La politique peut être acide. Lorsque, en pleine épidémie du coronavirus, Édouard Philippe appelle Jean Castex pour lui demander de piloter la sortie de crise, le Premier ministre n'imagine sans doute pas un instant qu'il lui cédera son bureau à Matignon, près de trois mois plus tard. Comment pourrait-il envisager un tel scénario ? À l'époque du coup de fil, le haut fonctionnaire de 55 ans vient d'être réélu maire de sa petite commune de Prades, dans les Pyrénées-Orientales, dès le premier tour, avec 75,7 % des voix. Il est aussi délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024. Seuls les initiés des cénacles du pouvoir connaissent le patronyme du « Monsieur Déconfinement », ex-conseiller aux Affaires sociales et ancien secrétaire général adjoint de la présidence sous Nicolas Sarkozy. La mission confiée à cet énarque au service de l'État est complexe : l'exécutif a raté la mise sous cloche du pays, il doit réussir sa remise en marche. À droite comme à gauche, son efficacité est applaudie. De là à l'imaginer à la tête du gouvernement…                                            

Avant que l'Élysée ne livre son verdict, il ne fait pas partie de ceux que les ministres citent comme le potentiel locataire de Matignon. Nombre d'entre eux pensent d'ailleurs qu'Édouard Philippe ne peut pas être démissionné du gouvernement.  Trop populaire, disent-ils. Une qualité qui est aussi un défaut : le Premier ministre ne remplit plus sa fonction de paratonnerre protecteur du président. Quoi qu'il en soit, il semble que le tandem à la tête de l'exécutif ne partage plus tout à fait les mêmes vues sur la direction du « nouveau chemin » sur lequel Emmanuel Macron compte embarquer les Français. Un « divorce à l'amiable » est prononcé, avant un mariage de raison avec Jean Castex, fin connaisseur des rouages de l'État mais sans expérience gouvernementale ou parlementaire.

Choisi pour son « côté province » ?                

Issu du monde rural… son côté « terroir » est un atout : il permet au président de nuancer les visages de sa « start-up nation », de retisser le lien avec la France des champs qui s'est sentie désemparée et délaissée pendant la première partie du quinquennat par ces jeunes marcheurs monocolores et citadins. Il fallait entendre les commentateurs gloser sur l'accent rocailleux du nouveau Premier ministre… Une révolution ! Au point qu'un conseiller gouvernemental s'autorise des remarques vestimentaires : « Faut surtout pas qu'il change ses costumes, faut qu'il reste un peu plouc (sic), qu'il conserve son côté province. Les autres se ressemblent tous ! » Autre avantage pour Emmanuel Macron, Jean Castex accepte sans états d'âme d'officier dans l'ombre de son patron. Habitué aux coulisses, rien dans son parcours n'indique la volonté de cultiver une existence politique propre. « Je ne suis pas ici pour chercher la lumière », a-t-il insisté sur TF1 le soir de sa nomination. Avec ce profil, le chef de l'État réalise une sorte d'OPA sur Matignon. Il y a installé un de ses proches, Nicolas Revel, au très stratégique poste de directeur de cabinet. Comme si l'Élysée absorbait la rue de Varenne avec un Premier ministre en retrait… « Le président a choisi de nommer un garde-chiourme, un super cadre administratif à la tête du gouvernement, analyse un proche d'Emmanuel Macron. Ces ministres seront des super chefs de service. » Avec des entrants qui risquent de faire parler d'eux : Éric Dupond-Moretti à la Justice, Gérald Darmanin à L'Intérieur ou encore Roselyne Bachelot à la Culture.