inconscient.

 

Quelques années plus tard, je me retrouvai à sa table, où, en compagnie d’Olivier Rubinstein et de Renaud de Rochebrune, nous devions discuter d’un projet éditorial. Il me fit servir du Gefilte Fish, clin d’œil en forme de trait unaire culinaire. J’eus le malheur de le remercier en lui disant que c’était gentil. Lui « je ne suis pas gentil ! » (référence sans doute au mot de Lacan : » les Juifs ne sont pas gentils »). … Gentil il ne l’était certes  pas, il pouvait être dur, cassant, autoritaire, autocrate (reproches qu’on lui a beaucoup fait), et en tout cas étrangement rétif au transfert,  transfert qu’il appréciait tout en le supportant mal. Ce fut en tout cas mon sentiment.

 

Dernière chose : Lors de ce déjeuner, il me fit une révélation surprenante : il était le descendant du Rebbe de Kotzk, rebbe hassidique connu pour sa  radicalité et son intransigeance et qui eut pour particularité de passer  les dernières années de sa vie muré dans un silence généralement interprété comme une réclusion mélancolique. Melman à rebours de cette interprétation qu’il connaissait évidemment, me dit qu’il pensait au contraire que son silence était un refus de parler à des disciples qui, de toute façon, ne le comprenaient pas et à qui il n’avait donc plus rien à dire…

A la question de savoir pourquoi les Hébreux, quand ils reçurent la Torah, eurent l’interdiction de s’approcher et de toucher le mont Sinaï, le Rebbe de kotzk fit cette réponse lapidaire : Si on touche le bas, on va jusqu’au bout..

A nous de gravir la montagne pour le rejoindre, en compagnie de Freud et Lacan,  Il nous attend là haut.

 

Yvan Gattegno Gluckman.