Beaucoup de coupables présumés continuent d’échapper à la justice

« Quand je retournais à Butare, où je suis née, se souvient la Franco-Rwandaise Dafroza Gauthier, il y avait d’abord l’odeur des fleurs qui embaumait l’air. Et tant de joie. Dans les rues, je retrouvais de la famille, des amis, des voisins, on s’embrassait tous les dix mètres pour se saluer. Aujourd’hui, je peux traverser la ville sans m’arrêter. » La mère de Dafroza et une grande partie de sa famille ont disparu. Et tant d’amis, de voisins. Tous assassinés. Comme un million de Tutsi et de Hutu modérés lors du génocide d’avril 1994. Si certains tueurs et commanditaires des massacres ont été condamnés au Rwanda et à l’étranger, beaucoup de coupables présumés continuent d’échapper à la justice. Ils vivent libres. Y compris en France. Le saurait-on sans Dafroza, ingénieure chimiste, et son mari Alain Gauthier, directeur adjoint d’un collège à Reims, qui ont créé le CPCR* ?

* Collectif des parties civiles pour le Rwanda.

Vingt-cinq plaintes contre des exilés rwandais reçues par des tribunaux français

Grâce à l'engagement du couple et au travail de leurs avocats, vingt-cinq plaintes contre des exilés rwandais installés en France et soupçonnés du pire ont été reçues par des tribunaux à Paris et en province. Parmi les mis en cause, l’ex-Première dame du Rwanda Agathe Kanziga Habyarimana, un prêtre, le père Wenceslas Munyeshyaka, ou encore un médecin, Sosthène Munyemana. Et dernièrement, le 22 janvier, Innocent Musabyimana, recherché par Interpol pour viols et crimes contre l’humanité, a été arrêté à Dijon. Ni haine ni vengeance dans l’esprit du couple Gauthier. C’est ce qui rend si impressionnant leur inlassable combat. « Ces sentiments empêchent d’agir, de vivre tout court, souligne Dafroza Gauthier. Nous ne dénonçons personne sans preuves, nos dossiers sont étayés. Notre action n’est pas héroïque, mais citoyenne. Pour réconcilier une communauté, la justice doit donner une sépulture digne aux victimes, contrer l’impunité et empêcher le négationnisme. » Reste que leur quête de justice se heurte souvent à l’indifférence. Trois juges à temps plein ont tout de même été nommés pour que les dossiers avancent. « En France, le travail d’enquête n’a vraiment commencé qu’en 2011, dix-sept ans après le génocide, explique Alain Gauthier. Les mémoires sont défaillantes, les rescapés disparaissent ainsi que les bourreaux. Cette course contre la montre joue en faveur des génocidaires. »

Le « génocide leur a volé une grande partie de leur vie »

Dafroza et Alain disent que le « génocide leur a volé une grande partie de leur vie ». Ils sont « portés par l’amour de leurs trois enfants, l’acharnement des avocats du CPCR et le souvenir des disparus ». Mais aussi par les témoignages des rescapés et les récits poignants des femmes violées par les miliciens. Comment oublier que « tant d’enfants ne sont pas nés, parce que des femmes enceintes ont été massacrées » ? Laisser ces crimes contre l’humanité impunis, insistent-ils, ne serait pas humain. A Butare, où Dafroza et Alain Gauthier vont souvent, les fleurs n’ont plus le même parfum. En France, le couple espère qu’un procès s’ouvrira enfin, cette année, contre l’un des génocidaires présumés installés dans notre pays.

> A lire le récit exceptionnel du combat du couple Gauthier dans « Sur la piste des tueurs rwandais », par Maria Malagardis (éditions Flammarion).> Découvrez l'interview de Maria Malagardis.