Entretien avec Jean-Philippe Toussaint

Des six émotions que la psychologie recense, une seule semble absente du nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint : le dégoût. Quant aux cinq autres, la joie, la colère, la peur, la tristesse et la surprise, elles s’incarnent dans ce roman vif, alerte, que l’on n’a pas envie de quitter. En attendant Nadeau a voulu en savoir plus sur le cycle romanesque ouvert par La clé USB et sur le parcours de l’écrivain, auquel un numéro de revue est entièrement consacré.


Jean-Philippe Toussaint, Les émotions. Minuit, 240 p., 18,50 €

Lire, voir, penser l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint. Textes réunis par Jean-Michel Devésa. Impressions nouvelles, 440 p., 26 €


Les dernières pages de La clé USB, paru l’an passé, annonçaient Les émotions : le père de Jean Detrez mourait, et Jean se rendait compte que toute l’aventure liée à cette clé USB était comme l’occultation de cet événement, mais aussi de sa rupture avec Diane, son épouse et la mère de leurs jumeaux. Les vingt dernières pages du roman étaient comme un révélateur, au sens photographique du terme.

Les émotions, deuxième roman d’un nouveau cycle, fait mieux connaître le narrateur, homme inquiet, que l’amour surprend, étonne ou réconcilie avec le monde. En trois parties, et trois moments de son existence, Jean dresse à la fois le portrait de sa famille, raconte des rencontres et des ruptures, montre aussi comment l’Histoire et une histoire s’imbriquent : un manoir anglais, un bâtiment officiel à Bruxelles, un volcan islandais sont, autant que les personnages en chair et en os, les protagonistes d’un roman qui mêle divers genres : le policier, le sentimental, le théâtral, voire le politique, pour aller vite.

Jean-Philippe Toussaint, Les émotions

Jean-Philippe Toussaint © Jean-Luc Bertini

Il y a les romans uniques (La salle de bain, La télévision, etc.) et les cycles, comme celui de Marie, et apparemment celui-ci, qui suit ou s’articule à La clé USB. Savez-vous combien de romans ce cycle comptera ?

Au moins trois. Ensuite, ce sera ouvert, cela pourra être quatre, cinq, six, je l’ignore. J’ai des idées nouvelles qui me viennent, d’autres lieux dont j’ai envie de parler, mais je ne sais pas encore si ce sera dans le cadre de ce cycle romanesque. Une chose est sûre, le troisième volet, qui n’est encore pour l’instant qu’à l’état de projet, devrait dire quelque chose des suites du voyage en Chine du narrateur que j’ai raconté dans La clé USB.

La clé USB était un roman dans lequel l’action voire le suspense dominait. Jean Detrez apparaissait surtout comme un homme inquiet, toujours sur ses gardes. La gamme des émotions s’élargit : les surprises ne manquent pas, liées à des rencontres. Comment établissez-vous le lien entre les deux romans ?

L’articulation, le lien – l’image qui me vient à l’esprit, c’est un crochet, un de ces crochets ronds qui relient deux wagons de train –, c’est l’émotion. L’émotion, c’est le trait d’union entre les deux romans. Le mot « émotion » est à la fois le dernier mot de La clé USB et le titre de ce nouveau livre, Les émotions. Le lien qui unit les deux livres, le lien émotionnel, est la mort du père du narrateur, qu’on apprenait dans les dernières pages de La clé USB.

Le centre de gravité des Émotions, c’est la scène de l’enterrement du père. C’est un moment de recueillement et d’introspection, où les émotions de deuil viennent se mêler à des souvenirs d’émotions amoureuses. J’aurais pu construire le roman de façon plus classique autour de la scène de l’enterrement. C’est une figure imposée de la littérature, et même du cinéma, de voir un personnage pendant un enterrement qui se souvient de différentes étapes de sa vie ou de la vie du défunt. Mais j’ai préféré une structure plus ouverte, moins chronologique. J’ai préféré aller de digression en digression, d’un mouvement à l’autre, un peu comme en musique. Même si le thème central domine la structure, il est encadré par deux mouvements qui l’éclairent et le complètent. Cette dimension musicale invisible du roman n’est pas nécessairement apparente à la première lecture.

Vous écrivez : « Les véritables émotions sont intimes et silencieuses ». Comment cela s’incarne-t-il dans le roman, selon vous ?

Je voudrais distinguer les émotions publiques des émotions privées. J’ai situé le roman en 2016. 2016, c’est une date douloureuse pour l’humaniste européen qu’était le père du narrateur (et qu’était également mon père), puisqu’on assiste, coup sur coup, au Brexit et à l’élection de Trump. Le coup de grâce sur le coup de grâce ! Dans l’espace public, l’émotion et son cortège d’excès, de fausses nouvelles et de vérités alternatives, semble avoir remplacé la raison.

Mais, pour moi, il y a quand même des émotions qui gardent une valeur précieuse. Ce sont ces émotions d’une autre nature qui m’intéressent, des émotions plus silencieuses, plus intimes. Ce sont elles que j’essaie de capter tout au long du récit, ces émotions privées, qui sont le plus souvent liées au sexe et à la mort, au deuil et à l’amour.

En réalité, on trouve dans le roman les six émotions classiques que recense la psychologie : la joie et la tristesse, bien sûr, la surprise aussi – magnifique, la surprise, pour un romancier –, la peur et la colère, dans une moindre mesure, et même le dégoût, sous l’angle du désamour ou du ressentiment. Le narrateur éprouve un vrai ressentiment à l’égard de Diane, sa deuxième femme, dont il est en train de se séparer. C’est la première fois dans un de mes romans qu’un personnage de femme est aussi « chargé ».

Le père, malade puis mourant dans La clé USB, est ici un personnage central. Les émotions est-il le roman du fils qui désormais ne sera plus que père lui-même ?

Oui, c’est là une vérité humaine fondamentale. J’ai été marqué par la lecture de Patrimoine, de Philip Roth, qui m’a aidé à oser dire les choses plus ouvertement. Cela m’a permis d’écrire ce que je n’aurais pas écrit il y a quinze ans, notamment les deux visions du père, bien portant et malade lorsque le narrateur va le retrouver en Toscane : « Moins de vingt ans s’étaient écoulés entre ces deux images, celle de mon père, en majesté, triomphant, dans la force de l’âge, préparant son adoubement comme commissaire européen, et celle de mon père aujourd’hui, malade, assis au même endroit, avec devant lui sur la grande table en fer forgé de la terrasse, non plus ses livres et ses piles de dossiers de la Commission, mais, bien disposés, bien rangés devant lui, ses médicaments, ses fioles et ses boîtes de cachets. » Je n’aurais pas osé une telle image il y a trente-cinq ans. À l’époque, je crois d’ailleurs que je n’aurais pas osé appeler un roman Les émotions.

L’autre émotion est la joie, et en particulier l’amour, dans ses divers états ou moments. Diriez-vous que Les émotions est un roman d’amour, voire un roman sentimental ?

Oui. Dans chaque épisode amoureux que je relate, il y a une aventure, des surprises, des émotions de tous ordres. Je recherchais une sorte de réalisme. Dans la vie réelle, dans les histoires d’amour, il y a souvent des choses un peu ratées, des contretemps, des choses surprenantes, pas construites. Ce n’est pas facile de dire quelque chose d’authentique de la réalité amoureuse. Dans la littérature et le cinéma, on propose en général une représentation canonique de l’amour. J’ai voulu, pour ma part, me rapprocher davantage de ce que sont les relations amoureuses dans la réalité. Quant à l’aspect sentimental, il n’est pas pour me déplaire. J’ai toujours été très sensible au sentimentalisme de Chaplin, et il n’est pas impossible que cela transparaisse ici ou là dans le roman.

Parmi les très nombreux détails qui rendent ce roman visuel, je voudrais m’arrêter sur le « bain de Diane ». C’est d’abord littéral, Diane adore prendre des bains. Mais c’est aussi une allusion, voire un symbole : on songe aux tableaux de Clouet, Boucher ou Corot. Mais Jean n’est pas Actéon. Le choix du prénom n’est pas fortuit.

Avant d’être historien d’art ou spécialiste de la mythologie – ce que je ne suis pas, d’ailleurs –, je suis l’auteur de La salle de bain, mon premier roman publié il y a trente-cinq ans. C’est un roman fondateur pour moi, qui reste singulièrement d’actualité par ce qu’il dit du « retrait du monde » – cette retraite, ou ce confinement, qui est accompagnée, dans le livre, d’une réflexion pascalienne, qui rappelle la célèbre phrase de Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d’une chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »

Mais, pour en revenir à la scène du bain de Diane, la baignoire a toujours été présente dans mon travail. On trouve même une attention constante à l’eau dans mes romans, c’est particulièrement frappant dans le cycle de Marie (M.M.M.M.) où les baignades de Marie sont très fréquentes. Donc, dans cette scène des Émotions, où Diane, dès sa première rencontre avec le narrateur, l’invite à la rejoindre dans sa baignoire, je suis en quelque sorte dans mon élément naturel. Cela me donne en outre l’occasion de traiter une scène où se mêlent l’humour et l’embarras, la pudeur et la tendresse, l’eau et l’érotisme.

Pour élargir, j’ai envie de dire que les personnages féminins de vos romans sont très forts. Comment les pensez-vous ou les sentez-vous ?

Dans La salle de bain, Edmonson était déjà un personnage féminin qui avait une vraie personnalité. À partir des années 2000, quand j’ai imaginé le personnage de Marie de Montalte, la créatrice de mode, j’ai eu cette intuition qu’il fallait que je donne le rôle social fort à la femme : c’est Marie qui travaille, c’est Marie qui voyage. Marie est très active, c’est elle l’artiste. Mais le couple est équilibré, car le narrateur, lui, a la parole. Il n’est pas effacé, il juge Marie, il la voit, il l’aime, il la décrit. Marie est multiple, elle est forte, mais elle a quand même ses fragilités ; elle pleure, elle est en phase avec la nature, elle éprouve le « sentiment océanique ». Dans Les émotions, j’avais moins de temps et d’espace pour chaque personnage de femme : Enid, Diane, Elisabetta ou Pilar ont chacune une personnalité propre, une potentialité romanesque et elles ont toutes des rapports différents avec le narrateur. Dans les relations amoureuses, on peut dire qu’on a l’urgence avec Pilar, et la patience avec Enid, et les deux épouses du narrateur sont également très différentes. Je ne dis d’ailleurs pas tout de chacune de ces femmes, je ne fais que les esquisser : comme pour un iceberg, il y a toute la partie invisible, il y a tout ce qui reste caché. Le travail du romancier est autant de dire que de suggérer.

Les émotions frappe aussi par sa dimension politique. De quand date chez vous cette préoccupation ?

Je vais vous faire une confidence, j’ai envisagé un jour d’appeler un roman La politique. Je me suis toujours intéressé à la politique, j’ai fait des études de sciences politiques à Paris. J’ai toujours suivi de près la politique française, je me suis toujours intéressé à la politique internationale. Mais, finalement, la politique n’est jamais apparue dans mes livres, si ce n’est une allusion dans La télévision, quand le narrateur dit avec ironie : « c’est ma danseuse, la politique internationale ».

Mais j’ai bien conscience de la difficulté et des limites de l’utilisation de la politique dans un roman. Ce n’est évidemment pas aussi porteur pour un romancier que la mode ou la cuisine : la langue pour en parler est plus limitée. La mode, pour un écrivain, c’est un régal, les mots abondent, les adjectifs sont savoureux et variés. La politique est plus austère. Mais, c’est vrai, la politique faisait partie de ce projet d’écriture des Émotions, même si elle reste en arrière-plan. Je suis heureux d’avoir pu placer les réflexions de Peter Atkins sur la politique extérieure de l’Union européenne. Mais je voudrais préciser une chose. Si je ne suis pas insensible à l’ironie, il n’a jamais été dans mes intentions de me moquer des institutions européennes, de leur côté prétendument « kafkaïen ».

La politique, c’est aussi la prise de décision : théorique, dans le cadre bucolique d’un château anglais, puis pratique en avril 2010, avec l’éruption du volcan islandais et les décisions difficiles qu’elle impose. Pourquoi mettez-vous en relief cet art du choix le moins mauvais ?

Au sujet de la crise du volcan islandais de 2010, il y a dans le roman cette phrase très explicite : « Nous touchions là à l’essence même de la décision politique, de devoir choisir entre deux positions intenables. » Le personnage est fier de travailler au service de ses concitoyens, il a une éthique. La crise du volcan islandais, je l’ai étudiée avec des personnes qui l’avaient vécue de très près à la Commission. J’ai réalisé en particulier plusieurs entretiens préparatoires avec un fonctionnaire européen qui, pendant la crise, occupait la fonction que j’ai prêtée au narrateur dans le roman. J’ai peut-être parfois l’air d’être désinvolte, mais ce que je décris est très documenté. L’équilibre est parfois difficile entre la rigueur et l’ironie.

L’Europe semble figurée dans le Berlaymont, ce dédale avec ses passages secrets, ses souterrains. Voyez-vous notre destin européen ainsi ?

Non, pas du tout. Même si le vieux Berlaymont, avec ses couloirs obscurs et ses labyrinthes, était un lieu à la Piranèse, selon l’expression de Pierre Lallemand, l’architecte qui a été chargé de sa rénovation et que j’ai également rencontré pour la préparation du livre.

Je me suis beaucoup intéressé à l’architecture dans ce roman, et notamment à l’architecture à Bruxelles, dont j’ai voulu esquisser un portrait au XXe siècle. L’architecture est souvent un bon angle d’attaque. Pierre De Groef, l’architecte dont je parle dans le roman, était vraiment mon arrière-grand-père. Je n’invente rien sur lui, simplement je lui ajoute un fils et un petit-fils fictifs pour des raisons romanesques.

Face au Brexit, évoqué dès la première page, face à la montée de « l’émotion » populiste, le père est comparé à Zweig.

La figure de Zweig est importante pour moi depuis très longtemps. Il arrive que la mort d’un homme corresponde à la fin d’une époque. Stefan Zweig est mort à un des pires moments de l’histoire. En situant la mort du père du narrateur en 2016, l’année du Brexit et de l’élection de Trump, j’établis un parallèle avec la mort de Zweig. Dans les deux cas, on peut dire qu’ils ont vu leur monde, le monde dont ils étaient familiers, un monde de raison, d’art, de raffinement et de culture, disparaître sous leurs yeux. Même si c’est à des événements moins tragiques que le père du narrateur est confronté dans les dernières années de sa vie, je voyais un parallèle entre sa mort et la mort de Zweig. Et puis mon père, dans un de ses romans, a évoqué la figure d’Érasme, à qui Zweig a consacré une biographie, c’est encore un point qui les rapproche. Zweig a donc nourri mon texte depuis le début, il était naturel de l’associer à la figure du père du narrateur dans mon roman.

Il y a chez vous un joueur, un écrivain qui s’amuse des codes et des genres. Une des péripéties essentielles de la deuxième partie tient à une lumière allumée dans la nuit, au mystère qu’elle suscite pour le narrateur : pourquoi cette dimension policière ?

Lorsque le narrateur visite l’appartement de Diane en son absence, on entend à un moment l’ascenseur qui monte et on se demande s’il va s’arrêter à l’étage où se trouve le personnage. C’est un clin d’œil parmi d’autres à l’art de Hitchcock. J’ai revu tous les films de Hitchcock afin d’observer la manière dont il procédait pour tenir en éveil l’attention du spectateur.

Autre genre présent, la comédie : la première partie, en lieu clos, a une dimension théâtrale, un genre que vous n’avez jamais pratiqué, et pourtant. Quelle fonction lui assignez-vous ? Que nous apprend-elle pour la suite ?

La comédie, oui. Mais, en l’occurrence, c’est le choix du lieu qui est important, ce lieu clos d’Hartwell House, où ont lieu les Rencontres de prospective que je décris dans la première partie. Si je devais animer un atelier d’écriture, je donnerais comme première consigne : trouvez un lieu, décrivez-le. C’est la clé. J’ai toujours aimé les lieux clos. Hartwell House aurait pu être le lieu unique pour tout le roman. Comme dans les films ou les romans d’Agatha Christie.

C’est un roman en trois temps, trois lieux à partir de deux moments clé : le Brexit et la mort du père. Il se clôt sur un jeu de dualité, par exemple attirance et crainte, désir et peur, amour et hantise. Que diriez-vous du travail de construction ?

La musique nous éclaire. Le deuxième mouvement contient des thématiques qui s’entrecroisent, se répondent et font écho à La clé USB. J’aime l’idée de mouvement, un livre en trois mouvements. Je préfère le terme musical « mouvement » à chapitre ou partie.

C’est un roman intense, au sens où les émotions le sont, mais votre narrateur préserve parfois une certaine distance. Ce n’est pas neuf dans votre œuvre, mais l’usage que vous faites du blanc, de la parenthèse, a évolué.

La parenthèse, je l’emploie en général pour proposer quelque chose de drôle, comme chez Nabokov. Terminer un paragraphe par une parenthèse est devenu chez moi une sorte de signature. Dans le cycle de Marie, et en particulier dans Faire l’amour, où il n’y a pas d’épisode humoristique, j’ai plutôt usé du tiret long, le tiret cadratin, pour créer une rupture dans la continuité du texte. Et le tiret cadratin, je l’associe plutôt à Faulkner. Dans Les émotions, comme il y a à la fois de la gravité et de l’humour, les deux apparaissent. Quant au blanc, il ouvre La clé USB. L’incipit est : « Un blanc, oui. Lorsque j’y repense, cela a commencé par un blanc. » Depuis mon premier roman, paru en 1985, chaque paragraphe est séparé du suivant par un blanc. J’utilise la ligne de blanc pour séparer les paragraphes et le grand blanc d’une dizaine de lignes pour marquer des coupures à l’intérieur des parties. Plein de choses se passent dans ces blancs. On pourrait presque dire que j’assigne au lecteur le rôle de remplir les blancs dont mes livres sont parsemés. Comme l’écrit Voltaire, les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié.

Dans un passage du roman, vous montrez comment l’arrière-grand-père de Jean, architecte, s’est opposé à l’Art nouveau incarné par Horta, et comment son fils, conservateur, a préservé l’héritage moderniste de Horta. Cette relation complexe entre l’ancien et le moderne, on la sent aussi en vous : pour simplifier, sans doute outrageusement, j’ai envie d’opposer l’esthétique du cycle MMMM à celle de ce roman et de La clé USB, comme si vous choisissiez une forme plus « classique ». Êtes-vous d’accord ?

Je suis respectueux de la tradition mais je suis un écrivain d’aujourd’hui. Je me nourris des œuvres du passé pour regarder le présent et dire quelque chose de mon temps. Le Brexit et l’élection de Trump disent quelque chose du monde d’aujourd’hui. L’action se situe en 2016, ce n’est pas un hasard, j’ai clairement l’ambition de porter un regard sur le monde au début du XXIe siècle.

Dans vos romans, il y a des constantes. Ainsi de l’obscurité, du noir, du sombre. Et puis la lumière éclatante. Mais aussi la main et le regard, pour reprendre le titre de l’exposition au Louvre et du catalogue qui l’accompagnait. On pourrait ajouter L’urgence et la patience. Comment lisez-vous votre parcours depuis ses débuts ? Vers quoi tendez-vous ?

« La main et le regard, il n’est jamais question que de cela dans la vie, en amour, en art. » C’est une phrase de La vérité sur Marie, que j’ai reprise en quatrième de couverture du livre La main et le regard qui accompagnait le catalogue de l’exposition du Louvre.

Je cultive en effet un certain nombre de constantes et d’obsessions, qui sont présentes depuis La salle de bain. Mais je veille à ce que cela ne soit pas artificiel. Ainsi, la scène du bain avec Diane dans Les émotions n’est pas forcée dans la mesure où l’eau, le bain, le blanc, me viennent naturellement, c’est ma signature, on me reconnaît de cette façon. Je suis en quelque sorte un écrivain de la baignoire.

J’ai toujours considéré mon travail comme une recherche. Je veux créer un univers avec ses constantes, ses obsessions, mais aussi me renouveler à chaque fois. C’est cela la difficulté : recréer un monde qui m’est propre, mais ajouter à chaque fois de nouvelles thématiques, comme ici l’Europe, la politique, un certain humanisme à la Stefan Zweig.

Arts plastiques, cinéma, roman, essai : votre œuvre est multiple, diverse. Mais il est rare que vous publiiez deux romans à un intervalle aussi bref. Est-ce à dire que vous comptez privilégier ce genre ?

Non, pas plus que d’habitude. Il se trouve simplement qu’en 2018, bénéficiant d’une année sabbatique, j’ai écrit La clé USB et Les émotions dans le même élan. Mais j’ai d’autres projets en tête, je suis toujours ouvert à de nouvelles expériences.

Propos recueillis par Norbert Czarny

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